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Coopératives

Des céréaliers mieux armés face à un monde qui change

Présente sur la Nièvre, la coopérative Axéréal a développé une formation exclusive, en partenariat avec l’université Paris Dauphine, débouchant sur l’obtention d’une certification « Gouvernance et stratégie coopératives ». 14 jeunes agriculteurs viennent d’être diplômés.

Par Berty Robert
Des céréaliers mieux armés face à un monde qui change
Adrien Butour : « Le grand intérêt de cette formation pour un agriculteur, c’est qu’elle lui permet de prendre de la hauteur et de repenser ses stratégies ». (Photo : Moncaramel Paris)

Faire du soja pour une filière de poulets auvergnats : pour Adrien Butour, agriculteur céréalier basé à Précy, dans le Cher, tout près de la Nièvre, il n’y avait là rien d’évident jusqu’à une date récente. Du soja, il n’en avait jusqu’alors jamais produit. Si ce jeune exploitant de 35 ans a décidé de franchir ce pas, c’est parce qu’il a acquis, ces dix-huit derniers mois, un « bagage » qui lui a permis de prendre du recul et d’orienter son activité avec une vision stratégique beaucoup plus construite. Adrien Butour est l’un des 14 agriculteurs qui a suivi la formation « Gouvernance et stratégie coopératives » développée par la coopérative Axéréal, en partenariat avec l’université Paris Dauphine. Il est aussi conseiller région Loire-Nivernais au sein de la coopérative dont le siège est près d’Orléans. Installé en Société civile d’exploitation agricole (SCEA), en association avec sa mère, depuis janvier dernier, il exploite 422 hectares. C’est Jean-François Loiseau, le président d’Axéréal, qui l’a contacté pour lui proposer de s’impliquer dans cette formation. « L’origine se situe en 2016, explique Adrien Butour, lorsque j’ai participé à un voyage organisé par la coopérative pour aller visiter sa filiale, la malterie Boortmalt d’Anvers, en Belgique. Pour la coopérative, ce fut l’occasion de nous interroger, nous, les jeunes exploitants, afin de se faire une idée de notre vision sur l’agriculture, sur le plan local, national ou international. J’étais déjà impliqué dans le fonctionnement de la coopérative par le biais du conseil de région Loire-Nivernais, je pense que mes réflexions et ma volonté de m’investir ont pesé, au moment du choix pour proposer la formation ».

Questionnement sur la viabilité des exploitations
Plusieurs facteurs ont encouragé Adrien à s’investir sur ce projet : il y a d’abord le souvenir cuisant de la récolte 2016, catastrophique, qui l’a poussé à réfléchir à ses pratiques. « Il y avait aussi, de ma part, un questionnement sur la viabilité économique, à terme, de mon exploitation, en prenant en compte les échanges internationaux, la mondialisation. Je voulais prendre du recul par rapport à cela, voir les points négatifs et tenter de faire émerger une nouvelle stratégie… Ce qui m’intéressait beaucoup dans cette formation, c’était la partie touchant aux filières. Il y a chez Axéréal un « point filières » qui permet de travailler le marché national ou européen ». Explorer de telles pistes, c’est s’ouvrir la possibilité d’obtenir d’autres plus-values. De ce point de vue, pour Adrien Butour, la formation s’est révélée très utile : « après les Trente Glorieuses, la PAC, on est aujourd’hui dans un nouveau monde où la France n’est plus un acteur incontournable dans la production de céréales. La géopolitique du blé est aujourd’hui très différente. La formation nous a permis de comprendre à quel point nous ne sommes plus seuls, que les productions viennent aujourd’hui aussi bien de la région de la Mer Noire que de la Russie ou de l’Amérique du Sud, et qu’il nous faut donc penser de nouvelles stratégies, si on veut continuer d’exister avec nos exploitations ». C’est un fait, Adrien Butour va faire évoluer la conduite de son exploitation. L’orientation sur de la culture de soja tracée, non-OGM, citée au début de cet article en est un exemple. « Si l’on fait le travail nécessaire, en termes de marketing et de respect du cahier des charges, souligne-t-il, on peut concurrencer le soja d’Amérique du Sud ». Voici donc une piste de développement qui a émergé en grande partie grâce à la réflexion suscitée par la formation, mais il en existe bien d’autres.

Soutenance à faire
« Sortir du colza-blé-orge, ajoute-t-il, c’est difficile, mais je considère que mon travail c’est aussi de savoir me remettre en question, et de bâtir des stratégies avec la coopérative. Pour la prochaine récolte, je n’aurai pas de colza. C’est le contexte climatique qui nous pousse à prendre en compte cette réalité ». Au terme des dix-huit mois qu’aura duré la formation « Gouvernance et stratégie coopératives », les agriculteurs étudiants avaient une soutenance à faire devant un jury sur une thématique particulière. Pour Adrien Butour, ce fut la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) : « J’ai travaillé sur celle d’Axéréal et de ses filiales. J’ai fait le lien entre l’agriculteur, les métiers du grain au sein de la coopérative (approvisionnements et collectes), la transformation du malt, et, au bout de la chaîne, la RSE chez les brasseurs ». Pour Adrien Butour, la volonté de prendre plus de responsabilités, à l’avenir, au sein d’Axéréal, est réelle : « Le moment venu, conclut-il, si on me demande de travailler un sujet particulier ou de devenir administrateur, je m’y impliquerai avec plaisir… Mais pour l’heure, on n’en est pas là. La priorité, c’est de continuer à développer la région dont j’ai la charge en tant que conseiller ».

Se former pour des règles du jeu mondiales

En décidant de développer cette formation « Gouvernance et stratégie coopératives » avec l’université Paris Dauphine, Axéréal a pris acte d’une évolution de l’agriculture et du modèle coopératif. Le « terrain de jeu » est désormais mondial, les règles changent, des adaptations sont nécessaires. « Être agriculteur aujourd’hui nécessite une ouverture d’esprit d’une nouvelle dimension. Les décisions à prendre au sein d’une exploitation agricole, mais aussi des instances collectives telles que les coopératives, imposent aux producteurs des connaissances agronomiques, industrielles ou encore géopolitiques qui ne cessent de s’élargir. Pour la pérennité du modèle coopératif auquel nous croyons profondément, il est nécessaire d’accompagner ces jeunes pour, demain, leur confier les clés d’un groupe qui continuera d’évoluer grâce à eux » explique Jean-François Loiseau, président d’Axéréal. À raison d’un ou deux jours par mois à l’université, prolongés par du travail à distance, et complétés par un voyage d’étude en Argentine, territoire stratégique pour l’activité malt d’Axéréal, les étudiants ont acquis des compétences variées : stratégie globale, enjeux financiers et juridiques des coopératives, vision internationale des marchés agricoles et alimentaires, ou encore perspectives liées à la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE). « Le secteur agricole est aujourd’hui au cœur des enjeux géopolitiques de la planète, il est dans l’intérêt d’une coopérative comme Axéréal d’assurer la pérennité de sa gouvernance en aidant la nouvelle génération d’agriculteurs à mesurer les évolutions du monde » détaille Sébastien Duizabo, directeur de l’Executive éducation de l’université Paris Dauphine. Une seconde promotion pour cette formation est d’ores et déjà programmée.