Gastronomie
Les chefs cuisinent Bleu-blanc-cœur

Pierrick Bourgault
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Les filières agricoles remettent au goût du jour la prescription attribuée à Hippocrate : « Que l’aliment soit ta meilleure médecine ». Comment la démarche Bleu-blanc-cœur veut-elle séduire les restaurateurs ?

Les chefs cuisinent Bleu-blanc-cœur
Alain Fontaine, président de l'Association des maîtres restaurateurs de France, dans son restaurant le Mesturet (Paris 2e).

Hippocrate, le célèbre médecin de l’Antiquité, naquit en Grèce il y a vingt-cinq siècles. Il laissa un héritage considérable de textes, transmis et réécrits par des générations de copistes. Les chercheurs étudient encore les époques, les ajouts et interprétations : Hippocrate évoquait-il les aliments du quotidien, des médicaments (pour guérir une maladie), ou des alicaments, ces nourritures à mi-chemin, en particulier les « compléments alimentaires » qui citent souvent le savant grec ? Le débat demeure. On retient cependant son approche par une étude de l’environnement, « des airs, des eaux et des lieux », par l’observation et la déduction. Contrairement à d’autres érudits de l’époque, qui voyaient dans les maladies une punition divine et les soignaient par des prières et des sacrifices rituels, Hippocrate et ses successeurs fondent une méthode véritablement scientifique, basée sur l’auscultation. L’expression actuelle trouve son origine dans le traité Aliments et dans la phrase : « dans l’aliment, médication excellente ; dans l’aliment, médication mauvaise ; mauvaise et excellente relativement ». Pour un patient, certaines nourritures seront bonnes et d’autres pas, car la sagesse antique avait observé que manger peut rendre malade ; l’on songe aujourd’hui aux « maladies de civilisation » telles diabète, obésité, troubles cardiovasculaires et cancers, provoquées par une consommation excessive, par des nourritures industrielles, trop transformées, ou par un environnement pollué. Alain Fontaine, président de l’Association française des maîtres restaurateurs, partage cette intuition : « L’intervention de la chimie dans l’agriculture se retrouve forcément dans l’alimentation. Et comme on mange deux à trois fois par jour, des soucis de santé graves peuvent être liés à une mauvaise nourriture. Mieux vaut inverser la tendance ». C’est une évidence : tout ce que l’on est, tout ce qui compose notre corps, on l’a ingéré.

Convergence des sciences

Or l’approche scientifique, développée par les successeurs d’Hippocrate, a spécialisé les connaissances : à part les « généralistes », les médecins sont aujourd’hui experts dans telle pathologie, tel organe ; ils laissent la santé animale aux vétérinaires et celle des plantes aux agronomes. Cela s’appelle « la pensée en silo », chaque expert régnant sur son pré carré.

Cependant, certaines recherches relient des domaines éloignés. Ainsi, en 2000, une étude originale1 a suivi des volontaires qui mangeaient tous la même chose, mais les aliments différaient par leur mode de production. Les animaux recevaient, soit la ration habituelle à base de maïs et de soja, soit un menu Bleu-blanc-cœur avec des fourrages et des graines diversifiées riches en Omega 3, en antioxydants, vitamines et oligo-éléments (lin, luzerne, lupin, pois, féverole…). L’étude scientifique a montré que le lait, les œufs et la viande obtenus présentaient une qualité nutritionnelle supérieure ; la résistance aux infections dont bénéficient les animaux se transmet aux humains. D’autre part, des dégustations et analyses sensorielles ont jugé les saveurs, meilleures dans la filière Bleu-blanc-cœur.

Cette méthode propose donc de retrouver une certaine sagesse paysanne, de « ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier » avec le régime unique soja-maïs-blé, plutôt à cultiver la biodiversité dans les campagnes. Bleu-blanc-cœur interdit ainsi l’huile de palme et veut bannir le soja importé, dont la production et l’acheminement coûtent à l’environnement et au climat. L’alimentation est le deuxième secteur émetteur de gaz à effet de serre après les transports. L’association Bleu-blanc-cœur invite à mieux considérer le bien-être animal, qui se transmet aux humains. Ce concept de santé unique relie celle de la Terre à celle de ses habitants. Bleu-blanc-cœur offre également une meilleure rémunération aux agriculteurs.

Paroles de chef

Le titre de « maître restaurateur », le seul délivré par l’État pour la restauration, exige en particulier le « fait maison ». Les 3 300 chefs répartis sur la métropole et les départements d’Outre-mer sont donc attentifs à l’origine des œufs, viandes, produits laitiers qu’ils cuisinent. Alain Fontaine, président de l’Association française des Maîtres restaurateurs (AFMR) a signé une convention avec Bleu-blanc-cœur « qui correspond à nos valeurs pour la préservation de l’agriculture durable, de la restauration durable et raisonnable. Les animaux élevés doivent être sains, manger une nourriture saine, sans pesticides, car le bien-être humain commence par le bien-être animal ». Dans son restaurant Le Mesturet (Paris), la filière Bleu-blanc-cœur fournit « les œufs, la volaille, les pigeonneaux du Poitou par Avigros à Rungis, le lapin. Tout est fait maison, dont la pâtisserie ». Comment la filière peut-elle se développer ? « En communiquant mieux, pour expliquer la démarche Bleu-blanc-cœur. La convention qu’on vient de passer va les aider, la restauration est un levier pour la communication ». Alain Fontaine signale néanmoins une difficulté : « Bleu-blanc-cœur a débuté par la grande distribution, or les chefs veulent garder leur originalité, la découverte de produits. De même, les gens ne commandent pas au restaurant un vin qu’ils trouvent à l’hypermarché – même si ce n’est pas comparable, car la cuisine transforme les produits ». Sa proposition : « Associer un petit producteur à un restaurant, qu’il soit visible. Mettre un nom sur un produit est beaucoup plus vendeur – on le voit dans les vins ! » Les grandes marques l’ont compris et communiquent désormais en filmant de vrais agriculteurs et agricultrices.

Bleu-blanc-cœur en chiffres

2 milliards d'euros de chiffre d’affaires en France

10 pays qui déploient le concept (Hongrie, Pologne, Colombie, Suisse, Italie, Indonésie…).

400 publications dans la presse scientifique

400 tonnes d’Omega 3 qui reviennent dans nos assiettes

910 acteurs économiques

2 500 produits au logo Bleu-Blanc-Cœur

7 000 agriculteurs et éleveurs en France.

28 000 membres engagés dans la « communauté du bien manger »

149 675 tonnes de CO2 par an non émis

Source : www.bleu-blanc-coeur.org