Agrivoltaïsme
Dossier énergie : bien appréhender toutes les dimensions d'un projet agrivoltaïque

Alexandre Coronel
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L’opportunité de produire de l’électricité bouleverse les termes du rapport au foncier agricole, qui passe du statut de facteur de production à celui de ressource convoitée… Or, dans les domaines agronomique, zootechnique et environnemental, les conséquences de l’agrivoltaïsme ne sont encore que partiellement connues.

Dossier énergie : bien appréhender toutes les dimensions d'un projet agrivoltaïque
La première centrale agrivoltaïque au monde est une unité de démonstration sur vignes située dans les Pyrénées-Orientales.

La prospection pour du foncier agricole susceptible d’accueillir des panneaux photovoltaïques bat son plein depuis plusieurs mois… avec en arrière-plan, la crise énergétique mondiale et nationale – sur fond d’abandon du gaz russe pour des considérations géopolitiques – et avec un parc nucléaire vieillissant. Dans ce contexte, l’agrivoltaïsme, approche innovante qui combine la production d’énergie solaire et l’activité agricole sur une même parcelle de terrain, apparaît comme un nouvel eldorado. Les promesses de cette opportunité sont alléchantes, sur le papier : revenus conséquents liés à la vente d’électricité, amélioration du potentiel agronomique des sols et du bien-être animal… Néanmoins, l’installation de panneaux photovoltaïques dans les prés et les champs suscite aussi nombre d’interrogations légitimes. Que sait-on réellement de l’impact à long terme de ces installations sur les animaux et les prairies ? Et sur le cycle de l’eau, du carbone, de l’azote ? Sans parler de l’impact paysager et de l’attractivité des territoires… Marianne d’Azemar, spécialiste en élevage et photovoltaïsme à l’Institut de l’élevage (Idele), intervenait sur ce thème lors d’une conférence donnée à l’occasion du Sommet de l’élevage à Cournon.

Ombre… et risques de tassement

L’agrivoltaïsme est souvent présenté comme un moyen d’améliorer le bien-être des animaux, en particulier en fournissant de l’ombre pendant les périodes de chaleur intense. Cependant, comme le souligne Marianne d’Azemar, certaines questions restent pour l’instant sans réponse, faute de solides références pluri-annuelles. Les installations photovoltaïques et les champs électromagnétiques induits pourraient-ils influencer la productivité des animaux, leur reproduction ou leur bien-être ? La spécialiste a insisté sur le fait que ces questions ont été jusqu’à présent peu étudiées. Outre l’impact sur les animaux, l’agrivoltaïsme suscite aussi des interrogations concernant la croissance des plantes et de l’herbe. « L’ombrage généré par les panneaux solaires peut avoir des effets différents en fonction des contextes. Dans les zones plus sèches, il peut permettre le maintien du couvert végétal et l’étalement de la période productive, tandis que dans les zones plus fraîches, il peut limiter la photosynthèse et réduire la production d’herbe », note la spécialiste. D’où l’intérêt de bien caractériser le potentiel des parcelles candidates à de tels projets. Autre sujet d’inquiétude : les tassements générés par le chantier d’installation des panneaux, qui peuvent avoir des conséquences négatives sur la structuration des sols et leur bon fonctionnement (circulation de l’eau, colonisation racinaire, fertilité…) Malgré toutes les questions en suspens, l’agrivoltaïsme représente certainement une opportunité de diversification pour les éleveurs, en particulier dans les régions à faible potentiel agricole où les prairies permanentes et l’élevage dominent. Marianne d’Azemar souligne que l’intégration de l’énergie solaire peut consolider les revenus de ces exploitations et renforcer leur pérennité, leur attractivité – un sujet particulièrement important en lien avec la transmission.

Un équilibre à trouver

Un des défis du législateur est d’encadrer précisément l’agrivoltaïsme pour garantir que cette nouvelle source de revenus ne disqualifie pas le maintien d’une activité de production agricole, par essence peu rentable… La souveraineté alimentaire de la France pour les productions animales est déjà bien écornée. Marianne d’Azemar a insisté sur l’importance de coordonner ces deux activités et rappelé que la loi impose déjà des contraintes, concernant par exemple le caractère réversible des installations solaires. D’ici la fin de l’année, un décret d’application de la loi de mars 2023 devrait sortir… Les projets d’agrivoltaïsme passent actuellement par de nombreuses étapes juridiques et de validation (accord du propriétaire, baux, permis de construire, contrat…) qui peuvent prendre de 3 à 5 ans. La simplification de ces démarches pourrait accélérer le développement de cette pratique.

Analyser les besoins du troupeau en amont

Avant de concrétiser un projet d’agrivoltaïsme, la phase de conception est cruciale. Marianne d’Azemar souligne l’importance de bien analyser les besoins du troupeau, de gérer la conduite du système fourrager et de choisir le système de pâturage adapté. « Il faut bien prévoir en amont tous les aménagements qui faciliteront ensuite la conduite du troupeau, tels que des abreuvoirs, des points d’affouragement et les barrières pour la délimitation du pâturage et la circulation des hommes, des animaux et des engins. » Dans son exposé, la représentante de l’Idele a détaillé les problématiques techniques et économiques spécifiques liées à la production ovine et souligné le manque de repères techniques consolidés pour les structures agrivoltaïques. Des exemples de projets comme les haies solaires bifaciales et les ombrières fixes ont été aussi décrits, ainsi que les questions de recherche ouvertes, notamment au sujet des impacts agronomiques, zootechniques, de travail et économiques liés à ces innovations.