Tradition
Pissenlit blanc, la salade du Dunkerquois

Justine Demade Pellorce
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Ils ne sont plus que cinq à encore cultiver le pissenlit blanc, cette salade d'hiver cousine de l'endive dont le bassin dunkerquois est le berceau depuis des générations. Un produit qui demande beaucoup de travail et de savoir-faire et qui mérite l'intérêt des jeunes générations.

Pissenlit blanc, la salade du Dunkerquois
Le cycle de pousse du pissenlit blanc sest de trois à quatre semaines, après quoi les feuilles seront sectionnées à la main à l'aide d'un couteau. (Crédit photo : Justine Demade Pellorce)

« Entre la mauvaise herbe et la plante médicinale », c’est là que Matthieu Becuwe situe le pissenlit blanc, cette variété de salade produite exclusivement dans le bassin dunkerquois par les derniers producteurs au monde. Avec ses frères, Manu et Xavier, ils ont repris la ferme familiale - dite du Chêne vert - à Hoymille (Nord) et développent à la fois une activité de polyculture et de cueillette, mais aussi cette culture très singulière du pissenlit blanc, plante de la famille de la chicorée au même titre que sa cousine l’endive. Une culture qui se maintient quoiqu’elle ait vu sa production décliner au fil du siècle : moins de 100 tonnes sont produites annuellement sur moins de 50 hectares, contre cinq fois plus au moment de la Seconde Guerre mondiale. C’est simple, on est passé d’une soixantaine de producteurs à cinq aujourd’hui, et plus que quatre en 2024. Quelques kilos sont aussi cultivés dans l’est de la France ou à Angers mais pas par des producteurs dédiés (à peine 2 % de la production nationale).

Ici, l’enjeu n’est finalement pas tant celui de sa production, que celui de sa consommation : produit de niche, le pissenlit blanc est un véritable ovni « pour les moins de 45 ans », déplore Matthieu Becuwe.

Traditionnellement cultivé sur les terres sablonneuses de Rosendaël, quartier dunkerquois des maraîchers jusqu’à ce que les horticulteurs prennent le relais dans les années soixante-dix, le pissenlit blanc demeure une spécificité du bassin. « Il a juste reculé de quelques kilomètres dans les terres », situe le Hoymillois. La récolte a lieu entre octobre et janvier/février, mais au Chêne vert on s’est organisé pour produire la salade toute l’année, avec des pics de consommation pour les fêtes de fin d’année ou à Pâques. À Hoymille, entre 100 et 400 kg de salade sont ainsi produits chaque jour, un travail de fourmi.

1 000 heures de travail à l’hectare

Les graines sont semées en mars (3 kg/hectare) et les plants repiqués en juin. Les frères Becuwe emblavent dix à douze hectares de pissenlits blancs qui pousseront en terre jusqu’à l’arrachage mécanique, à partir d’octobre, des racines atteignant le diamètre d’une pièce de deux euros. Compliqué en cet automne particulièrement pluvieux : « On s’est équipé en conséquence, mais ça ne passe toujours pas », déplore Matthieu Becuwe, qui constate une baisse de la cadence de travail et des tâches plus fatigantes pour les hommes avec un retard induit de huit jours.

Le plus gros du travail commence alors seulement : il faut décortiquer les pissenlits en arrachant les feuilles vertes pour ne garder que le bourgeon, en prenant soin de ne pas abîmer l’épiderme qui l’entoure. Un travail minutieux que la dizaine de saisonniers habitués, qui viennent gonfler les effectifs pendant la période de récolte, de début octobre à début décembre, réalise avec une dextérité impressionnante. Ils travaillent au frais mais au sec dans un entrepôt jouxtant la cueillette, alors que cette étape se faisait historiquement à genoux, directement dans les champs. « C’est, globalement, une production très gourmande en main-d’œuvre avec une moyenne de 900 à 1 100 heures de travail à l’hectare », avance le Nordiste.

Ainsi dénudées, les racines sont prêtes à être mises en chambre noire ou congelées afin de pouvoir constituer un stock pour produire tout au long de l’année. « Les racines doivent être refroidies à -2,5°, précise l’agriculteur. À -3° nous perdons notre récolte, à - 2 °C ça repousse ». Une précision qui s’accompagne, comme partout, de la pression du coût de l’énergie avec un kilowatt/heure qui est passé de 5 à 23 euros. De ce congélateur sera ensuite sorti un palox par jour. Les racines sont alors placées dans des bacs percés, au frais et au noir pour que les feuilles poussent tout en restant blanches, sur le principe des endives. Grosse différence, si les endives doivent garder les racines dans l’eau, c’est l’inverse pour le pissenlit blanc qui doit lui garder les feuilles humides mais les racines au sec. Il faut donc les arroser, quotidiennement, à la lance à incendie. Le cycle de pousse est de trois à quatre semaines, après quoi les feuilles seront sectionnées à la main à l’aide d’un couteau, en veillant à garder un centimètre de racine pour la conservation.

Détox par excellence

Les casiers de 10 kg sont ensuite commercialisés via la coopérative du marché de Phalempin (à laquelle adhérent trois des cinq producteurs de pissenlits blancs) qui les conditionne en sachets fraîcheur, caissettes… On les retrouvera dans les supermarchés, chez les grossistes ou à l’export. On peut également en trouver dans la boutique de la cueillette, sur place, à Hoymille.

Une culture longue et minutieuse, aux multiples étapes manuelles - le pissenlit blanc passe sept fois dans les mains de l’homme depuis sa sortie de pépinière en juin jusqu’à la mise en rayon - qui repose sur un savoir-faire historique. La salade, qui a un goût amer très prononcé - comme une endive mais en plus concentré -, craque sous la dent et s’accommode parfaitement en salades composées. On l’imagine dressée avec des noix, des lardons et du fromage. Le pissenlit blanc permet de manger des crudités au cœur de l’hiver, comme le chou ou l’endive.

Disponible toute l’année, il est aussi un gage d’originalité, surtout servi au moment des fêtes de fin d’année ou de Pâques. L’est de la France et les pays limitrophes, comme l’Allemagne, en sont friands. Mais les consommateurs sont de moins en moins nombreux et les plus jeunes ne connaissent même pas l’existence du pissenlit blanc, qui a pourtant des vertus détoxifiantes non négligeables. « Idéal après carnaval », illustre Matthieu Becuwe. Un vrai produit dunkerquois aux ambitions internationales.

Matthieu Becuwe et ses frères, Manu et Xavier, ont repris la ferme familiale - dite du Chêne vert - à Hoymille (Nord) et développent à la fois une activité de polyculture et de cueillette, mais aussi la culture très singulière du pissenlit blanc. (Crédit photo : Justine Demade Pellorce)