Consommation
"No-low", la nouvelle tendance sans alcool

Pierrick Bourgault
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Bière, spiritueux, cocktails, vins sans alcool ou peu dosés : la tendance s’affirme, en particulier chez les jeunes et devient, en France, un domaine d’excellence. Le « dry january » ou « sobre janvier » va durer toute l’année.

"No-low", la nouvelle tendance sans alcool
Selon Sowine/Dynata, les jeunes de 18 à 25 ans représentent 44 % des consommateurs de no-low. (Photo Bourgault).

Le sujet n’est pas nouveau : les premières lois anti-alcool aux États-Unis datent de 1851 et la prohibition débuta il y a un siècle. Le Coca-Cola naît en 1885 à partir de la recette de vin aromatisé d’un pharmacien corse – mais sans vin. En France, les campagnes contre l’ébriété au volant commencent dès 1960. Ce qui est nouveau : la jeune génération porte cette tendance et une gamme dédiée s’impose dans les linéaires, de la grande distribution aux boutiques des cavistes. Un foisonnement d’initiatives, de marques, de boissons moins sucrées que les sodas. En particulier, des « spiritueux sans alcool » même si, pour le dictionnaire, un spiritueux est une boisson alcoolisée obtenue par distillation ; une même question de vocabulaire et de définition juridique se pose désormais pour le vin. Deux techniques sont utilisées : la désalcoolisation industrielle de boissons fermentées, le plus souvent par distillation à 40° sous vide, ce qui laisse toujours un peu d’alcool ; ou pour produire rigoureusement sans alcool, une infusion de plantes et d’arômes. C’est souvent un lendemain de fête que l’on promet de limiter sa consommation. « Gueule de joie » désigne un distributeur de boissons sans alcool, sur Internet puis en boutique et dans les magasins V and B. Après les agapes de fin d’année, le sujet est d’actualité : un sondage Ipsos 2023 révèle que 33 % des Français approuvent le Dry January lancé en Grande-Bretagne. Les raisons de limiter ou d’arrêter l’alcool : maigrir, conduire, préserver sa santé, pratiquer la religion musulmane – sans oublier grossesse et allaitement. Des participants affirment « mieux dormir et économiser de l’argent » – même si le sans-alcool haut de gamme est onéreux. Selon Sowine/Dynata, les jeunes de 18 à 25 ans représentent 44 % des consommateurs de no-low. Un tiers déclare ne pas aimer le goût de l’alcool, et c’est Martini qui le dit en lançant sa gamme sans alcool : « Floréale, base de délicate camomille romaine et d’essences de plantes et Vibrante, subtil équilibre entre bergamote et orange pour l’apéritif ».

Vive l’apéro dînatoire !

Car il n’est pas question de se priver d’apéro, temps fort de la vie familiale et amicale. Et comme on ne trinque pas avec un triste verre d’eau, ou avec un soda sucré qui fait grossir, nombre d’alternatives sont proposées par le collectif AperO %, qui regroupe 12 marques de boissons sans alcool innovantes dont 11 françaises. Des ingrédients de plus en plus intéressants pour les mocktails ou cocktails sans alcool (du verbe « moquer », imiter), tel le virgin mojito. « Un cocktail réalisé avec SoberWhisky 0.0 % est dix fois moins calorique qu’au whisky classique », assure Sober Spirits, distillateur dans les Alpes. Sans alcool, qui est un conservateur, cette boisson se garde 6 mois au réfrigérateur. De même, le gin Atlantis est un distillat botanique sans alcool. Yu No vient de la distillation de yuzu, genièvre, coriandre et poivre du Sichuan. Élaborée en Normandie, la marque JNPR évoque juniper berry, la baie de genièvre constitutive du gin, sans sucre et à 0,0 % d’alcool. Autre ingrédient, Boisé Absolu est « un extrait naturel, allant de notes fraîches de chêne à des notes vanillées, toastées, épicées ou fumées, qui augmente la longueur en bouche », affirment B & S Tech et Vivelys (Paris). La start-up rennaise Infuse Me vend des cocktails « à partir de plantes, épices et fleurs, à infuser à froid en 5 minutes, avec ou sans alcool ». Routin lance sa gamme Artonic sans alcool car, pour ce groupe français d’ingrédients : « No-low n’est pas un substitut, mais une vraie offre de drinks : l’alcool n’est plus au cœur des cocktails ».

