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Parc national

Éviter l’irréversible

Les agriculteurs de haute Côte-d’Or poursuivent leur combat dans le dossier du parc national. L’assemblée générale du GIP du futur parc national des forêts de Champagne et Bourgogne s’est déroulée la semaine dernière en Haute-Marne. La 3ème version de la charte du parc a été approuvée à un peu plus de 78%. De nombreux agriculteurs ont participé à une marche pacifique pour dénoncer une nouvelle fois la présence de terres agricoles en plein cœur du parc, qui seront soumises à d’importantes contraintes.
Aurélien Genest
Par Ma signature
Éviter l’irréversible
« Nous subissons un projet d’État »
Thierry Ronot est en charge du dossier du parc national auprès de la FDSEA de Côte-d’Or. L’agriculteur de Lucey ne les a pas comptées, mais estime à plus de 100 le nombre de réunions auxquelles il a déjà pris part depuis 2009 et l’annonce de la création du parc : «Cela représente bien évidemment beaucoup d’énergie et de temps. Nous nous battons constamment pour retourner au projet initial qui ne considérait que les forêts domaniales».

Pas de développement possible
Thierry Ronot se dit «constamment sur les nerfs» : «nous avons l’impression de ne pas être entendus par le GIP et nos ministères. Cela dit, nous continuons de nous faire entendre. La marche pacifique que nous avons organisée en marge de l’assemblée du GIP en est un nouvel exemple. Nous subissons un projet d’État, ce parc n’est en aucun cas un projet de territoire car il n’y a aucun projet de développement. Les exemples sont nombreux, le photovoltaïque ou les éoliennes seront soumis à autorisation. Il ne sera plus possible de toucher aux blaireautières, cela va engendrer des risques sanitaires et des dégâts dans les cultures. Et que penser des contraintes imposées dans les pratiques agricoles en cœur... De toute façon, un parc national n’a pas la vocation de développer. Son but, par définition, est de conserver et préserver. Aucun financement n’est acquis à ce jour. Les nombreuses contraintes ne sont couplées à aucune aide, il n’y a aucune compensation pour la zone de cœur. Et si des MAEC venaient à arriver en Côte-d’Or, elles pourraient être ciblées dans le parc. On déshabillerait Pierre pour habiller Jacques dans cette histoire et ça, nous n’en voulons pas».

2 400 ha problématiques
Si 20 000 ha de terres agricoles étaient concernés par le cœur du parc il y a encore quelques années, cette surface problématique a aujourd’hui chuté à 2 400 hectares par le fruit de la pression syndicale. Une cinquantaine d’agriculteurs côte-d’oriens et haut-marnais possèdent des terres dans cette zone de cœur, recensant notamment 250 ha de prairies remarquables. «Tous ces hectares sont encore de trop et nous continuons le combat», affirme Thierry Ronot, «des sortes de couloirs ont été conservés pour faire relier les forêts entre elles, nous n’en voulons pas. Le contexte agricole est déjà suffisamment compliqué...». L’agriculteur de Lucey ne se dit pas étonné du résultat du vote du 15 mars, ayant approuvé la version 3 de la charte dans de grandes proportions : «L’agriculture ne compte que 25 voix sur 680 ! Nous nous attendions à un vote favorable à hauteur de 80%».

Des contraintes mais rien en face
Les membres du Gaec Martens élèvent 60 Brunes, 20 Charolaises et cultivent 250 hectares de SAU. L’exploitation basée à Essarois possède 33 hectares dans le cœur de parc. «La moitié concerne des terres recevant régulièrement du maïs, l’autre partie est représentée par des prairies» indique Romuald Remy, qui se lance dans un listing non exhaustif des contraintes à envisager sur cette surface : «il serait à priori question d’interdire à terme les clôtures anti-gibier. Avec la pression d’animaux sauvages que nous avons par ici -et qui risque fort de se développer si la situation n’évolue pas plus intelligemment-, notre maïs est en grand danger. Si nous arrêtons cette culture, que donnera t-on à nos vaches laitières ? Nous avons bien des terres ailleurs, en l’occurrence à 16 km, mais le rendement sera moindre, il faudra consacrer deux fois plus d’hectares au maïs, faire davantage de route avec tout ce qui s’en suit. Les charges et les pertes de temps ne feront qu’augmenter. Pour nos prés, nous avons la chance d’avoir une rivière qui les traverse. Nous n’avons pas besoin aujourd’hui d’apporter de l’eau aux vaches. Mais le parc envisage de limiter le passage des bêtes dans l’eau. Si cela venait à se confirmer dans ces prairies dites patrimoniales, nous ne pourrions plus accéder à certaines parcelles. Il faudra acheter et installer des abreuvoirs». Pour Aurélie Martens, les agriculteurs se font «rouler dans la farine» : «Nous avons participé à des groupes de travail et participé à l’écriture de la charte. Ce que nous avions proposé a été rayé, ils ont écrit ce qu’ils voulaient. Nous avons en face de nous un véritable rouleau compresseur. Un exemple parmi tant d’autres : la fertilisation des prairies a été plafonnée à 40 unités, alors que les agriculteurs en préconisaient 80. Quarante unités peuvent suffire certaines d’années, mais pas tout le temps. Nous avions émis l’hypothèse qu’une MAEC soit proposée à celles et ceux qui accepteraient d’abaisser leur fertilisation, mais rien n’a été retenu. Ils imposent des contraintes, mais il n’y a rien en face. Pour nos prés, il faudra sans doute faire des ponts, mais qui va payer  ? Des tas d’études sur les libellules et les petits oiseaux ont été réalisées mais il n’y a absolument rien de concret sur le développement. Ils ne prennent pas en compte les acteurs économiques». Romuald Remy s’inquiète pour le devenir du territoire : «les élevages et les cultures qui n’existent pas aujourd’hui n’auront pas lieu d’être dans les prochaines années. Tout sera soumis à autorisation, autant dire que cela devrait être compliqué. Certaines productions pourraient pourtant être amenées à voir le jour demain, en fonction des marchés et du changement climatique».

