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Sensibilisation

Des techniciens à l’écoute de l’humain

Cinq étudiants d’Agrosup Dijon, qui se destinent à la profession d’ingénieur agronome, ont décidé de consacrer un important travail à la problématique du suicide chez les agriculteurs. Le but était de sensibiliser les futurs techniciens à cette dimension humaine qui peut parfois intervenir dans l’exercice de leur activité professionnelle.
Par Berty Robert
Des techniciens à l’écoute de l’humain
Le projet de ces cinq étudiants d’Agrosup a été commandité par la Chambre régionale d’agriculture de Bourgogne Franche-Comté.
Le 23 janvier, au cinéma Le Cap Vert de Quetigny, près de Dijon, avait lieu une projection un peu particulière: on diffusait ce soir-là le film «Au nom de la terre», réalisé par Edouard Bergeon et notamment interprété par Guillaume Canet, dans le rôle d’un agriculteur qui, épuisé, met fin à ses jours. Un film au succès populaire réel puisqu’il a attiré plus de 2 millions de spectateurs en France. Preuve que la thématique qu’il aborde a une résonance dans la population. à l’origine de cette projection, on trouve cinq étudiants en 2e année d’agronomie au sein d’Agrosup Dijon (Florian Daloz, Justine Degenmann, Victor Guyon, Ophélie Pierçon et Apolline Pissot). Ils avaient décidé de prolonger la projection par un débat et, en cela, ils mettaient un point final à un travail entamé en septembre, qui a également donné lieu à l’organisation d’ateliers auprès de leurs homologues étudiants, le 15 janvier, dans les locaux d’Agrosup. Ce qui a poussé ces étudiants qui se destinent à la profession d’ingénieur agronome à consacrer des travaux de recherche au thème du suicide chez les agriculteurs, c’est la conscience qu’ils ont que ces dimensions humaines, parfois dramatiques, ne sont pas assez présentes dans leur cursus. «à la base, sur notre groupe de cinq», précise Apolline Pissot, «nous sommes quatre issus de familles d’agriculteurs. C’était donc une problématique qui nous touchait directement. Le film «Au nom de la terre» représentait vraiment une mise en avant de la question, nous avons sauté sur l’occasion, d’autant plus qu’en 2ème année d’Agronomie, nous devons réaliser un projet nommé «Phase B». L’idée de consacrer notre projet à cette thématique est née à la suite d’une discussion avec Christian Decerle, président de la Chambre régionale d’agriculture de Bourgogne France-Comté, mais aussi du conseil de perfectionnement de la formation d’ingénieur, au sein d’Agrosup, qui nous a encouragé à aller dans ce sens». Au fur et à mesure de la structuration de leur projet, les étudiants ont décidé de se pencher plus particulièrement sur la manière dont les organismes para-agricoles agissaient sur la question du suicide. «Ce qui nous a frappé», ajoute Ophélie Pierçon, «c’est que le suicide des agriculteurs est un fait social, pas forcément lié à une situation économique, mais que nous n’avions jamais abordé en cours». Ces jeunes ont pris conscience qu’en étant de futurs acteurs de la filière, ils auraient un rôle à jouer sur cette question difficile, encore fallait-il y sensibiliser des étudiants qui ne sont pas tous issus du monde agricole. Une sensibilisation qui est passée par l’organisation des ateliers du 15 janvier, eux-mêmes le fruit d’un important travail de collecte de données et d’entretiens menés ces derniers mois, et qui ont rassemblé plus de 200 personnes. «Le but», souligne Apolline Pissot, «c’est de fournir des éléments concrets aux étudiants et futurs professionnels sur trois points : comment repérer un agriculteur fragilisé ou en détresse, comment l’orienter et comment agir. En conjuguant un aspect théorique, par le biais des ateliers, et un autre qui laisse place à l’émotion, avec la projection du film, on a le sentiment d’apporter quelque chose de complet et qui constitue une base de réflexion pour tous». L’accent, lors des ateliers, était mis sur la possibilité d’interagir pour les étudiants fortement incités à poser toutes les questions qui pouvaient les préoccuper. Un exercice qui a bien fonctionné. «Ce que nous démontrons», explique Florian Daloz, «c’est que le suicide des agriculteurs est multi-factoriel. Il n’est pas réservé à un type précis d’exploitation ou de production. Nous essayons de montrer aux étudiants ce qu’ils pourront faire si un jour ils sont confrontés à un agriculteur en détresse, au sein du schéma signaux d’alerte-causes-organismes de soutien...»

Des signes à repérer

Dans leur volonté d’amener des étudiants -qui se destinent avant tout à devenir des techniciens de l’agriculture- à adopter un regard plus humain sur les choses, les responsables de ce travail sur le suicide des agriculteurs ont oeuvré à défricher, pour leurs camarades parfois peu au fait de ces choses, la complexité des organisations agricoles pouvant venir en aide aux professionnels fragilisés. Comprendre ce qu’est la MSA, distinguer les services dédiés dans les Chambres d’agriculture ont été des points développés lors des ateliers. Les cinq étudiants ont aussi fourni des éléments permettant d’être plus sensibles à certains signaux d’alerte. C’est, par exemple, l’isolement de l’agriculteur, la tenue d’un discours désabusé, des bêtes laissées sans bons soins, le fait de ne plus se lever le matin, de ne plus fréquenter les réunions d’organisations professionnelles. Leur travail leur a aussi permis de pointer une spécificité du monde agricole qu’on rencontre peu dans d’autres professions : l’imbrication étroite entre les sphères professionnelles, familiales, personnelles et sociales. Autant d’éléments à prendre en compte.