Pâte d’arachides
À quand un beurre de cacahuètes alsaciennes ?

Anne Frintz
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La pâte d’arachides Dakatine est fabriquée depuis 1952 au Port autonome de Strasbourg. Les Moulins Advens ont investi dans la ligne de production en 2019, tant les marges sont intéressantes. Ils croient en l’ouverture d’un nouveau marché pour ce concentré de protéines végétales, auprès des sportifs, des végétariens et des véganes. Et ils espèrent qu’un jour prochain, les fruits exotiques pousseront ici même.

À quand un beurre de cacahuètes alsaciennes ?
Lionel Chevrier, devant la nouvelle ligne de conditionnement de la Dakatine, à Strasbourg. (Photo Germain Schmitt)

Les Moulins Advens produisent 2 400 à 2 500 t de pâte d’arachides par an, à Strasbourg. Vendue en GMS, leur Dakatine est troisième, au national, en termes de notoriété. La pâte d’arachides, appelée aussi beurre de cacahuètes, séduit de plus en plus de consommateurs. Et pour cause, outre son goût agréable, la cacahuète affiche une teneur en protéines (végétales, bien sûr) de 23 %. « On essaie de dynamiser l’engouement », confie Lionel Chevrier, directeur général des Moulins Advens. Si le « marché ethnique » porte la Dakatine (le produit est très utilisé dans la cuisine africaine et asiatique), « un nouveau marché s’ouvre », du côté des sportifs, des végétariens et des véganes. Pour accompagner les nouvelles tendances, le groupe a lancé des nouveaux produits, 100 % cacahuètes, sans huile de palme et a relooké un tantinet l’étiquette du produit originel, furieusement rétro. Un site Internet dédié présente depuis peu la marque, les différentes pâtes et leurs usages : plein de recettes à découvrir. Il enregistre déjà une dizaine de commandes par jour.

Le beurre de cacahuètes, c’est aussi 44 % de matières grasses, pleines d’oméga 3. Les nouveaux adeptes du 100 % cacahuètes ne craindront pas le « déphasage », entre l’huile d’arachide et la pâte. « Ça ne change rien au goût. Il suffit de mélanger et on retrouve la même texture qu’à la sortie d’usine », rappelle Marie Gstalder, 24 ans, ingénieure de production sur la partie Dakatine. « Aujourd’hui, c’est acceptable pour la plupart des consommateurs », pense Lionel Chevrier.

Des investissements conséquents

En 2019, juste après que les Moulins Advens ont repris les Grands Moulins, 1,5 milliard d’euros ont été investis dans « Dakatine ». La Région Grand Est a aidé à hauteur de plusieurs dizaines de milliers d’euros, dans le cadre de la modernisation de l’industrie locale. Une nouvelle ligne de conditionnement deux fois plus rapide que l’ancienne (toujours en activité) a été installée. « Quand on cherche à vendre des volumes, il faut les produire », raisonne Lionel Chevrier, qui était directeur de la sucrerie d’Erstein de 2007 à 2015, avant de travailler pour les Moulins Advens. La nouvelle ligne visse, outre des couvercles en plastique, des couvercles métalliques, sur les pots de verre : segmentation de l’offre oblige.

Les investissements ont aussi permis l’automatisation quasi complète de la chaîne de fabrication. Le bien-être des salariés s’en trouve amélioré puisque, là où avant les ouvriers déplaçaient de lourds chariots remplis d’arachides grillées, aujourd’hui des tuyaux assurent les transports. Coût de l’opération : 2,5 millions d’euros. Six personnes œuvrent à la production de la Dakatine actuellement, sur un total de 150 employés qui s’affairent aux Moulins Advens, à Strasbourg.

Un processus simple

Les cacahuètes (conventionnelles ou bios) arrivent, dans des big bag, crues, « décoquées » (sans la coque), au Port autonome. Elles proviennent toutes d’Amérique latine. Leur origine importe car le développement d’aflatoxines (issues d’un champignon) peut être néfaste à la santé humaine et les arachides d’Asie et d’Afrique en présentent souvent des taux supérieurs aux normes européennes.

Les cacahuètes crues sont amères. Pour fabriquer la pâte, elles sont d’abord torréfiées dans des fours ; grillées, pendant vingt minutes, à 125 °C. Quatre fours de torréfaction, contenant chacun 150 kg de fruits, tournent. Comme les chaudrons pour la confiture, ils sont « culottés » : une fine couche les tapit, qui améliore encore le goût des cacahuètes grillées. Un opérateur veille. Les fruits refroidissent (à 80 °C), avant d’être « dépelliculés » ; leur peau, une fine pellicule rouge, est enlevée, automatiquement. Leur germe, très dur et très amer, est aussi retiré. Comme les autres coproduits de la cacahuète, le germe est valorisé en alimentation animale. Les poissons profiteront de ce rebut particulier. Débarrassées de leurs scories, les cacahuètes grillées sont stockées, jusqu’à ce qu’elles soient broyées, à froid. Mais la cuve de brassage atteint, tout de même, quasiment, les 50 °C. La pâte d’arachides, obtenue après broyage, est conditionnée, dans des pots de 350 ou 500 g, et des fûts ou seaux de 2,5 à 5 kg.

Une culture rentable

La véritable histoire de la pâte d’arachides, aux Grands Moulins de Strasbourg, est inconnue. Toujours est-il que de l’huile d’arachides était pressée ici dans les années 1950, quand on a commencé à fabriquer la pâte d’arachides avec les restes de cette transformation. En termes de volumes, le beurre de cacahuètes ne représente que 1,6 à 1,7 % de la production des Moulins Advens, de Strasbourg, puisqu’ils meulent 140 000 t de blé, par an. Mais sa rentabilité est meilleure. Les Moulins Advens espèrent que l’arachide sera un jour, cultivée en Alsace, pour proposer un produit 100 % local. « Ça collerait bien à l’histoire de l’entreprise, ancrée dans son territoire », avance Lionel Chevrier. Pour que la plante pousse, il lui faut des terres sablonneuses, de l’eau et de la chaleur. Sa particularité ? La fleur tombe et le fruit se développe dans la terre. La culture, si elle réussit, s’avère rentable. « La cacahuète se valorise 1 500 €/t environ, mieux que le blé ou la betterave », conclut Lionel Chevrier, qui s’y connaît.