Exportations de blé
La France chahutée

Actuagri
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En 2024, le dérèglement du climat a fait davantage de ravages dans les champs en France que la guerre n’en a causé en Ukraine, veut croire Ukragroconsult, en analysant sur son site les conclusions du dernier conseil spécialisé « Grandes cultures » qui s’est déroulé mi-janvier à FranceAgriMer.

La France chahutée
Les exportations de grains français sont soumises à rude épreuve cette année. (crédit iStock/Dozet)

« L'Agence nationale a de nouveau réduit ses prévisions d'exportations de blé tendre de 20 000 t pour la campagne en cours à 9,74 millions de tonnes (Mt), soit 42 % de moins que la saison dernière », écrit Ukragroconsult. « Les livraisons hors Union européenne n’excéderont pas 3,5 Mt cette saison (- 66 % sur un an) ». Cette chute est consécutive à la mauvaise récolte de blé de l’été dernier (25,6 Mt versus 31,5 Mt en 2023) alors que l’Ukraine plafonne autour de 22-23 Mt depuis le début de la guerre. Aussi escompte-t-elle avoir de nouveau exporté 16 Mt avant la fin de la campagne. Parmi ses voisins européens qui commercialisent des céréales vers les pays tiers, la France est largement dépassée par la Roumanie, en tête depuis le début de la campagne. 

Baisses sur l'orge

En six mois, elle a déjà expédié 3,3 Mt de blé, 1,37 Mt d’orges et 362 000 tonnes de maïs. Plus au nord, la Lettonie et la Lituanie (3 Mt) ont exporté deux fois plus de blé que notre pays (1,33 Mt). La Pologne et la Bulgarie franchiront le seuil du million de tonnes d’ici la fin de ce mois de janvier ! Pour l’orge, FranceAgriMer a reconsidéré ses positions hexagonales durant le dernier conseil spécialisé « Grandes cultures ». Selon l’agence, notre pays n’en exporterait que 1,9 Mt hors de l’Union européenne, soit 200 000 t de moins qu’escompté au mois de décembre. Sur un an, les ventes d’orges diminueraient ainsi de moitié. La France ne devrait écouler que 560 000 t de blé dur en Union européenne (versus 853 000 t en 2023-2024 ; -34 % sur un an) et 60 000 tonnes vers les pays tiers (versus 139 000 t en 2023-2024). Mais pour le maïs, FranceAgriMer table sur des exportations de 4,6 Mt, dont 4 Mt en Union européenne. Sur le marché français, les perspectives sont un peu moins sombres. L’industrie française de l’alimentation animale est partie pour consommer près de 200 000 t de plus de grains que l’an passé. Cette petite embellie profite au maïs (+ 300 000 t à 3,15 Mt) aux dépens du blé (4,4 Mt ; -100 000 t) alors que l’utilisation d’orge (1,1 Mt) stagnerait. 

Se préparer à un printemps remuant

Dans le bassin de la Mer Noire, souffle un air de début de fin de campagne. Selon sevecon.ru, la Russie et l’Ukraine exporteront deux fois moins de blé au mois de janvier que l’an passé : entre 1,8 Mt et 2,2 Mt pour la première et 0,8 Mt pour la seconde versus 3,6 Mt en 2024 et 1,6 Mt. Sur les marchés, « les deux prochains mois pourraient être le meilleur moment pour vendre du blé », soufflent les analystes d’Ukragroconsult. Les prix devraient continuer à remonter jusqu’à la fin de l’hiver. « Il faut cependant se préparer à d’éventuelles fluctuations en mars-avril, lorsque les informations sur la nouvelle récolte commenceront à arriver ». Mais faute de grains, la France ne profitera pas de ces hausses. Le prix du blé plafonne à Rouen autour de 225 €/t depuis un mois mais à Bordeaux, le cours du maïs (206 €/t le 16 janvier) a entre-temps gagné 10 € en franchissant le seuil de 200 €. En Russie, le Kremlin a imposé un quota d’exportation de 10,4 Mt à partir du 15 février pour atténuer l’inflation des prix à la consommation. Ce quota est faible comparé aux cinq dernières années mais l’ex-empire des tsars a déjà exporté une grande partie de sa récolte de blé en six mois de campagne (29,4 Mt) sur les 46 Mt exportables d’ici la fin du mois de juin, selon le ministère américain de l’Agriculture (USDA). Le site Sovecon.ru conteste ces prévisions. Selon lui, les exportations russes de blé n’excéderaient pas 43,7 Mt. De même, la Russie achèverait la campagne avec seulement 6 Mt de stocks et non pas 10 Mt. Or l’été prochain, le site russe table sur une récolte de 80 Mt, inférieure de 12 Mt à 2022 et 2023.

Le moral bas des céréaliers français

L’été dernier, l’effondrement de près de 30 % de la production de céréales d’hiver, comparée à 2023, a impacté de 0,2 point la croissance économique de la France. En 2022, les exportations de céréales avaient dégagé un excédent commercial de près de 11,5 milliards d’euros. Depuis, il diminue chaque mois, en raison des chutes successives des cours puis de la production de céréales d’hiver disponible à l’export. Dans les exploitations céréalières la situation économique affole. L’an passé, le revenu disponible a été négatif. Déjà en 2023, il n’avait pas excédé 5 500 € selon le service de la statistique et de la prospective. Depuis deux ans, le chiffre d’affaires des céréaliers est à la fois amputé par la faiblesse des prix des grains, par la baisse des rendements et par des frais logistiques et d’allotement croissant (40 €/t). Or le coût de production moyen d’une tonne de blé est de 309 € selon l’Observatoire Arvalis/Unigrains. Les céréaliers de l’AGPB entament l'année avec le moral dans les chaussettes. Selon l’AGPB, les producteurs de blé font partie des premières victimes de l’instabilité institutionnelle dans laquelle est plongé notre pays. Les prêts bonifiés de 1,75 % (1,5 % pour les JA) commencent à être distribués. Mais les prêts de consolidation nécessaires pour restructurer les dettes garanties à 70 % par la Banque publique d’investissement (50 000 € ou 120 000 €) seront disponibles lorsque le projet de loi de finances 2025 sera voté par le Parlement. Ce qui n’est pas prévu avant la mi-février…