Attaque de loup
Le haut de l'iceberg

Chloé Monget
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Suite aux dernières attaques sur troupeaux dont la responsabilité du loup n'est pas écartée, un éleveur partage son expérience, ses peurs et ses angoisses pour l'avenir. 

Le haut de l'iceberg
Une brebis (tuée dans la nuit du 16 au 17 août) retrouvée entre les bâtiments de Gricha, à environ 10 m de sa maison d'habitation. Crédit photo Gricha Lohmann.

« Quand cela nous arrive, on se sent seul, démuni, abandonné » souligne Gricha Lohmann, 33 ans, installé en début d’année et ayant subi une attaque début août. Après l’enthousiasme de l’installation, Gricha a eu droit à une année particulière : « nous avons eu les orages, le manque d’eau… mais, lorsque l’on se lance de cette profession, on sait que la plus grande inconnue est le climat. De ce fait, on est prêts à s’adapter. Même si tout cela porte un petit coup au moral, on se relève toujours et on repart de plus belle. Mais, trouver ses animaux dévorés, et proche de la maison qui plus est, on s’en remet difficilement, voir pas du tout ».

Coup de massue

Le 16 août, Gricha sort son troupeau derrière ses bâtiments : « je les avais à l’œil car certaines agnelles étaient jeunes ». Vers 13 h 30, Gricha s’absente et revient vers 17 heures pour rentrer la troupe d’agnelles. « En rentrant, j’en trouve une sur le dos. De loin, j’ai pensé qu’elle s’était fait mal, mais rien de grave. De près, elle était dévorée. Sans perdre mon calme, je fais le tour de mes prés, et je constate que mes agnelles, d’habitude toutes regroupées, sont en lots disparates et complètement affolées. À environ 180 m de la première dépouille, j’en trouve une autre, là encore déchiquetée – il n’y a pas d’autre mot. Un peu plus loin, une troisième était également en mauvais état, et j’ai dû la faire euthanasier ». Après ces trouvailles macabres, Gricha suit la procédure en cas d’attaque supposée de loup par un éleveur (voir TDB n° 1684 p. 9). « La gendarmerie est arrivée le soir même et l’OFB devait passer le lendemain pour faire ses constatations ». Ce soir-là, il pleut des trombes d’eau, Gricha couvre les cadavres afin que les scènes ne soient pas altérées pour permettre à l’OFB de faire ses relevés. Mais, sa soirée n’est pas terminée : « Comme je ne savais pas s’il s’agissait d’un loup ou d’un chien, j’ai rentré les agnelles. Les brebis étaient, elles, dans une autre parcelle plus loin, je les ai donc laissées dehors. Après le départ des gendarmes, je suis allé les contrôler – vers 10 heures du soir - elles allaient bien. Ne pouvant dormir, je me suis relevé, vers 3 h 30 pour les recontrôler. Là encore, tout allait bien. À 6 h 30, j’y retourne… j’en trouve une première saignée, puis une deuxième, une troisième, une quatrième… je me suis dit que ça ne s’arrêterait pas ! ». Au total, dans la nuit du 16 au 17 août, 7 brebis sont mortes. « À chaque fois, j’ai vu le même mode opératoire : une morsure à la patte et une au cou, rien de plus ».

Suffisants ?

Outre le plan de reproduction de Gricha qui est désormais complètement faussé à cause de ces pertes, et donc un manque à gagner non négligeable, il martèle : « oui, nous avons des « aides » financières mais cela ne remplace pas les animaux, le travail passé auprès d’eux et surtout cela ne retire pas le traumatisme que l’on a en trouvant son troupeau dans cet état. De plus, j’ai dû enfermer mes animaux dans les bâtiments après – par peur d’une troisième attaque – je n’ai pas fait ce métier pour voir mon troupeau comme ça. De plus, après le passage de l’OFB, et la gendarmerie, on est seuls. Comme éleveur, nous n’avons pas de retour sur notre dossier. Personne ne nous tient au courant ou nous explique précisément ce qui s’est passé, j’ai d’ailleurs demandé à voir mon dossier auprès de l’OFB et de la préfecture, mais je n’ai eu aucun retour. Certes le Parc m’a contacté le lendemain de l’attaque, mais cela ne résout rien, car on est seuls à tenter, encore une fois, de trouver des solutions pour pallier le manque. Aujourd’hui, dans les discours des pouvoirs publics, on nous demande de produire local, en respectant le bien-être des animaux… mais, il est où le respect de notre métier et de nos cheptels ? On nous propose des clôtures électriques, des chiens de troupeaux, mais on voit bien, dans les autres départements, que cela n’est pas totalement efficace pour la défense. Et pire, cela peut nous attirer des problèmes, notamment avec les chiens de protection qui peuvent, en faisant ce pour quoi ils sont dressés, faire des bavures (piétons et animaux de compagnie). Les réponses de l’État face à cette situation ne sont pas adaptées pour les éleveurs ou leurs cheptels. Foncièrement, je ne suis pas contre le loup, car c’est un animal qui a été réintroduit pour des raisons que je peux comprendre, mais, si rien ne change, je pense que l’on signe l’arrêt de mort de l’élevage dans certains territoires Français – Morvan compris – car qu’on se le dise, ce sera soit le loup soit nous si aucune solution plus adaptée n’est trouvée. Et, si nous disparaissons, où l’État ira-t-il trouver ses produits locaux pour fournir ses cantines ? ». Depuis d’autres attaques, dont la responsabilité du loup n’est pas exclue ont eu lieu dans la Nièvre. Dans un souci de précision, les points de vue, sur ce sujet, du Parc du Morvan, de la Préfecture et de la Chambre d’agriculture de la Nièvre seront abordés dans un prochain article.