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Rentrée économique du Crédit Agricole Champagne-Bourgogne

Consommation : Olivier Dauvers renverse la table

Le Crédit Agricole Champagne-Bourgogne a organisé le 7 septembre dernier sa traditionnelle réunion de rentrée à destination d’élus, d’officiels et de représentants de la filière agricole. En « guest star », Olivier Dauvers, spécialiste de la grande distribution et des questions agricoles et agro-alimentaires en Europe. Ses propos décoiffants et volontairement iconoclastes n’ont pas manquer de bousculer l’assistance. Morceaux choisis.
Par Anne-Marie Klein
Consommation :  Olivier Dauvers renverse la table
Le big bang était aussi dans la salle, un peu bousculée dans ses certitudes et confrontée à la nécessité de revoir certains positionnements stratégiques
D’entrée de jeu, le ton est donné, on ne se positionne plus du champ à l’assiette mais de l’assiette au champ. Car en matière de consommation c’est le consommateur qui a la main, chéri par la grande distribution, influencé de toutes parts par des messages subliminaux, pétri de contradictions souvent, mais seul maître de son porte-monnaie. Les changements des modes de consommation bouleversent les pratiques et les certitudes du monde agricole ; avant d’espérer peser d’une quelconque façon sur un marché, il vaut mieux bien connaître l’assiette du consommateur et ses attentes.

Un big bang commercial
Les demandes des consommateurs évoluent rapidement, alors que la grande distribution, piégée dans une guerre des prix qui n’est pas prête de s’arrêter, doit aussi s’adapter face à la concurrence de nouveaux acteurs et à la fragmentation de l’offre. Face à ce qu’Olivier Dauvers qualifie de «big bang commercial», le monde agricole doit changer de paradygme et s’ouvrir à ces nouvelles réalités. L’observation du marché de l’alimentaire et de l’agroalimentaire permet d’isoler quelques grandes tendances, mais encore faut-il les interpréter correctement. La demande en bio croît de 17% l’an, alors que ce marché ne représente que 5% de l’agroalimentaire. C’est cependant une tendance lourde à ne pas négliger. Ce succès repose sur une promesse essentielle aux yeux des consommateurs, déçus et inquiets face à certaines dérives et à l’opacité de l’industrie agroalimentaire : la santé, la sécurité alimentaire...
Le succès de différentes démarches nutritionnelles s’explique par cette forte attente des consommateurs en matière de réassurance. La grande distribution est donc confrontée elle aussi «à la nécessité d’apporter un niveau de réassurance inouï au consommateur». Un consommateur qui au final a toujours raison et mène le jeu. Inutile de souligner la marginalité de certaines démarches, car mises bout à bout, toutes ces évolutions entraînent une transformation profonde de la demande. Un exemple : l’apparition d’un jus de fruits «vegan» peut prêter à sourire, mais c’est un fait que les jus sont souvent clarifiés avec de la gélatine de porc. Ce qui peut rebuter plus d’un consommateur, même s’il n’est pas vegan !
Fait rassurant : «un client sur deux est prêt à payer pour l’origine française garantie». Ainsi,  la marque territoriale «Produit de Bretagne» est l’une de celles qui marche le mieux. Olivier Dauvers distingue deux grandes attentes des consommateurs :
- la santé par la nutrition, les bénéfices personnels, la satisfaction de l’ego...
- l’équitable, l’éthique, la planète, les solidarités...
Seulement, certaines attententes paient mieux et plus rapidement : «la consommation c’est d’abord de l’égoïsme», la recherche d’un bénéfice personnel. En replaçant le consommateur comme acteur principal et décisionnaire, la formule «C’est qui le patron ?» a fait un tabac car elle a trouvé le bon ressort d’achat.
«La bonne nouvelle c’est que le client s’inquiète beaucoup sur la nature de sa consommation» argumente l’intervenant. Et ces inquiétudes concernent à 80% les fruits et légumes, la viande, le poisson, les produits industriels... Ce qui explique la croissance des demandes «sans» : sans OGM, sans pesticides, sans gluten ajouté, sans... sans... sans... La liste ne cesse pas de s’allonger. Contrairement aux idées reçues, le consommateur est prêt à payer plus «si cela en vaut la peine». Les statistiques montrent que «pour une petite part de sa consommation et en fonction de leurs moyens, tous les clients sont prêts à monter très haut si le résultat est à la hauteur de la promesse».

Consolider l’offre et la rendre plus lisible
Cette toile de fond de la consommation des ménages brossée, reste à examiner le décor : 90% des Français font leurs courses chaque semaine dans les grandes surfaces. C’est une tendance lourde qui n’est pas prêt de changer. Mais la consommation stagne (0% de croissance), c’est une autre tendance lourde qui explique la guerre des prix féroce que se livrent les grands et les moins grands de la distribution. Une guerre qui ne s’arrêtera que lorsque l’on arrêtera d’accroître les surfaces. «Pour la première fois, les grands de la distribution ont perdu des parts d’estomacs, -2% en 5 ans» précise Olivier Dauvers.
Pour gagner plus, tous les distributeurs se donnent un même objectif : «augmenter la valeur en faisant croître le prix de la calorie vendue». Le rayon charcuterie s’enrichit d’un espace traiteur, le point chaud devient «atelier farine»...  L’alimentaire devient un enjeu économique majeur, car dans le non alimentaire, le e-commerce a déjà gagné la guerre.
Nous vivons donc, conclu l’intervenant «une époque formidable mais inquiétante quant aux changements et aux bouleversements induits». L’agriculture est confrontée à ce qui équivaut à «une révolution culturelle». Au premier chef, Olivier Dauvers recommande de considérer que «les clients que sont les distributeurs et les consommateurs sont la solution plus que le problème». Reste que le secteur agricole doit continuer de poser «la question du rapport de force au sein des filières» et comprendre que «le vrai problème de la ferme France se situe au niveau de sa compétitivité».
Pour cet observateur éclairé, «la bataille à gagner absolument c’est celle de l’affichage de l’origine des produits», contre Bruxelles si nécessaire. Il faut obtenir à tout prix l’obligation de précision et de lisibilité de l’origine de toutes les matières premières sur les produits transformés. Stratégie selon lui
beaucoup plus efficace à long terme que le blocage passager d’un Leclerc. Car là encore, le maître du jeu reste le consommateur, rassuré quant à l’origine et donc la qualité et la sécurité des produits utilisés. Ce qui ne peut à terme qu’augmenter la valeur des produits de base en jouant sur «la préférence alimentaire nationale». À l’avenir seuls de puissants collectifs économiques issus du monde agricole pourront selon Olivier Dauvers «consolider l’offre et la rendre plus lisible».