Bon sens et intelligence artificielle : un tandem au bon coup de pédales !
Pour sa seconde édition, la Croisée des Champs, organisée par le pôle Agronov, a voulu explorer les possibilités offertes par l'intelligence artificielle en agriculture. Potentiellement, un formidable outil, mais à manier avec précaution… et intelligence.

Un document de présentation de 130 pages sur la PAC 2023-2027 résumé en moins de 10 secondes : pour les agricultrices et agriculteurs qui ont tous, un jour ou l'autre, connu le « bonheur » de tenter de comprendre et d'appliquer les mesures de la Politique agricole commune, il y a là quelque chose qui relève du miracle. C'était pourtant une réalité présentée à titre d'exemple de l'utilisation que l'on peut faire de l'intelligence artificielle (IA) en agriculture, lors de l'évènement la Croisée des Champs, organisé le 15 mai à Bretenière, en Côte-d'Or, par le pôle régional d'innovation en agroécologie Agronov. Nul miracle, en l'espèce, mais un usage pertinent de l'IA expliqué par Frédérik Migette, directeur Solutions applicatives et digitales de la société OCI, un partenaire global de l'informatique pour les entreprises, lors de la conférence d'ouverture de cet événement. Ce spécialiste de l'IA expliquait qu'au-delà du gain de temps offert par une technologie capable de résumer en quelques secondes un ensemble de textes complexes, l'IA permettait aussi de travailler plus finement sur un aspect précis (par exemple, le régime du droit des paiements de base, résumé sous forme de tableau…)
Pas un miroir aux alouettes
Des illustrations du potentiel de l'IA en agriculture, les intervenants de la Croisée des Champs en ont fourni de nombreuses lors de la matinée qui se tenait dans les locaux de Magapomme, juste à côté du siège d'Agronov et de la Chambre d'agriculture de Côte-d'Or. Mais si le but poursuivi par Agronov de mettre en lumière l'IA au service des transitions agricoles fut largement atteint, il n'en demeure pas moins nécessaire de ne pas prendre ces technologies innovantes pour un miroir aux alouettes. « L'IA ne remplacera pas les agriculteurs, soulignait Frédérik Migette, mais c'est un partenaire qui peut travailler avec eux. » Pour lui, c'est certain, l'IA peut devenir un allié stratégique dans la transition agricole, mais à condition de bien réfléchir sur les usages possibles : « prenons l'exemple de la surcharge administrative, expliquait-il : les agriculteurs consacrent jusqu'à 30 % de leur temps a des tâches hors terrain (déclaration PAC, traçabilité, subvention, fiscalité, transmission des exploitations…) Utiliser l'IA sur certaines de ces tâches permettrait de rendre du temps au travail de terrain. »
L'expertise humaine irremplaçable
Frédérik Migette n'a en tout cas aucun doute sur les capacités du secteur agricole à adopter les avantages technologiques dont l'IA est porteuse : « L'agriculture a toujours fait des sauts technologiques majeurs, à contresens de l'image d'un métier figé. Mais il demeure au sein du monde agricole certains freins : une grande hétérogénéité des métiers, des données très dispersées, des équipements pas très interopérables, une inégalité dans la culture du numérique. Il est donc difficile, pour l'instant, pour l'IA, de bénéficier de suffisamment de données afin de fournir des recommandations pertinentes. Il faudra aller vers plus de partage de la donnée. » Il est aussi essentiel de garder à l'esprit que l'IA n'est pas infaillible, qu'elle peut faire des erreurs, d'où l'importance de conserver une validation par l'expertise humaine. Néanmoins, la technologie ne cesse de gagner en qualité et de manière rapide. Le plus important, lorsqu'on envisage d'avoir recours à l'IA c'est sans doute de structurer son projet selon plusieurs étapes clés que l'informaticien listait en guise de conclusion :
-d'abord comprendre ses besoins stratégiques
– évaluer la pertinence et les risques
– éventuellement sensibiliser son équipe
– définir un cas d'usage pilote qui peut servir de test
– identifier ses données
– exploiter ses données
– intégrer la solution à ses outils.
Un processus qui permet de préserver un maximum de souveraineté, essentielle en matière agricole.


Quels cas d'usage pour l'IA en agriculture ?
La Croisée des Champs permettait de découvrir en quoi l'IA modifie déjà les manières de travailler en agriculture. En voici quelques exemples :
– Zoé Guy, ingénieure en élevage de précision au sein de l'Institut de l'élevage (Idele) évoquait les travaux menés à partir d'analyses d'images grâce à l'IA : « Nous travaillons à la conception d'un portique dans lequel les vaches passent ce qui permet de faire de l'évaluation de performance des animaux. C'est utile pour l'amélioration génétique ou pour du suivi de performances. Nous travaillons également sur le suivi de comportement des animaux en bâtiment, ou sur du comptage d'animaux dans un pâturage, par drone. »
– Thibaut Boulanger, directeur commercial pour la société Smag (éditeur de solutions informatiques) : « l'IA peut nous permettre de renforcer des outils d'aide à la décision (OAD) avec du prédictif d'assolement ou d'interventions. Mais le bon sens paysan doit toujours garder la main en dernier recours. Grâce à l'IA on peut aussi réduire les contraintes administratives qui prennent du temps, mais la question centrale du partage des données reste posée. L'agriculteur doit rester maître de sa donnée. Il peut choisir de ne pas la partager, ou de la partager de manière ciblée. »
– Olivier Beltramo-Martin, ingénieur IA pour la société Atol CD : « Avec l'IA, on peut proposer des outils de type Chat Bot qui permettent de discuter en direct pour avoir une réponse. Cela peut se révéler très utile, par exemple, pour un saisonnier arrivant dans une coopérative qui a besoin d'acquérir rapidement des informations sur son contexte de travail, ou l'agriculteur qui a besoin d'un support technique. »
– Jeanne Baduel, ingénieure agronome de l'école de Purpan et finaliste du concours Make It Agri avec son application Repro'Genet (un outil qui allie IA et photo pour optimiser le choix du reproducteur et la descendance de son troupeau) : « Notre outil allie simplicité, facilité, aide à la décision et il laisse toute sa place au bon sens paysan. L'essentiel, avec l'IA, est de partir de besoins humains et de rester sur une décision finale humaine. »