Accès au contenu
Précarité et « bien manger »

Cultiver « l'équité et la justice »

Afin de donner accès au « bien manger » au public en situation de précarité, le Secours populaire (Nevers), Solaal et Interfel se sont alliés le 16 mai pour un événement particulier au Jardin de Marigny, à Sauvigny-les-Bois.

Par Chloé Monget
Cultiver « l'équité et la justice »
Un atelier de cuisine animé par Interfel était proposé à l'issue de la visite.

L'accès à une alimentation saine est un enjeu sociétal (voir encadré) et afin d'œuvrer sur ce thème, le Secours populaire (Nevers), Solaal et Interfel proposaient aux bénéficiaires et bénévoles un événement un peu particulier le 16 mai. En effet, une découverte du Jardin de Marigny (Sauvigny-les-Bois) et un atelier cuisine avec dégustation des produits de l'exploitation étaient organisés.

Amaëlle Begin-Doisy, coordinatrice régionale de Solaal BFC, stipule durant cette rencontre du 16 mai : « la pédagogie est au centre de cette action, car il faut clairement casser certains préjugés sur la nourriture et sur les apports nutritionnels » et rappelle : « il faut parfois complètement changer ses habitudes d'achat et de cuisine pour retrouver une alimentation saine, de ce fait il est nécessaire d'accompagner les publics souhaitant modifier leurs pratiques pour découvrir les bienfaits d'une alimentation diversifiée et locale ; qui n'est pas forcément plus chère qu'en GMS ». De son côté, Mathilde Lafaye (Jardin de Marigny) stipule : « mon métier a deux volets : nourrir et informer la population. Sans ces deux pans, il est difficile de faire comprendre les bienfaits de l'achat des productions locales et raisonnées ». Pour Lison Lahemade, diététicienne BFC-Grand Est pour Interfel, et animant l'atelier cuisine avec Gwenaëlle Dubuis, diététicienne libérale du réseau Interfel, détaille : « Le « bien manger » passe certes par l'accès aux produits locaux pour les publics en précarité, mais pas seulement. En effet, il faut aussi une dynamique de réappropriation complète de comment cuisiner. Pour y parvenir, il est nécessaire de recentrer le tout autour des notions de lien social, de convivialité et de plaisir. Sans ces trois volets, il est difficile de donner l'impulsion aux gens de modifier leurs habitudes ». Une fois la présentation globale de l'exploitation faite, les participants se sont rendus dans les allées afin de récolter eux-mêmes les denrées nécessaires à l'élaboration du déjeuner confectionné sur place.

Équilibre et contraintes

Durant toute la matinée, les échanges sont allés bon train, et Mathilde Lafaye insiste : « Pour moi, il faut de l'équité et de la justice : il faut respecter les quelques règles du jardin afin de pouvoir profiter de certains et que les autres personnes qui suivent également. Chacun doit respecter et partager avec l'autre. Sans ces deux éléments de bon sens, le concept ne peut pas fonctionner ». Outre cela, elle souleva une autre problématique liée aux partenariats avec les associations d'aides aux plus démunis : « Cela fait de nombreuses années que je suis sollicitée et je réponds toujours avec plaisir pour donner l'accès à la cueillette. Mais, nous rencontrons à chaque fois une problématique de logistique et de main-d’œuvre. En effet, je n'ai ni le temps, ni les moyens humains pour prendre à mon compte la récolte des denrées pour les associations. De ce fait, il faut forcément des bonnes âmes pour venir chercher les fruits et légumes, et cela peut vite devenir contraignant pour elles ». Après ces éclairages des contraintes de chacun, il fut promis de poursuivre l'action de manière plus pérenne entre Solaal, le Secours populaire et le Jardin de Marigny – sans border strictement le tout pour le moment. Cela étant, il est clair, au vu des sourires partagés par tous, que cette expérience fut une réussite comme le souligne Perrette, retraitée et bénévole auprès du Secours populaire : « mon grand-père était maraîcher et on retrouve des gestes d'enfance que l'on aime ». Comme une madeleine de Proust, la cueillette et l'atelier cuisine ont soulevé des souvenirs et incontestablement du plaisir… En attendant d'autres événements, la saison des fraises du Jardin de Marigny est lancée et Mathilde Lafaye sourit : « il n'y a rien de tel qu'un fruit frais pour partager un bon moment ». Pour rappel, en plus de la visite d'exploitation et de l'atelier culinaire, uniquement ouvert aux bénéficiaires et bénévoles du Secours populaire, une collecte solidaire de denrées alimentaires était organisée en milieu d'après-midi Place de la résistance à Nevers afin de sensibiliser le grand public sur cette question de l'accès au « bien manger ». Ce rendez-vous s'inscrivait dans le cadre du festival « les 48 heures de l'agriculture urbaine » coordonné par l'Association Française d'agriculture urbaine professionnelle (Afaup) et auquel la Chambre d'agriculture de la Nièvre était associée avec la présentation des productions du département et la présence d'une mini-ferme pour animer le tout.

Constat global

Constat global
La saison des fraises au Jardin de Marigny est ouverte.

Depuis 2001, l'État est engagé dans une politique d'information et de réduction des inégalités sociales pour la nutrition et l'équilibre alimentaire, via le Programme national nutrition santé (PNNS). Pour asseoir cette vision, la loi Égalim (2008) et la loi Climat et résilience (2021) sont censées border l'achat de denrées de qualité et durables dans les restaurations collectives toujours dans l'optique de donner l'accès à une alimentation plus saine à tous les publics. Ces engagements s'inscrivent, notamment, en réaction à l'augmentation du taux d'obésité en France. En effet, l'Assurance maladie stipule : « Entre 1997 et 2020 [...] le nombre de cas d’obésité ne cesse d’augmenter à un rythme rapide. L'obésité est ainsi passée de 8,5 % des adultes en 1997 à 17 % en 2020. L’augmentation est plus marquée chez les plus jeunes. En effet, depuis 1997, l’obésité chez les 18-24 ans a été multipliée par plus de 4, et par près de 3 chez les 25-34 ans. L'obésité n'est pas également répartie sur le territoire français : elle dépasse 20 % dans le Nord et le Nord-Est de la France, et elle est la plus basse (moins de 14,5 %) en Île-de-France et dans les Pays de la Loire ». Toujours pour preuve de la nécessité de cette action, l'Inrae met en évidence dans un dossier dédier à l'alimentation et les inégalités : « Dans les milieux moins favorisés ou moins éduqués, le plaisir de manger est souvent vu au sens quantitatif : il est important que la nourriture rassasie. Les parents se tournent alors vers des aliments que l’enfant aime, afin qu’il sorte de table en ayant assez mangé. Les aliments plus rassasiants, tels que les féculents raffinés, sont privilégiés par rapport aux fruits et légumes qui apportent des « calories chères ». Cette vision du bien manger est encore plus présente dans les régions d’outre-mer, où selon Caroline Méjean, épidémiologiste en nutrition au laboratoire Moisa à Montpellier, bien manger signifie une généreuse ration, et ce de manière encore plus marquée chez les jeunes les moins éduqués. Les facteurs de santé ou même de plaisir gustatif passent au second plan ».