Rencontre
Le député européen Jérémy Decerle évoque les grands dossiers agricoles

Propos recueillis par Florence Bouville et Cédric Michelin
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Jérémy Decerle, député européen au sein du groupe Renew, ancien président des JA et éleveur en Saône-et-Loire revient sur les sujets européens du moment qui l’ont mobilisé, en particulier sur la directive IED (émissions industrielles), pour laquelle il était rapporteur. La défense des agriculteurs reste sa priorité.

Le député européen Jérémy Decerle évoque les grands dossiers agricoles
Pour Jérémy Decerle, eurodéputé et éleveur en Saône-et-Loire, la défense des agricultures européennes doit reposer sur de la rationalité, par sur des approches trop politisées.

En novembre, la Commission européenne (CE) a révisé le texte de la directive IED, relative aux émissions industrielles. Une nouvelle partie s’appliquait à plus de filières agricoles. Était alors considérée comme grosse « industrie », toute exploitation dépassant les 150 UGB ou équivalences dans les filières porcines, avicoles… Or, pour la majorité du Parlement, le concept de « grandes entreprises » ne pouvait s’appliquer aux exploitations agricoles, bon nombre de paramètres technico-agronomiques n’ayant pas été pris en compte. Jérémy Decerle juge l’approche menée par la CE trop « légère » dans son analyse préalable. « La Commission n’a jamais voulu entendre ce qu’on disait ; elle ne voulait pas bouger une ligne », raconte-t-il. Résultat : le 11 juillet, les députés ont voté contre l’élargissement du champ d’application de l’IED aux élevages bovins. Ils ont également refusé l’abaissement des seuils pour les élevages porcins et avicoles, à partir desquels ils auraient été soumis aux dispositions de cette directive. Pour obtenir ce statu quo, le combat n’a pas été de tout repos ! Ce texte ne concerne pas que la Commission Agricole ; il touche aussi la Commission Environnement.

Risque d’effet contre productif

Avant le 11 juillet, les deux entités (y compris les députés écologistes) s’étaient accordées sur l’irrecevabilité de la proposition de la CE en l’état. La Commission Agricole a tranché rapidement dans ce sens parce qu’elle savait qu’elle allait être suivie. Pour argumenter, Jérémy Decerle et sa commission se sont entretenus avec le ministère de l’Agriculture afin de collecter des données (financières, techniques…). L’eurodéputé avait d’ailleurs pointé du doigt le risque d’un effet contre productif. Qui sait si les plus petits élevages, rentrant dans le critère d’UGB, auraient pu passer le cap des mises aux normes qui allaient en découler ? En sachant que les incertitudes autour des coûts financiers restaient nombreuses. « J’avais tout intérêt à défendre le statu quo », affirme-t-il. Dans la foulée, la Commission Environnement s’est calée sur ce qui avait été validé par le Conseil des États membres. Le groupe Renew s’était penché sur une proposition alternative, dans l’hypothèse où le statu quo leur aurait été refusé. Dans cette proposition, ils acceptaient de faire rentrer les bovins, mais les seuils étaient plus élevés. Il s’agit de « sujets tellement importants, méritant d’être approfondis, explique-t-il, on a essayé d’amener des idées, sur le taux de chargement par exemple ». Le but étant de « marquer la différence entre intensif et extensif ». Malgré le couac sur les enjeux agricoles, cette directive reste cohérente pour l’industrie. L’obtention du statu quo demeure une étape importante pour le Parlement. « Le coup de gueule a porté ses fruits », la réalité du terrain étant ainsi davantage respectée.

Une approche rationnelle des NBT

Autre sujet polémique : les NBT, désignant les nouvelles techniques de sélection végétale et animale. De fortes oppositions sont nées à la suite du texte proposé par Bruxelles. Prévoyant de classer les plantes issues des NBT en deux catégories, non soumises aux obligations de la directive OGM. Difficile dès lors d’y voir clair entre des antitout et des productivistes à outrance. Heureusement, d’autres eurodéputés abordent le sujet de manière « plus rationnelle », souligne Jérémy Decerle, convaincu de « l’aide que pourraient procurer ces nouvelles technologies à toutes les filières », les NBT étant des biotechnologies largement accessibles, financièrement, à des coopératives ou Instituts techniques dans les territoires. Par contre, il faudra veiller à ce que les acteurs des filières soient accompagnés, et comment. Il est essentiel que les financements alloués à la recherche se rajoutent à ceux, actuels, de la Pac, côté Green Deal plutôt. « Ce sera une réussite uniquement si nos entreprises locales s’en saisissent ». « À nous maintenant de rendre attractifs ces procédés », déclare-t-il. Lourde tâche, qui incombe au Parlement. Récemment, il a reçu les semenciers à Strasbourg et continue de s’entourer et d’interroger les acteurs spécialistes. Tant de questions sont encore à traiter : quels choix et possibilités techniques ? Quels champs d’application ? Quelle classification ? Tout l’enjeu réside aussi dans la manière dont seront traitées de front la thématique des NBT et celle des pesticides. « Il faut traiter ensemble ces sujets […] dans un même paquet », insiste-t-il. L’eurodéputé considérant les NBT comme une opportunité de réduire les intrants chimiques. Il est donc primordial de lier les réflexions. « Ce serait bizarre d’aller dans une direction pour les pesticides et dans une autre concernant le glyphosate », souligne-t-il.

Un débat « surpolitisé »

Pour finir, Jérémy Decerle est revenu sur un autre sujet traité par la Commission avec « beaucoup de flou et de légèreté » : le règlement sur la restauration de la nature a fait couler beaucoup d’encre, malheureusement pas pour de bonnes raisons. De nombreuses contributions ont cristallisé le débat. « Le Parti populaire européen (PPE) a voulu politiser ce sujet », se désole Jérémy Decerle. Une nouvelle fois, « on essaie de répondre à des questions binairement alors qu’on devrait apporter des réponses approfondies ». Du fait de cette « surpolitisation », « on n’a pas été capables d’aborder le fond », regrette-t-il. Le Parlement est quand même parvenu à « vider le texte de ce qui avait été exagéré par la CE ». Point noir : le contenu s’est fortement éloigné de la technique et comporte finalement peu de précisions ; mais « on a réussi à proposer des choses rationnelles », confesse-t-il. On peut ainsi dire que la casse a été limitée et le signal politique renvoyé prône davantage l’équilibre. Enfin, il y a maintenant moyen d’en faire quelque chose de constructif et de plus élaboré. Notamment lors des trilogues (1). Les prochaines actualités du Parlement risquent toutefois d’être fortement influencées par l’approche des élections. Contexte qui donnera probablement lieu à des discours encore plus politiques. Le timing joue donc toujours un rôle très important ; « si le texte Nature était arrivé il y a un an et demi, il aurait été traité différemment ». Certains dossiers ne pourront d’ailleurs pas être finalisés avant 2024.

Note de bas de page : (1) Réunion tripartite informelle sur des propositions législatives entre des représentants du Parlement, du Conseil et de la Commission. Leur objectif est de parvenir à un accord provisoire sur un texte acceptable à la fois pour le Conseil et le Parlement.