Généalogie d'une grande question
Partir en retraite est un moment important dans la vie des exploitations, mais pas uniquement pour eux, comme le prouve le documentaire de Rose-Marie Loisy.

Si prendre sa retraite peut être l'aboutissement d'une vie, une question le précède pour les exploitants : que faire de la ferme ? Face à l'ampleur de la tâche pour répondre à cette question et aux propres interrogations qu'elle soulève chez les descendants, Rose-Marie Loisy a décidé de réaliser un film documentaire : « Destinée, la transmission de la ferme familiale ». Loin de s'attaquer à un sujet inconnu, elle a pris comme support sa propre famille et l'exemple de la Ferme du Val d'Osseux (Rouy).
Pour justifier un peu plus son envie, la réalisatrice détaille : « je voulais partager des réflexions que d'autres personnes de ma génération ont, car finalement nous sommes plusieurs à ne pas avoir choisi la voie professionnelle agricole. Je ne sais pas si le film peut leur apporter des réponses, mais au moins maintenant, ils sauront qu'ils ne sont pas seuls ». Elle ajoute : « Parfois lorsque le moment fatidique de se séparer d'une exploitation arrive, les enfants – et ma sœur et moi en faisons partie – peuvent avoir un sentiment de culpabilité de ne pas reprendre, même si nos parents nous ont toujours laissés libres de nos choix… La cession d'activité des exploitants ne se limite pas à eux, et je voulais montrer cela ainsi que tout le cheminement nécessaire ».
Mémoire et sentiments
Pour entrevoir l'emprise qu'une exploitation peut avoir, il faut revenir, pour la Ferme du Val d'Osseux, en 1872. Créée à cette date, elle est depuis dans la famille Loisy… Jean-Paul Loisy, 68 ans, papa de Rose-Marie et installé en 1983, souligne : « je suis né là, j'ai fait mes premiers pas dans l'étable, comme nos enfants avec Nadine, et comme nos petits-enfants… De mémoire, tout le monde a grandi ici. Le lien avec ce lieu est donc bien plus que professionnel ». Chargée des rires et des souvenirs de chacun, la Ferme du Val d'Osseux a donc une résonance singulière se déclinant de manière différente pour chacun. Pour Rose-Marie c'est un instant spécifique : « j'avais une dizaine d'années et je jouais avec Filou, notre chien, au bord de la rivière. Ce moment a gravé un sentiment de liberté et de symbiose simple avec la nature qui résume finalement assez bien ce qu'est cet endroit pour moi ». Pour sa mère, Nadine, 63 ans et installée en 1993, c'est « la vision du jardin le matin avant la journée de travail… » avant de s'accorder avec Jean-Paul : « les naissances ! C'est un moment de grâce et de renouvellement de la vie qui déclenche une émotion inexplicable ». Avec une grande pudeur, ils évoquent également les fins de repas de famille se terminant en chanson… des sons faisant obligatoirement écho à ceux des machines agricoles en action dans les champs, aux beuglements des vaches ou aux interpellations des clients, pour une raison simple : « La maison et les bâtiments sont imbriqués » pointe Jean-Paul Loisy. Il précise : « C'est un point à avoir à l'œil car pour la vente de la ferme : l'un ne va pas sans l'autre. Mais, nous devions en discuter avec nos filles avant de prendre une décision, ce que Rose-Marie a d'ailleurs filmé ».
Un long cheminement
Avec un début de réflexion entamée en 2015, la transmission de la ferme a pris forme assez récemment, comme le détaille Rose-Marie : « entre le moment où mes parents ont commencé à nous en parler et la concrétisation de l'annonce, il y a eu énormément de temps et d'étapes ». Ces dernières, abordées dans le documentaire, sont diverses comme l'expliquent Jean-Paul et Nadine : « nous devions avoir une idée précise de la valeur de la ferme. Il fallait donc un diagnostic, que nous avons établi avec la Chambre d'agriculture de la Nièvre. Cela est très chronophage, car de nombreux documents sont à apporter. Ce diagnostic nous a également permis de cibler les éléments à modifier avant de mettre une annonce en ligne. Par exemple, nous avons engagé des travaux pour le système électrique et nous avons effectué un très grand tri dans le matériel qui avait été conservé mais qui ne servait plus depuis des années. Cela demande une certaine organisation car ces tâches s'ajoutent à d'autres : calcul des indemnités de retraites, réfection de la nouvelle maison, travail quotidien (pansage des animaux, confection des fromages, ventes sur les marchés et à la ferme) ; le tout sans compter les imprévus ». Finalement bien plus qu'un documentaire, c'est véritablement une tranche de vie passionnée qui est partagée, avec émotion et douceur. Si Jean-Paul réagit dans le film : « la paille est rentrée, il pleut, on vend la ferme », l'aventure du métier ne s'arrête pas là, car Gabriel, le petit dernier de la famille semble vouer un amour à la profession… Haut comme trois pommes, il a encore le temps de ramasser celles du verger de ses grands-parents pendant quelques étés avant de choisir le chemin qu'il empruntera… Si la reprise de la ferme du Val d'Osseux est imminente, Jean-Paul et Nadine Loisy vont emménager dans une autre maison à Rouy adjacente à une parcelle qu'ils viennent d'acquérir pour lancer un projet d'agroforesterie, déjà plantée de plus de 120 arbres fruitiers – dont une partie des plantations fut réalisée avec l'aide des enfants de l'école du bourg. Ils concluent : « Notre métier ne peut pas perdurer sans partage… et le film de Rose-Marie résume cela ». Finalement, c'est peut-être là une des réponses au renouvellement des générations : la transmission d'un amour quasi indicible pour une profession aux ramifications tentaculaires dans le cœur de ceux qui la côtoient.

Retrouvez le documentaire sur : https://www.france.tv/france-3/bourgogne-franche-comte/la-france-en-vrai-bourgogne/6937834-destinee-la-transmission-de-la-ferme-familiale.html