OS France Charolais et Institut Charolais
Caresses et coups de griffes de Bigard Cuiseaux à la Charolaise !

Cédric MICHELIN
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Le 11 juillet dernier à la Maison du Charolais à Charolles, l’Institut du Charolais et l’Organisme de Sélection Charolais France avaient invité le directeur du site Bigard à Cuiseaux. Un débat passionnant s’en suivait faisant le lien entre économie d’un industriel et génétique de la race. Olivier Jame tendait alors la main aux éleveurs Charolais, tout en leur assénant également quelques pics.

« Nous avons la chance d’avoir un gros opérateur de la viande dans notre département. Nous avons des questions à lui poser. Il nous faut aussi casser les barrières - de notre vocabulaire et de notre sélection – pour travailler ensemble. Les transformateurs sont au milieu de la chaîne et Olivier Jame va nous donner son regard sur l’évolution des marchés de viande. La dernière innovation reste le haché. Entre la décision et le résultat dans les assiettes, il y a un pas de temps de dix ans de génétique à faire évoluer », posait en introduction, Hughes Pichard, président de l’OS Charolais France.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, Olivier Jame, nouveau directeur de l’abattoir de Cuiseaux Bigard, se présentait. Avec un père « éleveur-engraisseur à Paray » et après avoir travaillé entre autres pour Leclerc, Olivier Jame a donc « vu l’évolution de nos clients et leurs consommateurs », obligeant désormais Bigard à « s’adapter tous les jours », même pour ce groupe de 15.200 salariés, 60 implantations, 30 abattoirs…

Les chiffres donnent le tournis : un million de tonnes abattues, 23.000 bovins par semaine, 120.000 porcs, 15.000 ovins, 4.500 veaux… nul doute Bigard est incontournable en France. Moins à l’étranger par contre. Jean-Paul Bigard « n’a jamais cédé aux sirènes étrangères », l’interprète différemment Olivier Jame, laissant sous entendre, qu’aujourd’hui, ses concurrents sont des multinationales. Malgré l’acquisition en 2018 de la société Nick Winters, « Bigard ne pèse rien dans le monde des cuirs au niveau mondial et guère plus au niveau Européen », concédait-il comme exemple général. Olivier Jame revenait toutefois sur l’acquisition en 2009 de Socopa, « pour défendre le territoire et agrandir la filière » française, alors que le Hollandais Vion lorgnait dessus.

1ère, 2e, 3e et maintenant 4e transformation

Le « juge de paix final, c’est la clientèle » a pour leitmotiv Olivier Jame qui accompagne donc ses clients dans leurs demandes qui va maintenant « jusqu’à faire le service ». Bigard parle de 1ère, 2e, 3e et même maintenant de 4e transformation. « Il y a 30 ans, on ne faisait pas de 3e transformation », c’est-à-dire la fabrication de produits élaborés frais ou surgelés. Aujourd’hui, Bigard fait des produits élaborés cuits. Ces derniers servent les cantines « avec des produits précuits pour répondre aux critères bactériologiques ».
Chaque site du groupe est spécialisé, « hormis Quimperlé qui a presque tous les métiers ». L’implantation de Bigard couvre la France, un peu moins densément le Sud-Ouest. Le groupe n’est pas non plus un « grand spécialiste » de la charcuterie et salaisons.
Ses premiers clients restent les grandes surfaces alimentaires (51 %) même si leur modèle est moins en vogue. Côté export (12 %), « selon les périodes, on est présent plus ou moins », à l’image du Moyen/Extrême-Orient qui s’est « ouvert pendant Covid puis refermé » depuis.
Derrière les GMS et l’export (44 % de l’export se fait en Italie ; 19 % Allemagne et 13 % Grèce), il y a « tout le reste et il faut proposer le bon produit, au bon moment, au bon client » donc : les industriels (16 %), la restauration hors-domicile et grossiste (13 %), les artisans boucher-charcutier (8 %).
Avec sa 1ère et 2e transformation de gros bovins uniquement (pas de veau), le site de Cuiseaux produit 300 tonnes carcasses (dont 100 t à l’export), 250 t muscles sous-vide et 300 t de steaks hachés surgelés. 128.000 bovins sont abattus sur place provenant à 30 % de laitières, 27 % de JB et 43 % de bovins race à viande (vache, génisse, taureau, bœuf). Entre race à viande et laitière, « ces taux se sont inversés ». Autre phénomène récent, lors des premières semaines de confinement, « le Covid nous a aidé à passer à 500-600 t sous-vide ».

