Un poulailler contre vents et marées
Aviculteur sur la commune de Sauzet (Drôme), Antonin Chabert a fait construire un poulailler de 29 500 volailles en 2022. Dès l’annonce de son projet, il a été confronté aux oppositions de son voisinage. Une période qu’il a traversée avec beaucoup de philosophie.

Aller au bout de son projet coûte que coûte. Antonin Chabert, 27 ans, s’est installé le 1er octobre 2020 sur 14 hectares (ha) sur la commune de Sauzet (Drôme). Après l’obtention de son CAP en sylviculture en 2016 et une validation des acquis de l’expérience (VAE), il a décroché son brevet professionnel responsable d'exploitation agricole (BPREA) au lycée du Valentin à Bourg-lès-Valence (Drôme) en 2019. Dans les années 2000, son père – alors gérant d’une entreprise – s’est installé sur une vingtaine d’hectares, avec un élevage d’autruches. En 2012, en prévision de l’installation d’Antonin, il a fait construire un poulailler à Savasse (Drôme). « Aujourd’hui, c’est ma mère qui en a la charge », explique Antonin Chabert. Son désir d’installation se concrétise finalement à Sauzet. « J’ai eu l’opportunité d’acheter 14 ha, sur lequel j’avais comme projet de construire mon propre poulailler, d’une superficie de 3 400 m², fumière comprise », poursuit-il. À ce moment-là, il ignorait que son parcours d’installation allait se compliquer. Un premier refus du permis de construire l’oblige à signer une convention avec le syndicat intercommunal des eaux du bas Roubion et de Citelle pour un renforcement au réseau d'eau avec une participation financière. Le permis obtenu, au 1er juin 2020, il fait le tour de ses voisins les plus proches et met l’affichage obligatoire sur sa parcelle. « Je suis allé voir sept voisins. Cinq d’entre eux n’étaient pas contre et comprenaient qu’il fallait manger français ». Toutefois, les plus récalcitrants au projet ne se sont pas laissé faire, mettant en cause l’aggravation du risque d’inondations dans le secteur, les nuisances olfactives, la dégradation du paysage, etc.
Quatre ans de procédures
Recours gracieux, pétition, recours au tribunal administratif, demande de suspension du permis de construire, saisie du Conseil d’État, autant de procédures faites par le collectif d’opposants entre 2020 et 2024. Finalement, le 5 mars 2024, le tribunal Administratif de Grenoble a rendu sa décision, précisant que le dossier était conforme aux exigences légales et que les moyens soulevés n’étaient pas fondés. « Si j’avais attendu les décisions finales, j’aurais perdu trois ans. Alors certes, j’ai pris le risque qu’on me fasse démonter mon poulailler… Dès le départ, j’ai été accompagné par mon avocate, Maître Mélanie Maingourd (barreau de Montpellier), spécialisée sur ces dossiers-là. Ayant mon permis en règle, elle m’a encouragé à continuer ».
Durant toutes ces années, Antonin Chabert n’a jamais pu avoir d’échanges constructifs avec les opposants au projet. « Il n’y a jamais eu de discussion possible. J’aurai pu organiser 50 réunions, ça n’aurait rien changé ! C’est malheureux, d’autant plus qu’en France, il manque encore des volailles de chair, des poules pondeuses… ». Ainsi, depuis septembre 2023, le jeune homme élève 29 500 poules pondeuses en plein air et commercialise ses œufs sous l’appellation « L’œuf de nos villages » avec un intégrateur de Grillon (Vaucluse).
Avec une force de caractère inébranlable, l’éleveur ne regrette rien. « J’ai pris des risques, mais il fallait persévérer et ne pas baisser les bras. De toute façon, j’avais besoin de cet atelier pour vivre, car 14 ha ne suffisaient pas. Finalement, je ne l’ai pas trop mal vécu, car j’ai eu la chance d’être bien accompagné et soutenu par mon avocate et mon intégrateur », avoue-t-il. Au niveau financier, le jeune éleveur a connu des répercussions importantes : 10 000 € environ pour les frais d’avocat et près de 200 000 € d’augmentation liée au coût des matériaux.
Aujourd’hui, Antonin Chabert a pu agrandir sa surface agricole utile (SAU), en prenant 36 ha en fermage, sur lesquels il cultive du basilic, des pommes de terre, et tout type de semences : oignons, cardons, artichaut, colza, tournesol, etc.
« La communication doit faire partie intégrante de notre métier »
Hélène Bombart est présidente d’Afivol - interprofession avicole – et éleveuse de volailles dans le nord Drôme. Elle souligne l’importance de communiquer sur le métier d’éleveur.
Communiquer lors de la construction d’un poulailler est-il une bonne stratégie ?
Hélène Bombart : « Nous voyons que la plupart des projets se heurtent à des hostilités, des oppositions que nous n’avions pas il y a dix ou vingt ans. Nous n’avons certainement pas assez suffisamment communiqué dans le passé, contrairement à des associations – qui défendent leurs causes – et qui ont su utiliser les réseaux sociaux pour toucher le grand public. Aujourd’hui, nous remarquons donc un fossé entre ce que les gens pensent de notre métier d’aviculteur et ce qu’il en est réellement. De ce fait, je ne crois pas que nous puissions nous abstenir d’expliquer notre métier. La communication doit aujourd’hui faire partie intégrante de notre métier ».
Dans ce cas, comment bien communiquer auprès du grand public ?
H. B. : « Je suis plutôt d’avis de communiquer avant même le début du projet, même si je conçois que cela peut être démoralisant. Parfois, la moindre démarche administrative entraîne des oppositions. On pourrait penser qu’en ne disant rien, on pourrait passer au travers… Ce qui est faux. Il vaut mieux communiquer dès le départ, avec les voisins, le maire, etc., en expliquant très simplement notre métier, sans termes techniques. C’est à nous d’adapter nos discours pour qu’ils soient accessibles à tous, sans pour autant avoir besoin de rentrer dans les détails ».
Quel rôle peut jouer l’interprofession Afivol dans cette problématique ?
H. B. : « Les jeunes sont malheureusement peu épaulés, et cela peut être assez difficile à vivre. Ils peuvent être soutenus par les intégrateurs pour essayer de mettre en place des méthodes de communication communes. Au sein d’Afivol, nous démarrons un projet pour expliquer aux élus pourquoi nous avons besoin de tous les modes d’élevage, pourquoi il est nécessaire aujourd’hui de construire de nouveaux poulaillers, etc. Par ailleurs, nous réalisons des petites vidéos auprès de jeunes éleveurs(1) pour pouvoir montrer les différents modes d’élevage en volailles de chair ou pondeuses, mais aussi leur parcours d’installation ».
(1) https://www.youtube.com/watch?v=5AMRfZlotqs