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À Oman

Sur la route mythique de l’encens

Berceau de la production d’encens depuis l’Antiquité, Oman produit la résine la plus rare au monde : la Hujara, issue du boswellia sacra. C’est dans le sud du sultanat d’Oman, dans la région du Dhofar, que se concentrent les forêts de boswellia.
Par Pauline Garaudew
Sur la route mythique de l’encens
( Crédit photo : P. Garande )
A une heure seulement au nord de Salalah, ville portuaire et capitale du Dhofar, s’étalent devant nos yeux des dunes caillouteuses. Dans cette plaine aride, se trouve la plus grande forêt de boswellia sacraau monde : Wadi Dawkah, classée au Patrimoine mondial de l’Unesco, tant cette variété est devenue rare et aussi parce qu’elle produit l’encens le plus précieux et le plus cher au monde.

Aujourd’hui, Oman n’a rien perdu de cette tradition. L’encens est consommé partout, dans les maisons, pour se parfumer, sous forme de gomme à manger, pour les cérémonies religieuses et même à des fins thérapeutiques dans le traitement des troubles digestifs et des affections des voies respiratoires. Partie intégrante de son patrimoine, le sultanat essaie de redynamiser la filière et d’encourager la plantation de nouveaux arbres.

De nouvelles plantations
La forêt de Wadi Dawkah compte d’ailleurs pas moins de 1 500 boswellia sacra : des arbres à la forme tortueuse, à feuilles caduques, d’une hauteur de 2 à 8 mètres (certains peuvent atteindre plus de 10 mètres), et dont l’écorce à texture de papier pèle facilement. «20% de cette forêt sont des nouvelles plantations mais il faut attendre dix ans pour savoir si le boswellia donnera  de la résine. Rien ne le garantit et seuls les arbres mâles donnent de l’encens» explique Ahmed bin Saeed.
La cinquantaine, papillonne autour d’un boswellia, tâte ses branches joufflues. «Une légende tribale raconte que de petits serpents volants, aux couleurs vives, protègent nos arbres. Ils crachent du feu pour éloigner les malfaisants» t-il en souriant.

Délicatement, il enlève la fine peau qui recouvre ses ramifications, dévoilant une écorce grise, ultime rempart vers la précieuse sève blanche : le luban, substance dense et laiteuse qui perle lentement avant de coaguler au bout de quelques jours pour prendre des allures de cristaux aux couleurs variables. «Ceux du Wadi Dawkah sont d’un blanc translucide, la meilleure qualité qui soit, l’al-Hojari».

A chaque arbre son rendement
Chaque année, de mars à août, Ahmed collecte la résine. A l’aide d’un couteau traditionnel avec un manche en bois, le manghaf, une première incision est pratiquée dans l’écorce de l’arbre. «Je commence là» dit il. «Regardez, la résine se met à couler dès la première entaille : on l’appelle la  tuka . Comme il fait encore froid, il faut la laisser sécher 20 jours, le temps que se forment de petits cristaux jaunâtres que l’on pourra alors récolter.  L’été, c’est 15 jours de séchage seulement». premier encens est collecté au couteau.

Quelques semaines après, l’arbre est à nouveau entaillé. Il produit davantage de sève, récoltée dix jours plus tard avant la dernière incision qui se révélera la plus prolifique.

«Un arbre peut donner entre 3 et 10 kg de résine d’encens. Mais il faudra faire une pause de plusieurs années avant qu’il ne redonne de la résine» raconte Ahmed en pointant du doigt un autre boswellia. «Celui-là, il donne tellement de résine, qu’on l’appelle la vache à lait. Certains boswellia produisent plus. D’autres moins. Ce qui compte est la récolte totale. Les arbres sont aussi différents que vos cinq doigts !» raconte-il avec un enthousiasme sans égal ! chargements sont ensuite portés par des ânes et des dromadaires.

L’encens prélevé est séché pendant deux à trois semaines, au soleil sur les rochers ou dans des pièces fermées des habitations. Puis prennent la direction du souk de Salalah : le lieu légendaire où se vend l’encens.

Une tradition menacée

«Moi, je suis né dans cette région et mes parents vivaient de l’encens depuis trois générations. C’est toute notre vie et j’ai même commencé de travailler avant de me marier» témoigne Ahmed. «Mais mon fils ne perpétuera sans doute pas la tradition. Les jeunes ne veulent plus de ce travail épuisant. Pour venir récolter, nous parcourons chaque jour une vingtaine de kilomètres à pied sur des pentes caillouteuses.  Ca fait très mal aux mains et ils préfèrent trouver un travail en ville». Plus désolant encore pour Ahmed : les arbres à encens disparaissent peu à peu du paysage. «Avant, il y en avait beaucoup dans les vallées alentours. Aujourd’hui, pleins sont morts. C’est à cause des aliments qu’on importe pour les chameaux. Ces nouveaux fourrages concentrés augmentent leur appétit et ils dévorent tout. On essaie de cultiver des arbres à encens. Ils poussent mais ne produisent rien».
La plantation dans laquelle le gouvernement tente de relancer la production, nécessite beaucoup d’eau. Les arbres sont encore trop jeunes pour produire de la résine. Rien ne sait s’ils produiront.