Lait
Comment rémunérer différemment les producteurs laitiers bio ?

Berty Robert
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Le Centre interprofessionnel laitier BFC Est a fait un point de conjoncture sur la filière bio. Dans un contexte difficile pour les éleveurs du secteur deux pistes émergent : communiquer sur la spécificité du bio et imaginer une rémunération qui prend en compte les apports de ce type d’agriculture.

Comment rémunérer différemment les producteurs laitiers bio ?
Yves Sauvaget, éleveur laitier dans le département de la Manche et président de la commission bio du CNIEL.

Les temps sont durs pour les agriculteurs bio, et en particulier pour les producteurs laitiers. La Rencontre sur la conjoncture laitière biologique organisée le 26 juin à la Maison de l’Agriculture de Bretenière, près de Dijon, par le Centre interprofessionnel laitier (CIL BFC Est) ne démontrait pas autre chose. Depuis les mois de mars et avril, en France, la collecte de lait bio est en baisse de 4 %. Le nombre de fermes bio suit la même courbe (-2,5 %), en partie à cause des départs en retraites non remplacés mais aussi, pour un tiers du total, en raison des déconversions. Selon France AgriMer la collecte a atteint en 2022 1,270 milliard de litres, elle ne serait plus aujourd’hui qu’à 1,264 milliard de litres et, selon les estimations de l’enquête de conversion du Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (CNIEL), elle pourrait chuter, en 2024, à 1,201 milliard de litres. « C’est d’autant plus préoccupant, souligne Yves Sauvaget, président de la commission bio du CNIEL et éleveur dans la Manche, que les éleveurs laitiers bio ont une moyenne d’âge moins élevée que les éleveurs laitiers conventionnels ».

Des signes dès 2019…

En Bourgogne Franche-Comté (BFC), entre avril 2022 et avril 2023, la collecte a baissé de 3,4 %. Le Grand Est est l’unique région où elle n’a pas été en diminution (+0,5 %). Du côté du nombre de livreurs, entre février 2022 et février 2023, la baisse est de 2,7 % en BFC alors que dans le Grand Est, leur nombre progresse de 1,1 %. Début 2023, la BFC, avec 101 millions de litres, représentait 8 % de la collecte de lait bio en France et, en dépit du recul du nombre de livreurs, cette collecte a augmenté sur un an. Une dynamique négative est néanmoins à l’œuvre mais Yves Sauvaget précise aussi qu’elle n’est pas aussi subite qu’on pourrait le penser : des signes avant-coureurs étaient décelables dès la fin 2019, avec une croissance de la collecte qui donnait des signes de faiblesse. De fait, en 2021, cette collecte affichait un taux de progression sur un an de 11 %, mais en 2022, on n’était plus qu’à +3 %… Il faut noter l’impact de l’existence ou non des aides au maintien en agriculture biologique (MAB) : en BFC, elles n’existent plus, sauf pour les sortants de l’aide à la conversion, qui sont passés au bio en 2018. Dans le Grand Est, une aide exceptionnelle de 10 millions d’euros a remplacé l’aide MAB pour 2023 mais, de toute façon, en 2024, s’en sera fini de ces aides, pour toutes les régions.

Plus conjoncturelle que structurelle

La poussée inflationniste consécutive au déclenchement de la guerre en Ukraine est aussi pour beaucoup dans le recul de la consommation de produits laitiers bio. Actuellement, en Grandes et moyennes surfaces (GMS), on est revenu au niveau de consommation de 2018, alors que, depuis cette année-là, la collecte de lait bio a, elle, augmenté de 55 %… En 2022, plus de 35 % du lait bio produit en France aurait été déclassifié en conventionnel. Dans un tel contexte, son prix a stagné en 2022 (+1 %) mais il est tout de même en progression depuis l’automne dernier. Entre avril 2022 et avril 2023 il a regagné 8 %, avec de fortes disparités entre les laiteries. En BFC, le prix du lait bio standard s’affichait, en janvier, à 555,53 euros/1000 litres contre 477,08 euros au plan national. Les laits AOP jouent un rôle dans ce différentiel alors que dans le Grand Est il n’y a quasiment aucune différence avec le national, à 473,70 euros. Malgré la revalorisation constatée, des exploitations se trouvent aujourd’hui en grandes difficultés, notamment parce que les hausses de prix ne compensent pas celles des charges. Au CNIEL, on considère que la crise actuelle est plus conjoncturelle que structurelle et l’on estime nécessaire de se préparer à un redémarrage du marché. L’organisme table notamment sur les prévisions de la Banque de France qui considère que le niveau d’inflation pourrait être retombé à 2 % début 2026, contre 5,6 % aujourd’hui. Le risque, si l’on ne fait rien pour stopper la baisse du nombre de fournisseurs aujourd’hui, c’est de manquer de lait bio au moment où le marché repartira. L’attente est forte vis-à-vis du gouvernement pour mettre en place les conditions permettant que cessent les déconversions constatées ces derniers mois. L’aide de 60 millions d’euros annoncée mi-mai est une bonne nouvelle mais qui ne suffira pas. L’interprofession laitière met donc sur la table des actions concrètes en termes de communication, afin d’accompagner au mieux le redémarrage attendu du marché. Mais les participants à la rencontre du 26 juin étaient aussi nombreux à souhaiter qu’une véritable réflexion de fond soit engagée sur la rémunération du bio, pas seulement basée sur les produits en eux-mêmes, mais plus largement sur les effets positifs du bio sur l’environnement, et donc sur les services rendus par les agriculteurs concernés. Christian Morel, vice-président du Conseil régional de BFC en charge de l’agriculture, présent lors de cette réunion le rappelait : « On ne peut pas faire une croissance sans l’organiser et sans oublier les fondamentaux. Le bio, n’est pas que bio : il est local, fermier… Il faut le rappeler aux consommateurs ».