Réinsertion
Permettre à des détenus de préparer leur réinsertion en travaillant dans l'agriculture

Berty Robert
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Proposer à des détenus de terminer leur peine au sein d’une exploitation agricole, c’est le projet porté par l’association Les Fruits de la Terre. Dans ce but, elle cherche à reprendre une ferme en Saône-et-Loire. Rencontre avec Matheus Rinaldi, en charge de la conduite d’un projet qui parie sur l’agriculture comme outil de réinsertion.

Permettre à des détenus de préparer leur réinsertion en travaillant dans l'agriculture
La ferme que l'association Les Fruits de la Terre cherche à créer en Saône-et-Loire aura pour fonction de permettre à des détenus en fin de peine de préparer leur retour à la vie sociale. (Crédit Eddie Kopp Unsplash)

61 % : c’est la proportion d’hommes condamnés en France à une peine de prison ferme, qui récidivent et sont réincarcérés dans les cinq ans qui suivent leur libération (1). Un chiffre préoccupant qui interroge sur la capacité du système pénitentiaire - au-delà de l’application nécessaire d’une sanction - à permettre un retour à une vie sociale indispensable. Mais proposer à un détenu une fin de peine qui ouvre des perspectives réclame du temps et des moyens, deux facteurs qui font trop souvent défaut. D’où l’intérêt de pouvoir s’appuyer sur des structures associatives qui s’impliquent sur ce thème. C’est notamment le cas des Fruits de la Terre (voir encadré). L’association est actuellement en recherche d’une ferme à acquérir en Saône-et-Loire pour en faire une structure d’accueil de détenus proches de leur fin de peine. Le but étant de les intégrer dans un véritable « sas » vers un retour à la vie réelle, en ayant acquis des compétences, retrouvé l’estime d’eux-mêmes, de la confiance dans les autres et un sens de la responsabilité. Autant de notions mises à mal par un séjour prolongé derrière les barreaux.

Dynamique vertueuse

La charge de mener ce projet à son terme repose en grande partie sur Matheus Rinaldi. Ce Brésilien, installé en France depuis 2006 a quitté une carrière toute tracée de consultant en informatique, pour se tourner vers ce projet qui allie deux centres d’intérêt importants à ses yeux : l’agriculture, d’une part, et la réinsertion sociale des détenus de l’autre. Deux axes a priori très éloignés mais dont il est persuadé qu’associés, ils peuvent générer une dynamique vertueuse. Le jeune homme, recruté par Les Fruits de la Terre en 2022, trouve aussi dans cette activité un sens à sa vie professionnelle qui, de son propre avis, lui faisait jusqu’alors défaut. « Le projet de ferme en Saône-et-Loire, explique-t-il, s’inscrit dans un mouvement d’essaimage à partir d’une structure « pionnière » dans ce domaine : la ferme de Moyembrie ». Créée dans les années quatre-vingt-dix près de Soissons, dans l’Aisne, elle fut le premier établissement rural de réinsertion pour détenus. Depuis, d’autres sont nées en France, en partenariat, notamment, avec Emmaüs. Le principe est toujours le même : accueillir des détenus qui approchent de la fin de leur peine pour leur permettre de préparer leur retour à une vie sociale « normale » en participant à des activités agricoles. « Les personnes accueillies, poursuit Matheus Rinaldi, ont fait une erreur à un moment de leur vie, elles ont purgé quasiment toute leur peine. Pour intégrer la ferme, elles doivent être volontaires. Le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) peut sélectionner des profils parmi les gens qu’il suit. L’intégration à la ferme est un processus relativement long, qui doit également être validé par le Juge d’application des peines (JAP) ». Car, dans la ferme, ces personnes, même si elles ne sont plus en prison, n’en sont pas libres pour autant : elles demeurent sous main de justice et sont présentes dans le cadre d’une mesure d’aménagement de leur peine. Leur liberté de mouvement se limite au périmètre de la ferme et les éventuelles sorties extérieures se font accompagner.

Trois activités

Si le projet de ferme parvient à voir le jour en Saône-et-Loire, il fonctionnera par le biais de deux conventions : une concernant les chantiers d’insertion, conclue avec la Direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités (Ddets) et une autre, sur les placements extérieurs, avec l’administration pénitentiaire. « La ferme accueillerait 15 détenus au maximum, auxquels s’ajouteraient 6 encadrants. Nous sommes en contact avec le centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand, au sud de Chalon-sur-Saône. Trois activités sont envisagées : du maraîchage, de la boulangerie et du petit élevage. Les produits seraient vendus sur les marchés à proximité de la ferme, ou sur les parkings de centres Emmaüs, ou encore par le biais d’Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap). La vente en direct est une dimension importante pour les détenus. Elle permet de renouer du lien social ». Reste la principale difficulté à surmonter : trouver cette fameuse ferme. Matheus Rinaldi prospecte depuis plus d’un an dans le département. Une première opportunité a dû être abandonnée car le projet avait suscité une levée de boucliers de riverains du lieu pressenti. On ne peut le nier : l’acceptabilité sociétale de ce type de structure n’est jamais acquise. Cela réclame de la pédagogie et de la patience. « Ce que nous recherchons, souligne le responsable du projet, c’est une ferme isolée, sans voisinage proche, avec une surface minimum de 10 hectares ». Pour acquérir la ferme, l’association pourra s’appuyer sur France Active Bourgogne, un mouvement d’entrepreneurs engagés apte à appuyer le projet face aux banques susceptibles d’apporter du financement. Les personnes accueillies seront formées à différents métiers agricoles. « Mon espoir, conclut Matheus Rinaldi, c’est que ces personnes quittent la structure en ayant pu monter un vrai projet personnel, pour ne pas rechuter. Le but pour elles c’est aussi de retrouver de l’autonomie, s’inscrire dans une vie en communauté où l’on fait la cuisine, le ménage, où l’on travaille, mais où on a aussi du temps et un espace pour soi ». Un projet qui aide à se reconstruire, si on a la volonté de se reconstruire. La durée de séjour dans la ferme sera d’au minimum six mois. Reste donc à trouver la ferme où pourrait s’épanouir ce qui relève aussi d’une belle utopie.

Notes de bas de page (1) Source : Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques

Pour contacter l’association : lesfruitsdelaterre71@gmail.com

Recouvrer une dignité

Présidée par Patrice Sarrazin, L’association Les Fruits de la Terre a été créée dans le but de développer ce projet de ferme d’accueil pour accompagner des personnes en fin de peine, en placement extérieur, jusqu’à leur sortie définitive. Elle fonctionne avec un conseil d’administration qui comprend 12 membres possédant les compétences clés pour le développement de son activité :

- la maîtrise des sujets liés à la justice et à l’administration pénitentiaire

- la gestion et l’organisation des entreprises et notamment des structures d’insertion

- le montage et la gestion des projets agricoles. L’un des axes majeurs du projet est de permettre aux personnes accueillies de recouvrer une dignité par le travail.