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Lait

Le CIL BFC-Est veut battre en brèche les idées reçues

Le lycée agricole de Dannemarie-sur-Crète, près de Besançon, a accueilli l'assemblée générale du Centre interprofessionnel laitier BFC-Est. L'intervention d'une sociologue et d'un économiste du Cniel a tordu le cou à quelques idées reçues sur la production laitière française.

Par Séverine Vivot
Le CIL BFC-Est veut battre en brèche les idées reçues
Une soixantaine de participants, issus des trois collèges de l'interprofession, ont pris part aux échanges.

« Grâce à ce QR Code que vous allez flasher depuis votre portable, vous aurez accès à un questionnaire » expliquait Pierre Fouquet, directeur du Centre interprofessionnel laitier (CIL BFC-Est) en pointant sur l'écran géant le pictogramme à charger. Membres du CIL, élèves de BTS Acse 1re année du lycée agricole Granvelle de Dannemarie-sur-Crète, dans le Doubs, mais aussi étudiants de BTS à l'école d'industrie laitière de Mamirolle et invités ont dégainé les téléphones. Tous se sont prêtés au jeu. Quelques minutes plus tard, une petite soixantaine de questionnaires étaient complétés. Neuf questions relatives à la production et à l'économie laitière en France ont été soumises. Les réponses mettaient en lumière une dimension sociale de la consommation que Véronique Pardo et Corentin Puvilland, sociologue et économiste du Centre national interprofessionnel de l'économie laitière (Cniel), ont soigneusement décortiquée pour éclairer l'assemblée et tordre le cou à des certitudes, lors de cette assemblée générale du CIL BFC-Est.

Budget alimentation stable

Une première question à laquelle les participants devaient répondre par oui ou non a cristallisé l'attention : « La part du budget alimentation des Français a baissé depuis la mise en place de l'euro en 2002 ? Vous avez majoritairement répondu oui » soulignait le directeur du CIL BFC-Est avant de laisser le micro à Véronique Pardo qui donnait des détails en s'appuyant sur les statistiques Insee mais aussi sur les statistiques de l'interprofession laitière. « Depuis 25 ans, le budget dédié à l'alimentation est stable. C'est la répartition entre la consommation alimentaire à domicile et la consommation en restauration hors foyer (RHF) qui a varié. La RHF a gagné deux points en 25 années captés sur la consommation à domicile » explique la sociologue. La spécialiste insistait sur la dichotomie des consommateurs dorénavant scindée en un premier groupe, environ 1/3 des Français, pour qui le conflit russo-ukrainien et la flambée de la matière première n'ont que peu ou pas changé les habitudes de consommation et deux tiers pour qui la consommation a été modifiée.
Parmi ce deuxième groupe, 1/3 est soumis à une précarisation alimentaire et même à une décroissance subie. Il s'agit majoritairement des jeunes, 18-24 ans, des ouvriers ou sans diplôme et des familles monoparentales. « La montée en gamme s'est opérée sur tous les produits jusqu'en 2021. La filière bio affichant même une croissance à deux chiffres. Les produits laitiers n'échappent pas à la règle. 2021 est le point de bascule » ajoutait Corentin Puvilland, économiste.

Hausse de l'insécurité alimentaire

Montée en flèche du coût de l'énergie en 2021, arrivée de l'inflation et instabilité géopolitique en 2022 accentuée par la dissolution de l'Assemblée nationale en juin 2024 et le retour de Trump aux affaires à l'automne ont troublé la visibilité des consommateurs et des acteurs de l'économie. « 1 consommateur sur 5 déclare avoir déjà eu faim sans pouvoir manger » poursuivait Véronique Pardo, s'appuyant sur une étude consommation de 2024. Une affirmation complétée et étayée par des chiffres : « 20 % de ces consommateurs n'ont pas de réfrigérateur et 21 % n'ont ni four, ni four à micro-ondes » détaillait la sociologue. Des manques qui creusent et accentuent davantage l'accès à une alimentation saine et moins chère. Une fracture alimentaire qui accompagne la fracture sociale et qui devient une véritable question de santé publique. Dans ce contexte, la protéine laitière, accessible pour de nombreux portefeuille revient sur le devant de la scène.

