Polémiques et vrais problèmes
Les réactions se poursuivent sur les mises en cause de l'élevage

Berty Robert
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Depuis une dizaine de jours, on a le sentiment, en France que l’élevage bovin est au cœur de questions de société. La polémique soulevée par le rapport de la Cour des comptes entre en résonance avec des actes de prédations, constatés notamment en Bourgogne Franche-Comté. Sous les arguments environnementaux, le malentendu semble total.

Les réactions se poursuivent sur les mises en cause de l'élevage
Du bœuf provenant de parcs d'engraissement australiens : est-ce vraiment cela la perspective proposée sous l'argumentaire environnemental ? C'est en tout cas déjà une réalité économique. (Crédit Réussir)

Dans une interview parue le 30 mai sur le site lopinion.fr, Alessandra Kirsch, docteure en économie agricole et directrice des études chez Agriculture Stratégies soulignait, en référence au rapport de la Cour des comptes pointant la responsabilité de l’élevage dans les émissions de méthane, qu’il fallait aussi « chiffrer les coûts économiques et écologiques du non-élevage ». Elle mettait le doigt sur les effets induits par une éventuelle disparition de l’élevage dans notre pays, en particulier les conséquences écologiques d’importations de viande, ou la non-prise en compte des services environnementaux qui s’attachent à ces pratiques agricoles. Un rappel utile alors qu’on a le sentiment d’une guerre de tranchées entre un milieu institutionnel chargé de donner de grandes orientations, mais qui paraît coupé des réalités du terrain, et un monde de l’élevage qui se sent attaqué, pointé, soupçonné, sans prise en compte des efforts qu’il produit depuis plusieurs années.

Une composante de la préservation de l’environnement

À cette polémique s’ajoute une pression grandissante des menaces de prédation sur des animaux d’élevage, avec des actes constatés ces derniers jours en Côte-d’Or et dans l’Yonne, mais aussi la perspective d’un durcissement de la législation, en lien avec la révision de la directive européenne sur les émissions industrielles (IED) pour les élevages porcins et avicoles. En fait, le point de vue d’Alessandra Kirsch résume parfaitement le malentendu qui s’installe entre le monde de l’élevage et le reste de la société. À chaque fois, c’est l’environnement qui est placé au cœur des arguments : certains pensent que supprimer l’élevage contribuerait à le protéger quand les autres expliquent que justement, l’élevage est une composante de la préservation de cet environnement. Ce contexte génère un débat particulièrement soutenu. Dès le 23 mai, le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Marc Fesneau, estimait que « le discours sur la décroissance forcée, portée comme politique publique, est curieux pour ne pas dire hors des réalités, quand on sait que la France n’est autosuffisante pour aucune filière animale ». En Bourgogne Franche-Comté (BFC) aussi, les réactions ne manquent pas, que ce soit sur le rapport de la Cour des comptes, la menace du loup ou la législation IED. La FRSEA BFC s’est fendue d’une réaction (voir page 09 de ce même numéro).

« Faire de l’élevage un pivot de l’économie circulaire »

Pour sa part, Jérémy Decerle, député européen et éleveur en Saône-et-Loire, estime, dans un communiqué du 30 mai que, « ces dernières semaines, certains se plaisent et se complaisent à faire de l’élevage l’ennemi public numéro un, bien trop contents de s’être trouvé un bouc émissaire du changement climatique […] il est amateur de ne regarder l’élevage que par le prisme de ses émissions. Notre ministre de l’Agriculture l’a rappelé : l’élevage nous rend de précieux services environnementaux : absorption de CO2, engrais organiques, énergies renouvelables, maintien de biodiversité (haies et prairies) sur notre territoire… Ces pratiques, les plus ambitieuses, les plus encadrées et parmi les plus durables au monde, devraient au contraire nous faire regarder les éleveuses et les éleveurs français comme des acteurs de premier plan de la révolution environnementale en cours. […] Je crois en une France, et une Europe, capables, demain, de faire de l’élevage un pivot de l’économie circulaire, des équilibres territoriaux, de la protection de l’environnement et de notre souveraineté alimentaire. Je sais que si nous lui faisons confiance, si nous lui en donnons les moyens, le monde paysan, à qui on demande déjà beaucoup, trouvera en lui […] les ressources nécessaires pour rester inventif et novateur, et offrir à nos concitoyens la meilleure des alimentations ». De son côté, la Chambre régionale d’agriculture de BFC a réagi sur la problématique du loup, dans un communiqué du 26 mai : « La profession agricole de BFC réaffirme que la cohabitation entre le loup et l’élevage est impossible et parfaitement illusoire. Le Gouvernement, en charge de l’application des mesures de gestion, doit choisir :

- entre le loup, qui ne peut désormais plus être considéré comme une espèce menacée - les effectifs dépassent le seuil de « viabilité » de 500 individus et sont estimés à plus de 1 000, soit plus du double - ;

- ou les éleveurs, qui travaillent chaque jour pour garantir la souveraineté alimentaire, le bien-être animal, l’aménagement et l’entretien des territoires/ […] Dans notre région, le nombre d’attaques a littéralement explosé ces derniers mois, tant sur les ovins que les bovins, avec près de 400 victimes recensées sur l’année 2022 et le début d’année 2023. […] Nous attendons du Gouvernement qu’il se mobilise en révisant et renforçant efficacement les différents dispositifs légaux, financiers, techniques… pour garantir le zéro attaques ; il s’agit d’assouplir en priorité la procédure de mise en place des tirs de défense, qui restent le moyen le plus efficace pour assurer la protection des troupeaux. […] Il est essentiel que l’État soit transparent sur l’état des populations de loup dans chaque territoire et sur le nombre d’attaques subies ».

« Moins produire, plus importer... »

Présidé par Christian Bajard, éleveur en Saône-et-Loire, le Berceau des races à viande du Massif Central pointe le risque de hausse des importations de viande, consécutif à la fragilisation de l’élevage français : « la baisse de production de viandes bovines en cours depuis de longues années, et qui s’est accélérée dernièrement se traduit, déjà, par une forte augmentation des importations. En 2022, plus de 25 % de la viande bovine consommée en France était importée : une donnée que les sages de la Cour des comptes semblent avoir éloignée, volontairement ou non, de leur raisonnement. Et c’est la Commission européenne qui démontre le mieux à quel point la Cour des comptes fait un mauvais calcul ! Depuis Bruxelles, alors même que nous débattions en France du pourcentage de vaches et de prairies à rayer de nos paysages, elle offrait à l’Australie, dans le cadre d’un accord de libre-échange en cours de négociations, un nouvel accès privilégié au marché communautaire pour 24 000 tonnes de viandes bovines. Des viandes produites principalement au sein de « feedlots » : des parcs d’engraissement industriels contenant plusieurs milliers de bovins, dopés aux antibiotiques utilisés comme promoteurs de croissance. Voilà donc la « logique » politique qui semble primer, aujourd’hui, en ce qui concerne l’élevage bovin : toujours moins produire, sur nos territoires, pour dérouler la politique de libre-échange et proposer aux consommateurs des viandes produites toujours plus loin, respectant toujours moins les normes de production sanitaires et environnementales imposées aux éleveurs européens »…