Export, hallal et GMS pour la charolaise

La race charolaise (femelles et mâles) pèse 30-32 % des têtes abattues, principalement à destination de l’export et du commerce hallal. « L’eldorado des GMS s’est étiolé depuis dix ans en raison d’un manque de professionnels dans les magasins », analyse Olivier Jame qui juge « sans critiquer ce système pervers qui parle d’équilibre matière ». Résultat, « c’est rare qu’on leur vende entière une vache ».
Ces dix dernières années donc, Bigard est retourné vers les boucheries traditionnelles avec « une force commerciale pour vanter ce produit race à viande ». Bien leur en a pris car depuis le Covid, les boucheries ont « jamais autant bossé, en achetant entier ou un maximum de produits » de viande de qualité, expliqués aux clients. Depuis cinq ans, les grandes surfaces suivent cette tendance en achetant en partie des bêtes (faux-filets, rôtis, arrière…) pour faire des « mises en avant : des promotions », pour tenter de récupérer la clientèle perdue.

Moins mais mieux sauf si…

Quels marchés à l’avenir ? Olivier Jame évacuait le risque antispéciste vegan. « Ils restent une minorité mais le plus mal est fait ». Les combattant positivement, les campagnes médiatiques associant éleveurs et environnement font mouche. La tendance serait donc à « manger moins de viande mais mieux ». Gare toutefois, « nous industriel, on n’a pas fait ce qu’il fallait depuis 15 ans », reconnaissait Bigard, plus occupé « à répondre à l’économie qu’au plaisir gustatif ».
Il prenait alors deux exemples pour illustrer l’avenir. « Au restaurant, un client commandant une entrecôte. Si elle est bonne, le restaurant ne sera pas vu comme cher. Si elle est mauvaise, il sera toujours trop cher », expliquait-il pour illustrer les attentes de cette clientèle à fort pouvoir d’achat qui « ne doit pas être déçu ».
Seconde catégorie pour lui, la clientèle à pouvoir d’achat moindre. « Le haché existe pour cela ». Auparavant produit complémentaire, le haché est aujourd’hui « aux portes des 60 % des abattages en France, en transformation, mélangeant toutes les races ». Le directeur ne cachait pas sa politique d’achat : « moindre prix pour qu’ils continuent d’en acheter ».
L’occasion pour lui de rappeler que l’explosion des burgers en restauration a une double explication, « pour le prix mais aussi parce que la restauration à trop tirer sur l’élastique » avec des "mauvaises" viandes alors qu’avec un burger-haché, « cela passe même avec un mauvais cuisinier ».
Enfin, pour une partie de la population paupérisée, alors que l’inflation va empirer les choses, « certains vont rarement manger de la viande. La segmentation du marché est ainsi », car bien-être animal, respect de l’environnement, bonne rémunération des éleveurs… passent après « le prix, c’est notre métier ».

Le persillé ? quel persillé ?

Vers la fin de sa présentation, début du débat en réalité, Olivier Jame dévoilait les raisons de sa présence à ses assemblées de l’OS Charolais et de l’Institut : « aujourd’hui, une clientèle – en restauration ou aux magasins – cherche des viandes persillées. On essaye toutes les races et ce n’est pas avec la charolaise qu’on arrive à un taux de persillé important ou à avoir des sorties régulières », lâchait-il. Il insistait particulièrement sur ce dernier point pour pouvoir répondre à la demande de clients. « L’américain Costco veut ouvrir dix magasins avec un produit, une viande persillée. On a mis du Charolais Label mais si on n’est pas réguliers, on mettra une autre » race à viande, avertissait-il. Pour lui, actuellement, « le charolais n’a pas cette caractéristique première » de la régularité du persillé, et même après avoir « essayé le croisé » avec l’Angus (dénommé changus), « sans régularité pour des gros volumes ». C’est là que les débats débutaient réellement avec les éleveurs n’ayant pas exactement la même vision que Bigard !

Finie la cueillette ? Place à la génétique persillée ?

