Le porto coule dans la vallée du Douro
Avant de se jeter dans l’océan, le Douro dessine une vallée qui donne naissance au porto. Ce vin, auquel on ajoute une bonne dose d’eau-de-vie, s’exporte depuis des siècles dans le monde entier. Mais sur ces coteaux, on produit également le vin du Douro, beaucoup moins connu. Les deux appellations font la fierté de domaines ancestraux et les affaires de grandes marques. Mais sous le soleil du Portugal, aussi, la viticulture rencontre des difficultés.

Alors que la ville de Porto est balayée par les vents de l’Atlantique, la vallée du Douro et ses 24 000 ha de vignes en terrasse jouissent d’un climat très différent. À l’abri des embruns marins, les vignes doivent pourtant beaucoup à l’océan qui a permis au vin de Porto de s’exporter (lire encadré). Des grandes marques aux petits domaines, des noms ont traversé les siècles, comme celui de José Teixeira Pinto Vasconcellos. En 1879, il crée son entreprise d’exportation. Une affaire florissante vendue, quelque 130 années plus tard, en 2011, à un Français. Vasconcellos est désormais détenue par l’entreprise familiale Christie’s Port Wine Producer & Skipper, qui compte 10 salariés (lire encadré).
Typique de la région, le domaine Vascocellos s’est développé sur deux sites. En amont de la vallée du Douro, sur sa propriété Quinta Dona Mafalda : 7 hectares de vignes impossibles à mécaniser, dont un tiers constitué de vieilles vignes, y sont exploités. Et en aval, sur les quais de Vila Nova de Gaïa, où se trouve la cave. Le domaine produit du vin des deux appellations de la région. Si dans les vignes, le travail est presque le même pour l’une et l’autre, dès les vendanges en septembre les procédés diffèrent.
Une vallée, deux appellations
Le vin du Douro est un vin d’assemblage sec, généralement rouge. Un œnologue indépendant conseille et suit la maturité de la vigne de la Quinta Dona Mafalda. « Depuis 2023, le domaine produit également un blanc. Jusqu’à présent, c’était hors de question, raconte Candice Christie, contrôleuse de production et commerciale chez Christie’s port wine. Mais un importateur suisse nous en a fait la demande. Notre œnologue a voulu essayer. L’échantillon a été présenté et validé à Prowine en mars. Nous sommes directement passés à l’embouteillage et les premières bouteilles ont été commercialisées en 2024 ». La nouvelle offre a également séduit les touristes, mais c’est moins évident pour les locaux. « À 18 euros la bouteille, le positionnement prix est dans la lignée de nos vins rouge, alors ça peut freiner les consommateurs habitués à des prix moins cher que l’eau, ici au Portugal », regrette Candice.
Quand il s’agit de produire du vin de Porto, l’œnologue dédié ne met, lui, pas les pieds dans les vignes. L’essentiel se passe quelques jours après la vendange, quand on ajoute de l’eau-de-vie à 77 degrés au moût pour stopper sa fermentation : c’est le mutage. Le moment choisi est la clé qui détermine le sucre et le fruit du futur porto, et lui permet de bien vieillir, sous contrôle. Stabilisé, le vin entame son voyage le long du Douro au printemps, jusqu’à la cave. En fonction du potentiel, l’œnologue détermine la destination du vin, en fût ou en bouteille ; et imagine les assemblages qui donneront naissance à différents portos (tawny, colheitas vintage, ruby…). Chaque mois, l’œnologue de Vasconcellos contrôle les 257 fûts entreposés à Vila Nova de Gaya. Car le vin de Porto répond à des règles très précises, surveillées de très près par l’interprofession. L’Institut des vins du Douro et de Porto rend d’ailleurs régulièrement visite aux caves pour les contrôler. « Comme l’inspection du travail », ironise Candice.
Le domaine produit 40 000 bouteilles chaque année, dont 10 000 de porto et 30 000 de vin du Douro. Son trésor est un porto de plus de 80 ans. Il n’en reste que quelques fûts, à peine 1 000 litres.
