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Horticulture

«Nous sommes les oubliés du monde agricole»

Les horticulteurs français ont dû fermer leurs magasins du jour au lendemain pour respecter les mesures de confinement. À l’inverse des agriculteurs, la profession n’a pas été considérée comme essentielle durant cette crise. Les horticulteurs se sentent oubliés et craignent pour la survie de leurs entreprises.
Par Théophile Mercier
«Nous sommes les oubliés du monde agricole»
Louis Penard, le gérant «des jardins du Nivernais» nous montre des plants de primevères prêts à être jetés à la poubelle. 600 plants ont ainsi été jetés cette semaine.

Retrouvez l'interview de Louis Penard




C’est une période clef qu’il ne fallait pas louper. Pourtant, le coronavirus est en train de mettre à terre les horticulteurs du département. Fabien Vittoz, gérant de la jardinerie Baobab est très inquiet pour son entreprise : «Si le confinement dure au-delà du 15 avril, ça sera tout simplement la mort» explique-t-il sans détour. «Je réalise 80 % de mon chiffre d’affaires entre mars et mai, alors vous imaginez que ce n’est pas les mesures annoncées du gouvernement qui vont pouvoir rattraper mes pertes» ajoute-t-il. Pour tenter d’écouler sa production, il a lancé en urgence un site marchand intitulé : baobabsougysurloire.fr : «Je ne pouvais me laisser mourir par respect pour mes huit salariés. Officiellement, j’ai le droit de faire drive au magasin ou de m’arranger avec la grande distribution mais cette solution n’était pas envisageable. Je me bats toute l’année pour vendre un savoir-faire et des produits de qualité, ce n’est pas pour aller le brader en GMS en période de crise» martèle l’horticulteur. Cette ligne de conduite va l’obliger à jeter la marchandise qui n’aura pas été vendue, un crève-cœur pour Fabien Vittoz.
Sur son site marchand cet horticulteur propose plusieurs familles de produits dont des plants potagers ou des produits pour le jardin. Les livraisons sont assurées par Fabien Vittoz, et les conditions de livraison varient en fonction du dépôt. Pour assurer la promotion de son site, ce dernier s’est appuyé sur un carnet d’adresses de 3 000 clients et 1 200 contacts Facebook. L’horticulteur espère ainsi sauver une partie de sa saison.

«C’est de la concurrence déloyale»
Le ton est un peu plus ferme du côté « Des jardins du Nivernais » situés à la sortie de Nevers. Louis Penard, le gérant ne décolère pas d’avoir dû fermer sa jardinerie. Le décret paru le 23 mars dernier précise que «seuls les commerces de détail d’aliments et fournitures pour les animaux de compagnies sont autorisées à ouvrir», ce qui n’est pas le cas «Des jardins du Nivernais». «Nous sommes situés juste à côté d’un supermarché où des clients se pressent et ne respectent pas les distances obligatoires. Dans ma jardinerie, j’aurais très bien pu organiser un flux de circulation des clients, d’autant plus que je n’ai jamais plus de dix personnes en même temps. Je n’accepte pas non plus de voir les grandes surfaces autorisées à vendre des produits que nous n’avons pas le droit de vendre, comme les fleurs par exemple» explique-t-il. Son entreprise qui emploie pour la partie jardinerie six salariés à temps plein et deux en CDD, tourne au ralenti. Seuls deux ou trois employés de la partie des espaces verts travaillent encore. Une situation qui va avoir un impact négatif sur la trésorerie. «Si je me base sur les chiffres de l’année dernière, j’estime mes pertes entre 280 000 et 300 000 euros pour la période allant du 15 mars au 30 avril. Nous avons mis en place un système de livraison, mais ce poste ne va représenter que 10 % du volume de notre activité. La préfecture nous a aussi autorisés à vendre en drive, mais ce n’est pas la panacée» se désole Louis Penard.
En attendant une reprise attendue en mai, il est obligé de jeter une partie de sa production. 600 plants de primevères de jardin sont ainsi partis à la poubelle, faute de clients, et ce n’est qu’un début. «Pour mes confrères producteurs, ce qui est à craindre c’est qu’ils soient obligés de se tourner vers la grande distribution pour écouler leurs marchandises. Mais dans ces conditions ce ne sont pas les professionnels qui font les prix mais les centrales d’achats. Cette crise va avoir des conséquences désastreuses sur notre profession car les clients risquent de ne plus savoir où est le juste prix. Nous avons besoin de reconnaissance et surtout d’un soutien financier» martèle Louis Penard.

Les paysagistes également impactés

C’est une profession intégrée au paysage agricole dont on parle peu. Pourtant, les paysagistes ont été autorisés à poursuivre leur activité non sans mal. Anne-Marie Rommel, dirige avec son mari Philippe, l’entreprise «Avenir Paysage» à la Charité-sur-Loire. Elle nous décrit le fonctionnement de sa société à l’heure du confinement.
Anne-Marie et Philippe Rommel sont gérants de l’entreprise «Avenir Paysage» à la Charité-sur-Loire. C’est une société spécialisée dans les services à la personne pour des travaux de jardinage pour le particulier et de création d’espaces verts pour les entreprises et collectivité. Depuis le début de confinement, l’activité tourne au ralenti : «Sur la partie travaux de jardinage, n’étant pas une entreprise considérée comme indispensable, nos clients pensent à tort que nous sommes fermés et ils réalisent leurs travaux eux-mêmes. Or nous avons pourtant l’autorisation et même la nécessité de poursuivre notre activité. Sur les travaux de jardinage nous avons dû faire du bricolage pour respecter les gestes barrières. Nous mettons un salarié par véhicule et deux personnes maximum par chantier, mais nous manquons évidemment de voitures. Cependant, il est hors de question de demander à mes salariés de prendre leurs véhicules personnels. De plus avec la fermeture des déchetteries, nous entassons nos déchets verts soit au sein de l’entreprise ou chez des clients bénéficiant d’un grand jardin. Là où la situation se complique c’est sur notre activité de création d’espaces vert où nous sommes à 5 % du volume de chantiers habituels. Les conséquences se font déjà sentir sur l’emploi : j’avais prévu d’embaucher un jeune en CDD pour la saison mais je pense que je vais devoir renoncer. Dans quinze jours, je ne sais pas, ce que je vais faire de mes salariés. C’est la raison pour laquelle, nous avons fait une demande de chômage partiel qui, je l’espère, sera acceptée. Il serait idiot de devoir licencier pour ensuite embaucher de nouveau à la sortie de la crise. De plus, même avec la meilleure volonté du monde, nous allons manquer d’approvisionnement sur des fournitures. Je pense que nous allons perdre entre 30 à 50 % de notre activité» détaille-t-elle avec désolation.