Portrait
« Pimp my matériel agricole » ou l’art de bricoler en agriculture

Anne Frintz
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Chez les Roesch, on préfère mettre la main à la pâte que la main à la poche. Aussi, on ne se satisfait pas du tout venant. Pour adapter ses outils à ses désirs et l’activité la plus rentable de la ferme, le maraîchage, André, le père, bricole depuis son installation en 1985. Il customise presque tout ! Témoignage d’un passionné de matériel agricole et de bricolage.

« Pimp my matériel agricole » ou l’art de bricoler en agriculture

« Le plus important a été créé aujourd’hui. Reste à entretenir le parc de matériel et ça, mes fils savent faire. Ils ont appris. Ils bricolent mais ils sont moins inventifs que moi », cadre André Roesch, à l’aube de la retraite. Le maraîcher et céréalier de Breitenheim, un hameau du Centre Alsace, va bientôt transmettre son exploitation à ses aînés, Baptiste, 26 ans, et Jean-Thomas, 25 ans, actuellement salariés. Il aura customisé, près de quarante années durant, toutes les machines agricoles et outils qu’il aura eus entre les mains, principalement achetés d’occasion. André récupère tout : « Ça peut toujours servir ». Baptiste est sidéré mais admet que son père a raison sur ce point précis. « La seule fois où on a jeté une broyeuse à pommes de terre, on en a eu besoin juste après et on a dû s’en procurer une nouvelle », se souvient-il.

Un homme curieux

Sous le grand hangar équipé de panneaux photovoltaïques, André a posé à droite les racks avec les outils traînés, « pimpés » (1), et à gauche la poinçonneuse, la scie à cloche, la perceuse à colonne, la ponceuse à bande fixe, les cisailles, le poste à souder, etc. Au milieu de l’atelier trône une charpente métallique home made (faite maison), en acier, qui a été galvanisée à Baccarat. C’est la structure du futur poulailler mobile, que les Roesch sont en train de construire et qui permettra de sortir les volailles. « J’aurais pu investir dans un poulailler mobile de marque mais, pour le prix d’un, j’en fabrique deux », relève André qui pense aussi que le sien tiendra plus longtemps. Il a commencé à réfléchir à ce projet durant l’hiver 2020. Il ne s’est lancé dans sa réalisation qu’au printemps. « La gestation d’un projet est souvent longue. J’ai mon idée en tête. Je l’améliore, la peaufine. Je suis curieux de nature. Je visite beaucoup d’autres exploitations. Je regarde ailleurs. C’est comme ça que mûrissent mes projets », explique André Roesch.

Du matériel dédié

Il montre quatre planteuses, perchées sur des racks. « Cette planteuse à pommes de terre travaille une fois par an. À deux personnes, on plante un hectare en une journée », précise André. Le père Roesch est fier de ses inventions. « Pour les poireaux, j’ai aussi adapté une planteuse. Celle-ci a 36 pinces, implantées sur la base d’une planteuse classique. Le socle, en forme de cœur, descend plus profondément dans la terre, puisque ce qui est recherché dans les poireaux, c’est le blanc. Ainsi, on le plante plus profondément, sans avoir besoin de le butter », enchaîne-t-il. André cultive 40 000 poireaux par an. La création de sa planteuse dédiée se justifie aussi par le gain de temps sur le montage et le démontage d’une planteuse classique. Cela prendrait une demi-journée pour arranger une planteuse classique à une culture. Ses outils dédicacés, il les descend et les remise, avec le chariot élévateur, en quelques minutes. Ils sont déjà équipés et réglés quand il faut les atteler.

L’as de la « récup »

Pour ventiler les récoltes de soja, ou de méteils, André a aussi fabriqué un système de ventilation maison, à partir d’un ancien fond de silo à grains, qu’il pose sur une rehausse, dans une benne vide. Il arrive à sécher 12 t de soja, en une fois, grâce à cela. « L’air va entrer dans la grille, percée, par le haut. On a démonté un séchoir à maïs et récupéré le ventilo. On met un générateur au bout et en une nuit, c’est sec. Le fond, quand on lève la benne, reste accroché grâce à une goupille », détaille André Roesch. Le poste à souder, dans cette ferme ultra-diversifiée de Breitenheim, fonctionne chaque jour ou presque. Quelques mètres plus loin, André s’arrête : « On a imaginé une machine entièrement, pour aller vite et bien, adaptée à nos petites surfaces de maraîchage : un robot de désherbage, dont on a fabriqué les lames de binage ».

Avantages et inconvénients du DIY (2)

Baptiste et Jean-Thomas, les deux aînés des huit enfants, veulent cacher le « bric-à-brac », qui s’étend au fond de l’atelier. De vieux tracteurs entre autres, s’entassent. « Papa est autodidacte », indique Baptiste, en aparté. Il regarde des vidéos sur YouTube mais surtout, tente. À partir d’une ancienne lame de scie pour les arbres, il a conçu un outil pour les faux semis, une lame scalpeuse qui évite les remontées d’adventices. « L’avantage, c’est qu’elle ne laisse passer aucune herbe entre les dents. Quand c’est usé, on dessoude et on remplace. On en est déjà à la quatrième lame », compte André. « Mes fils soudent mieux que moi maintenant, car j’ai des troubles de la vue », admet André. « Il y a un juste milieu à trouver, place Jean-Thomas. Le bricolage, c’est bien, mais il a ses limites. C’est grâce à lui qu’on s’en est sorti, en maraîchage, avec nos petites surfaces. Mais c’est déjà arrivé qu’on perde deux jours sur un bricolage et qu’au final, l’outil ne fonctionne pas ». Son père acquiesce : « Il y a des échecs aussi ». Il sait qu’avec l’agrandissement récent de la ferme, ses fils se tourneront volontiers plus vers du matériel neuf, mais il a transmis à ses garçons le goût de la débrouille.

(1) to pimp, en anglais : personnaliser. En référence à une célèbre émission de MTV, Pimp my ride : Personnalise ma caisse.

(2) DIY, en anglais : abréviation de do-it-yourself, fais-le toi-même.