Face à la surproduction
Reste que derrière la carte postale et les magnifiques caves, les maisons de vins de Porto connaissent les mêmes difficultés que les vignobles français. Les 20 000 vignerons de la région se trouvent confrontés aux conséquences d’années de surproduction. Si le vin du Douro connaît des ventes en hausse, pour le porto, elles dégringolent. Le changement d’habitude de consommation est mondial. Ainsi, au cours des 15 dernières années, les volumes de porto écoulés sur le marché ont chuté d’un quart, à près de 65 Ml en 2023.
Pour faire face, l’interprofession a décidé en 2024 une diminution de la production à 90 000 barriques de 550 l (49,5 Ml), contre 104 000 barriques en 2023. Les grandes marques, qui représentent 90 % du marché, limitent les pertes grâce aux stocks accumulés. Les petits producteurs souffrent plus de la situation. L’arrachage est dans les discussions, mais fait débat.
Du haut de gamme et l’exportation
Le petit domaine Vasconcellos, qui propose plutôt des vins haut de gamme, n’est pas encore en difficulté. Son premier prix pour un porto (10 ans d’âge) est d’une trentaine d’euros ; sa meilleure bouteille dépasse les 1 000 euros. Il commercialise ses bouteilles essentiellement à l’export et auprès des professionnels (cavistes, restaurateurs…). Mais pour le vin du Douro, son manque de notoriété est un frein. « Cela ne fait que 15 ou 20 ans qu’on en parle… », relativise Candice. Autre enjeu qui pénalise fortement l’entreprise, et bien d’autres : la main-d’œuvre. « C’est un énorme problème dans la région du Douro. Les jeunes quittent la vallée car les salaires ne sont pas attractifs et que le coût de la vie a fortement augmenté, explique Candice. Nous faisons appel à de la main-d’œuvre étrangère ».
Difficultés économiques donc, mais aussi un déficit d’image, et pour couronner le tout, une profession très soucieuse de conserver ses règles très strictes et ses traditions. Candice est néanmoins optimiste. « La nouvelle génération essaie de faire la différence, même dans les très grandes maisons. C’est un beau défi de faire bouger les lignes ! ».
Conquistadors
L’histoire du porto commence au XVIIe siècle. Privés du vin de Bordeaux à cause Louis XIV, les Anglais se tournent vers le vin de Porto. Conquis, les Britanniques obtiennent le droit d’installer des maisons de négoce au Portugal. Pour faciliter le voyage, on ajoutait à l’époque quelques gouttes d’eau-de-vie dans le vin. Un de ces marchands anglais décide alors d’augmenter la dose. Le vin en est transformé et son avenir aussi. Sur les quais de Villa Nova de Gaïa, qui font face à la ville de Porto, s’alignent les maisons de marques emblématiques (Porto Cruz, Calém, Sandeman…). Elles font désormais partie de grands groupes internationaux et proposent des visites de leurs caves aux touristes.
Une famille française au Portugal
Candice Christie, contrôleuse de production et commerciale chez Christie’s port wine, a rejoint l’aventure, désormais familiale, il y a 3 ans. « Mon père est arrivé au Portugal en 1979. Il venait faire l’audit de la maison Vasconcellos… Et a fini par reprendre l’entreprise ». C’était il y a 45 ans. « Il n’avait jamais bu de vin de Porto avant, raconte Candice. Il a appris sur le tas. De mon côté, j’ai toujours adoré le vin. Je l’accompagnais sur des salons. Mais je me destinais à être hôtesse de l’air ». Les expériences professionnelles se succédant, elle finit par participer à ses premières vendanges en 2021. Père et fille partagent leur vie entre la France et le Portugal. « À l’époque, c’était très compliqué de voir un étranger s’installer ici. Seuls les Anglais étaient présents dans le milieu des vins de Porto. D’autant plus que la maison porte un nom portugais. Mais je dirais qu’aujourd’hui, le plus difficile c’est surtout d’être une femme dans ce milieu très masculin », conclut Candice.