Des prix revalorisés

« Le nombre d'exploitations laitières a été divisé par 10 depuis les années 1980. En 2024, il y a moins de 40 000 points de collecte avec une moyenne française à 517 000 l par exploitation pour 70 vaches » annonçait Corentin Puvilland. En parallèle, l'économiste du Cniel expliquait que si la production laitière a baissé en litrage global, en équivalent matière sèche utile, elle est aujourd'hui identique à la production de 2013 grâce à la progression des TB et TP du lait. Si le lait de consommation continue à être boudé, la crème et les fromages en libre-service, eux, progressent. « En 2023, le rayon crémerie est devenu le premier contributeur du chiffre d'affaires des Grandes et moyennes surfaces (GMS) ». Un rayon qui affiche cependant des disparités entre les produits et les différents segments de marchés. Par ailleurs, la stabilisation de la production laitière des cinq grands producteurs mondiaux, faute de main-d’œuvre, en raison d'épizootie, de flambée des prix de l'énergie et de difficultés de renouvellement des générations a permis de revaloriser le prix d'achat aux producteurs. « Ces trois dernières années estompent 30 années de déflation » expliquait l'économiste du Cniel. Les projections et modélisations jusqu'à 2033 donneront du baume au cœur aux acteurs de la filière laitière. « La demande en beurre devrait progresser de 16 %, celle en fromage de 10 % et celle en produits laitiers frais de 18 % » concluait le spécialiste des chiffres.

Le CIL : chiffres et gouvernance

Trois régions, Bourgogne-Franche-Comté, Grand Est à l'exception des Ardennes, et Île-de-France composent le CIL BFC-Est. Avec une tradition fromagère très marquée sur cette zone, le CIL BFC-Est c'est :
- 8 400 fermes
- 85 % en pâturage
- 566 000 VL
- 70 VL par exploitation
- 3,9 milliards de litres de lait collectés,
- 17 % de la collecte de lait national,
- 18 % de la collecte de lait bio,
- 20 AOP
- 12 IGP

La gouvernance est assurée par trois collèges :
- La production représentée par le syndicalisme majoritaire,
- La Coopération laitière représentée par la Coopération Laitière Grand Est et la FRCL,
- Les industriels privés représentés par la Fédération nationale des industriels laitiers (FNIL).

La présidence est tournante. Tous les 3 ans, elle est assurée par le représentant professionnel d'un des 3 collèges.

Un nouveau président

Un nouveau président
Yves Grandemange, producteur et désormais président du CIL BFC-Est. Derrière lui, Pierre Fouquet, directeur.

Yves Grandemange, éleveur et producteur fermier dans les Vosges, est le nouveau président du CIL BFC-Est. Au revoir Laboratoire interprofessionnel d'analyses laitières de Rioz (Lial 70), bonjour CIL BFC-Est. À peine Yves Grandemange a-t-il quitté ses fonctions de président du Lial qu'il devient président du CIL. Il a été élu lors de l'assemblée générale du 28 mai. La présidence revenait au collège producteurs après avoir été occupée par le collège des industriels privés puis par la coopération, trois années chacun. Yves Grandemange travaille avec son épouse Sandrine sur le Gaec du Beillard, à Liézey, près de Gérardmer. Les 65 vaches de race Montbéliarde et Vosgienne produisent 380 000 l de lait. Environ 80 000 l sont transformés sur la ferme en Munster et en tomme et vendus en direct. Le reste est collecté par Savencia et transformé au Tholy à quelques kilomètres de l'exploitation. Investi à la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL), l'éleveur est responsable du dossier « Vente directe ». « Au CIL BFC-Est, en tant que président, je me dois d'être neutre. Plusieurs défis sont à relever. Il nous faut attirer des jeunes dans les métiers laitiers. La production mais aussi la transformation. Il y a aussi tous les enjeux liés à la matière grasse, très importante au niveau de notre CIL puisque notre particularité est que nous avons une tradition fromagère prégnante. Assurer l'autonomie en matière grasse est primordial. La rémunération de la matière grasse est un sujet mais il y a aussi d'autres leviers tels que la génétique qui devront être auscultés à la loupe ».