Houblon
« Continuer à s’amuser »

Emmanuel Delarue
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À Cabrières-d’Aigues dans le Luberon, Gregori Simon s’est lancé dans la production de houblon, au retour d’un séjour en Californie. Ce touche-à-tout souhaite continuer de s’investir dans la bière artisanale, sans se prendre au sérieux.

« Continuer à s’amuser »
Pour le jeune producteur, la culture du houblon est adaptée au terroir provençal. Sa production intéresse aujourd'hui de nombreux brasseurs artisanaux de la région. Photo: E. Delarue

L’agriculture, Gregori Simon ne s’y destinait pas vraiment. Son enfance dans le Luberon, au milieu des vignes, l’a pourtant marqué. C’est aussi ici l’histoire de ses aïeux, présents dans ses terres agricoles d’altitude depuis six générations.

Aussi, jusque dans les années 1970, les dix-huit hectares en propriété étaient menés par un fermier, avant que la famille de Grégori s’y réinstalle pour y produire essentiellement du raisin de table et de cuve. La campagne se restructure, et c’est dans ce cadre que Grégori grandit dans les années 80. Après des études aux quatre coins de France il y retourne d’ailleurs y vivre. Mais, entre-temps, son parcours professionnel l’a d’abord conduit dans le traitement des eaux. Il coordonne d’ailleurs des projets, en France et au Maghreb, durant une dizaine d’années dans ce secteur d’activité. Un peu plus tard, le hasard des rencontres l’incite à renouer avec ses premiers amours : la réalisation de vidéos professionnelles. Il commence à vendre en prestation des projets complets, essentiellement des formats courts avec, comme spécialité, la vulgarisation scientifique et technique. D’importants clients industriels établis et l’explosion du marché de la vidéo lui permettent de développer rapidement une belle petite entreprise. Depuis une dizaine d’années, la production de films publicitaires est son activité principale. Mais un séjour dans l’Ouest américain lui ouvre les yeux sur la richesse et la diversité des bières artisanales. Une diversité que la France ne connaissait pas encore.
Son intérêt pour les bières houblonnées (India Pale Ale), légères et florales se confirme. « Au-delà des recettes, les combinaisons d’orge et des variétés de houblon sont très vastes pour produire des goûts très variés », explique-t-il. D’autres connexions dans le monde de la bière artisanale précisent son envie de produire du houblon sur les terres familiales, en 2018.

Un pari gagnant

Son projet, retardé par des conflits de voisinage, est sur le point de démarrer enfin quand la Covid fait son apparition, en mars 2020. Du côté des productions vidéos, les sollicitations sont alors à l’arrêt. Mais Grégori – qui croit en la culture du houblon –  ne renonce pas pour autant. Sa petite exploitation, baptisée ‘Houbleron’, est sur le point de naître. Les poteaux pour le treillage des cultures étaient déjà commandés. Il achète aussi les plants de houblon, malgré l’incertitude économique. Ce joueur de poker sait qu’il prend un risque. « Mais c’était la meilleure chose à faire », reconnaît-il aujourd’hui. « La période de confinement nous a permis de nous investir dans la culture du houblon à 100 % durant toute la saison ». Dans un bas-fond limoneux près d’une veine d’eau, il implante une parcelle de 2 500 m² sans véritable précédent cultural, à part du melon il y a très longtemps. Il prépare d’abord le sol avec des engrais verts, pour apporter tout ce dont a besoin cette plante vivace.
Entre-temps, il se rapproche du collectif de La Bière de Provence et bénéficie également des conseils d’un producteur espagnol, pionnier de la culture en climat méditerranéen, qui dispense son expérience aux néo houblonniers de la région depuis quelques années.

Il peaufine petit à petit tout le parcours technique d’une culture qui n’est pas si complexe, autour des deux variétés, Chinook et Cascade. Du côté des maladies, le houblon craint le mildiou et l’oïdium, mais s’en préserve tant que les cultures ne sont pas intensives. Une fois les plants installés, trois traitements au cuivre et deux purins d’orties sont les seules interventions qu’il réalise, sur une parcelle productive dès la première année.

Une spécificité terroir

Bon an mal an, ses cultures donnent 80 kg de fleurs la première année. La deuxième année, en 2021, il en récolte 180 kg. Il comprend aussi que la mécanisation de la récolte s’impose et fait donc l’acquisition d’une machine de tri mécanique dans l’hiver. Les récoltes des lianes sont toujours manuelles, mais le tri des fleurs est, en revanche, beaucoup plus rapide. Le houblon est une fleur dont le stade de maturité n’est pas évident à définir. Elle doit contenir 24 % de matière sèche. « Dans la pratique, le moment de la récolte intervient quand le cône de la fleur crisse au creux de l’oreille quand on le roule », s’amuse à décrire le néo houblonnier. Mais la réalité n’est pas si éloignée.
Très nouvelle et inattendue, la production locale de Gregori surprend même les brasseurs artisanaux du coin. Quelques tests de brassins suffisent à les convaincre et consolider son réseau. Ce qui séduit dans son houblon ? « La fraîcheur et la spécificité terroir qui confère au produit des propriétés aromatiques très intéressantes, aux parfums de pêche et d’abricot », répond le producteur. Il a rapidement tissé un réseau de fidèles acheteurs.

Il n’a pas de secret ni dogme, si ce n’est « soigner les cultures avec une approche préconisée par l’agriculture biologique, et nourrir le sol sans le tasser ». Mais il n’est pas prêt pour autant d’arrêter l’audiovisuel pour planter des hectares de houblon. Grégori préfère « continuer de s’amuser et de conserver cet esprit d’amateur pour le moment ». Tout en s’efforçant de valoriser son travail.