Vers des pratiques verrouillées
Le Gaec de l’Étang du Roy, à Voulaines-les-Templiers, se demande bien ce qu’il lui arrive. Gabriel Deloge, Loïc et Christine Lecointe possèdent 40 de leurs hectares en plein cœur du parc et s’interrogent grandement sur les futures contraintes de leur exploitation de polyculture-élevage lait. «Il leur fallait ce parc, nous sommes rentrés dedans sans qu’on nous demande notre avis», déplore d’emblée Loïc Lecointe, qui ne se doutait pas d’une telle tournure des événements en 2009, quand François Fillon, l’ancien Premier ministre, était venu en haute Côte-d’Or annoncer la création du parc. «Seules les forêts feuillues étaient concernées à l’époque, cela ne devait pas nous poser le moindre problème» évoque l’agriculteur. Les temps ont visiblement bien changé. Malgré leur bonne intention de prendre part à différents groupes de travail, les membres du Gaec de l’Étang Roy n’ont pas été entendus, comme l’explique Gabriel Deloge : «nous avons participé à plusieurs réunions l’an passé. Un certain nombre de points techniques ont été abordés, il fallait mettre des bornes, fixer des limites et des normes. Les réflexions n’ont pas toujours été très simples, mais nous nous sommes tous mis d’accord, même avec le GIP. Mais quand le dossier est revenu du CNPN, tout avait été resserré. Nos positions n’ont servi à rien, ni le temps que nous y avons consacré».

Décisions prises depuis Paris
L’exploitation possède 20 hectares de prairies dans le cœur de parc : «celles-ci ont été classées prairies patrimoniales, sans doute depuis des bureaux à Paris. Des experts de la faune et de la flore viendront prochainement étudier les parcelles concernées, avec l’hypothèse, peut-être, de ne plus pouvoir mettre les vaches au pré. Dans tous les cas, il ne sera plus possible de déparasiter les bêtes dans ces prairies, on se demande bien pourquoi... L’agriculture est clairement menacée». Loïc Lecointe ne digère pas : «nous sortons les génisses généralement du 15 avril à fin septembre. La faune et la flore existantes ne doivent pas être bien impactées puisqu’elles sont là, aujourd’hui, alors pourquoi tout changer ? Nous avons du mal à comprendre». La ferme de Voulaines possède également 20 hectares de grandes cultures en zone de cœur : «nous craignons une baisse de la productivité liée à une diminution de la fertilisation, une impossibilité d’entretenir les fossés ou d’utiliser tel ou tel produit phytosanitaire... Nos pratiques vont être limitées, voire carrément verrouillées. L’agriculture ne va déjà pas très bien, elle n’a pas besoin de ça. Qu’allons-nous faire avec des moyens de productions amputés ?», s’interroge pour sa part Christine Lecointe, «ce dossier créé des tensions inutiles dans le secteur. Le fonctionnement du GIP coûte une fortune et cela n’est pas du tout justifié. Je ne pense vraiment pas que le tourisme explosera quand le parc sera lancé. Les exemples d’aberrations sont nombreux. Des blaireaux étaient jusqu’à présent prélevés pour la tuberculose, il est question désormais de les laisser pulluler. La divagation des chiens dans les prairies serait interdite et pourrait même être réprimandé, c’est totalement ridicule».