La boutique Drinks & Co, près de la gare Saint-Lazare, distribue des « spiritueux sans alcool » et sa « carte miroir » propose chaque cocktail avec ou sans alcool. Cointreau revisite ses recettes avec des « cocktails alternatifs » à moins de 8 %. Autre vieille maison, Monin lance ses jus chauds Spiced Red Berries (fruits rouges épicés), aux accents scandinaves. De même que le Canada dry a « la couleur de l’alcool, le goût de l’alcool… mais n’est pas de l’alcool », les maîtres français du no-low bannissent aussi la langue française pour conquérir les marchés mondiaux. Sauf pour le vin, domaine d’excellence en France.

Bières et vins no-low

Tous les brasseurs industriels proposent une référence sans alcool, dont le Moyen-Orient consomme le tiers des ventes mondiales. En France, de rares brasseries artisanales telles Edmond Bière, Bapbap et De Sutter tentent ce segment. En effet, les industriels sont mieux placés que les artisans pour élaborer bière et vin sans alcool, ce qui rajoute une étape technique de désalcoolisation. Goxoa, élue en 2023 meilleure bière sans alcool d’Europe, naît à Montpellier mais se fabrique en Belgique.

Quant au vin, la plus réglementée des boissons, corsetée de règles et d’appellations, son passage au no-low est le plus complexe. À moins de 8,5 % d’alcool, le mot « vin » est interdit sur l’étiquette, même si tous les codes visuels sont copiés.

L’hiver, un jus de raisin chauffé avec cannelle, badiane et tranche d’orange imite le vin chaud. Cependant, sans alcool, simuler le goût d’un verre de vin s’avère plus complexe. La sympathique piquette d’antan à 9 ou 10 % a été éliminée par des crus plus flatteurs et plus forts – l’alcool pulse les arômes et gagne les concours. Aujourd’hui, le réchauffement climatique augmente la maturité et le sucre des raisins. La méthode la plus naturelle pour baisser les degrés, ajouter de l’eau avant fermentation, est toujours punie par la Répression des fraudes en tant que « mouillage » ; certains vignerons la pratiquent néanmoins avec de l’eau de source, non chlorée, indétectable. La nouvelle Politique agricole commune permettra de nommer « vin » un vin désalcoolisé en dessous des 8,5 % légaux. Les AOP et IGP pourront-elles subir ce traitement ? Débats en cours.

Des succès français

En attendant, parmi les noms francophones des « boissons à base de vin désalcoolisé », Bonne Nouvelle faible en alcool et en calories est élaboré chez Cordier by InVivo en rouge, rosé, blanc et pétillant tandis que Petit Béret, « une infusion de pépins de raisin, jus de raisin et arômes naturels sans fermentation », donc à 0,0 %, conquiert les rayons de Carrefour. Le site sauvignonnes.com vend des vins sans alcool, dont Moderato. La cave coopérative Berticot lance sa gamme sans alcool Bertic0 % t, le domaine de Blau ses Cypher à 0 %. Même Coralie de Boüard, dont la famille possède le château Angélus, produit son Prince Oscar sans alcool pour les propriétaires qataris du Parc des princes, à 29 € la bouteille. Cultivant l’image et le tarif du champagne, Nooh by La Coste pétillant s’affiche à 35 €. La jeune maison française French Bloom a été récompensée Meilleur vin effervescent sans alcool au monde 2023 et exporte dans les adresses chics d’une trentaine de pays, en particulier les Sofitel qui promettent « une expérience client orientée autour du sans alcool ». Pour couronner ces boissons, la haute gastronomie explore des accords avec les plats : Anne-Sophie Pic lance un menu sans alcool dans son restaurant 3 étoiles Michelin ; autre triple étoilé, le Mirazur à Menton du chef Mauro Colagreco, meilleur restaurant du monde 2019, a mis au point sa gamme de vins Tempera sans alcool. Une arrivée triomphale.