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La génomique, aussi pour la vigne

Louis de Dinechin
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Les techniques de génomique, utiles en élevage, sont également accessibles à la recherche végétale. C’est ce qu’on pouvait découvrir lors de la journée technique organisée par les pépinières Guillaume à Charcenne, en Haute-Saône, fin avril.

La génomique, aussi pour la vigne
En Haute-Saône, les pépinières Guillaume ont commencé à commercialiser de la vigne greffée en 1895.

Près d’une centaine de viticulteurs, clients des pépinières Guillaume, se sont retrouvés à Charcenne, en Haute-Saône, le 26 avril pour une journée technique. Un rendez-vous où étaient abordés des aspects précis de sélection et de conduite des vignes, une occasion de découvrir les ateliers de production de l’entreprise, et une possibilité aussi, pour les clients, de faire remonter leurs préoccupations sur les défis de la viticulture de demain. Il y eut d’abord l’intervention de Laurent Anginot, conseiller de l’Association technique viticole de Bourgogne (ATVB).

Face aux aléas climatiques

Il est venu présenter les leviers disponibles pour faire face aux aléas climatiques. « Trois leviers principaux : le choix du porte-greffe, celui du greffon, et les conduites culturales », résume-t-il. Pour les deux premiers, qui intéressent les pépiniéristes, la recherche est permanente et la diversité génétique permet d’étaler les risques : diversité du port, du système racinaire, tolérance à la sécheresse (souvent associée à la vigueur), date de démarrage, productivité, régularité… Le catalogue des possibles est très varié. Attention toutefois, précisait le spécialiste, à ne pas tout attendre de la génétique : « En Côte-d’Or en 2023, par exemple, on a observé 2 ou 3 jours de différence sur les dates de débourrement… mais on a surtout mesuré que la date de taille a plus d’influence sur le démarrage que le choix du porte-greffe ». Même constat sur le système racinaire : « On a beau choisir un potentiel génétique de porte-greffe favorisant un système racinaire plongeant, si le travail du sol est mal fait, on n’aura pas les résultats attendus ». Même modestie sur les gains attendus : « Avec le changement climatique, remarquait un invité, c’est parfois du sec, mais parfois beaucoup d’eau ! » De fait, le choix d’un type variétal ou d’un porte-greffe doit permettre de gagner une année sur 10 quand les conditions sont difficiles, sans perdre en production les autres années…

Nouveaux outils de sélection

De son côté, Loïc Le Cunff, généticien à l’Institut français de la vigne et du vin (IFV), a présenté un vaste aperçu des potentiels permis par les nouveaux outils de génétique, dans la création de nouvelles variétés et de nouveaux porte-greffes. Premier objectif : accélérer la création variétale. Avec les techniques anciennes, la mise sur le marché d’une création variétale peut durer 20 ans. Entre la sélection, la culture, la validation du potentiel, la certification, le processus est très long. « Aujourd’hui, la demande de la société est rapide, les attentes sont importantes sur notre réactivité. » Or de nouveaux outils sont à disposition des chercheurs, en premier lieu les techniques CRISPR-Cas (voir encart Anses). Cette méthode dite aussi des « ciseaux moléculaires » permet de découper l’ADN à un endroit particulier, de le laisser se reconstituer, et de compter sur les « erreurs » de réparation (qui arrivent naturellement dans la nature) pour bénéficier d’un individu porteur d’une mutation. C’est un coup de pouce donné au système de la variation génétique. Largement utilisée dans le monde, cette technique était encore considérée dans l’Union européenne comme produisant des OGM au sens de la réglementation de 2001, jusqu’à ce que des discussions s’ouvrent à Bruxelles en juillet 2023, pour amener à un compromis qui pourrait voir le jour cette année, considérant que ces mutations auraient pu arriver naturellement (un peu comme pour les techniques de radio-mutagénèse utilisées massivement en créations variétales dans les années soixante-dix à 90). Une fois obtenues des variétés nouvelles, la génomique permet de faire le lien entre un critère phénologique observé sur un plant de vigne, et une séquence ADN précise. D’où une accélération très importante du processus de sélection. « Le coût du séquençage s’est effondré ces 20 dernières années », explique Loïc Le Cunff.

Travail de prospection

Forts de ces avancées, les chercheurs ont commencé à sélectionner des variétés nouvelles et, comme ils le font depuis des années, à travailler sur les caractères de résistance à la sécheresse, et aux maladies. Sur ce plan, pas de grand changement : on ne connaît à ce jour dans le monde que 3 résistances à l’oïdium, 4 au mildiou ! D’où l’importance de les préserver, notamment en respectant les recommandations de traitement pour ne pas accélérer la sélection des contournements chez les pathogènes… Du côté des pépinières Guillaume, les travaux de recherche continuent également : « Nous sélectionnons nos propres souches de mycorhize et de trichoderma, expliquait Vincent Delbos, directeur général. Depuis 40 ans, nous prospectons aussi dans les vieilles vignes, y compris en Argentine et au Chili, pour nos sélections massales ». Un processus également très long, puisqu’après la prospection, il faut s’assurer de la pureté sanitaire, cultiver, observer, et finalement vinifier. Les invités ont d’ailleurs pu déguster en fin de matinée les micro-vinifications de clones et de sélections massales réalisées par le Vignoble Guillaume.

Évolution sur les modification génétiques

La technique historiquement utilisée pour créer des OGM est la transgénèse. Elle consiste à ajouter un ou plusieurs gènes d’une espèce dans le génome d’un autre organisme, dans le but d’acquérir de nouvelles caractéristiques. Certaines Nouvelles techniques génomiques (NTG) comme la mutagenèse dirigée ne nécessitent pas l’ajout de gènes issus d’espèces avec lesquelles aucun croisement n’aurait été possible dans la nature. Les organismes issus de ces NTG ont donc subi une modification génétique sans introduction de gène extérieur dans leur génome, tout en leur conférant de nouvelles caractéristiques. Des variétés végétales issues de ces techniques sont déjà commercialisées dans de nombreux pays, hors Union européenne, et la diversité des variétés NTG pourrait s’accroître, en raison d’une plus grande facilité d’utilisation et du faible coût des techniques CRISPR-Cas. Le 5 juillet 2023, la Commission européenne a proposé un règlement visant à exclure certaines plantes NTG de la législation européenne sur les OGM (directive 2001-2018/CE). Elles seraient considérées, sur base de certains critères, comme équivalentes à des plantes obtenues par des techniques conventionnelles. L’Anses a analysé ces critères avec l’appui de son collectif d’experts dédié aux biotechnologies.