« Demain, il va y avoir un classement persillé même si on ne sait pas comment », annonçait Olivier Jame pour Bigard Cuiseaux. La réaction des éleveurs-sélectionneurs dans la salle ne tardait pas, après avoir encaissés les pics sur la race charolaise sans trop broncher. « Vous avez incité les éleveurs à être rémunéré au poids et maintenant, vous voulez du persillé en nous disant que la seule porte de sortie serait de croiser. Regardez plutôt une solution pour la race charolaise », lançait un premier éleveur. Olivier Jame avouait son ignorance sur ce sujet. « On n’a pas la clé pour vous mais on sait que des Simmental Allemandes, Irlandais… sont régulières » sur le niveau de persillé. Pour aider la charolaise, Bigard est « prêt à faire ce suivi à l’abattoir » Cuiseaux sur le critère persillé. Mais quelle est la définition du persillé en termes de classement ?
Le président de l’Institut Charolais, Jean-Jacques Lahaye questionnait sur l’organisation aussi de ce marché demain car aujourd’hui, « peu de clients achètent des viandes persillées en magasin mais plutôt, aux restaurants pour des viandes cuites », moins gras alors à l’œil du même consommateur. Olivier Jame prédisait plutôt la « fin de la cueillette », « demain on va donner au monde de l’élevage, une vision à 5-10 voire 20 ans », se posant néanmoins encore la question de comment « monter en face des marchés durables avec nos clients », industriels, GMS, RHD et bouchers. Son intuition toutefois, des portions plus petites et donc pas « avec une vache de 500 kg, cela ne rentre pas en barquette » en libre-service en GMS, critiquant au passage « le limousin qui alourdit ses animaux », en guise de miroir à l’histoire Charolaise. Le créneau de Bigard Cuiseaux aujourd’hui est d’abord « des animaux lourds 450-500 kg » pour la boucherie et ensuite des animaux « plus légers, pas forcément jeunes » pour les GMS. Le troisième créneau étant la segmentation (Label, AOP, IGP). Bigard a « renégocié une 3e augmentation sur le prix du haché cette année et a pu remettre du prix sur la viande basique ». Ce qui faisait bondir l’éleveur Didier Giraud qui lui rappelait que « la segmentation devait nous permettre de nous sortir de la crise. On se prend la tête à faire de la génétique pour du hâché à la fin », ne comprenait pas ce passionné.
Olivier Jame veut plutôt voir « des mises en place dans les fermes pour répondre au mix marchés ». Hughes Pichard relistait le travail de l’OS déjà en place (lire notre édition précédente) sur « le problème de précocité et pour repérer les animaux qui ont du persillé » pour trier et aller au bout de la sélection des animaux et gènes d’intérêt correspondants.
Le président du syndicat des commerçants en bestiaux, Paul Pacaud voulait savoir si le manque de persillé ne viendrait-il pas plutôt de problèmes d’alimentation ou de durées d’engraissement insuffisantes. Bigard constate en effet parfois des « manques de finition parfois de 15 jours sur faux-filets/entrecôtes », rajoutant toutefois qu’il n’a pas vu de « corrélation entre le gras de couverture et le persillé ». Le directeur de l’Institut, Frédéric Paperin proposait néanmoins une « remontée de filière ». Ainsi avec les données de Bigard, un « profil type » pourrait peut-être être défini. Rien d’impossible puisqu’avec les IPG (identification des animaux), l’éleveur peut être retrouvé facilement. Un autre éleveur sélectionneur poussait la réflexion plus loin : « on a plein de choses à explorer. Si Bigard donnait 10€ pour génotyper chaque animal, on pourrait déjà aller plus vite pour trouver des doubles MHBeef en charolais au lieu de miser sur l’effet hétérosis des Changus ».
Au final, tous reconnaissaient que « personne n’a le secret du persillé ». Tous conviennent que pour le percer, il faudra échanger des données dessus mais « depuis nos discussions il y a un an à Interbev, nous n’avons toujours pas le droit de toucher seul aux données Normabev », regrettait l’OS Charolais France. Pour Hughes Pichard, si la génétique jouera « pour 10 % », la filière charolaise - minée par les crises – est tombée dans une « pauvreté technique », prenant l’exemple des fourrages de faible qualité de l’an dernier, non analysés et non corrigés. Allant même plus loin : « notre système herbager, qu’on promeut, n’ai pas optimal sur tous ces sujets », notamment pour obtenir ce persillé qui représentera « une part de la segmentation de nos races à viande de demain ». Un autre débat à venir au sein de la filière élevage.
En fin de réunion, Olivier Jame promettait d’ouvrir ses portes de Bigard Cuiseaux aux éleveurs pour « parler du traçage des bêtes ». Une main tendue que les éleveurs saisissaient au vol.