Point de vue
Recherche : l'autre cause du marasme agricole français ?

Vincent Chaplot
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Vincent Chaplot, agriculteur de Côte-d’Or et directeur de recherche à l’IRD, livre un point de vue par lequel il établit un lien entre les problématiques actuelles exprimées par le monde agricole et l’état de la recherche en France dans ce domaine.

Recherche : l'autre cause du marasme agricole français ?
La recherche agronomique en France pourrait-elle plus contribuer à atténuer le malaise agricole qui s'exprime actuellement ? C'est en tout cas le point de vue défendu par Vincent Chaplot.

Deuxième exportateur mondial dans les années 1980, l’agriculture française qui assurait non seulement la sécurité alimentaire mais aussi le dynamisme économique, la cohésion sociale et la beauté des paysages, est à l’heure actuelle dans le désarroi et si rien n’est fait, elle disparaîtra, tel est le constat actuellement fait par le monde agricole. Il existe, en plus des causes du déclin agricole français énoncées ces dernières semaines (normes injustifiées, charges qui explosent, concurrence déloyale de pays comme l’Ukraine et autres accords de libre-échange…) un mal beaucoup plus profond et sournois : la recherche, qui est le moteur du développement, a progressivement délaissé, en France, les questions agricoles. Dans un pays partiellement détruit par la Seconde guerre mondiale et terrifié par le spectre des rationnements alimentaires, la promotion des engrais minéraux, ainsi que de variétés et de pratiques agricoles améliorées par la recherche agronomique, a permis d’accroître de façon spectaculaire la production agricole française, ce dont l’économie et la société ont bénéficié. L’Inra, (aujourd’hui Inrae) qui était dans les années 1960 le moteur du développement agricole est devenu, suite à une décision ministérielle de 1984, un institut de recherche fondamentale. Sa renommée et l’avancement de ses chercheurs (des professionnels ayant bac + 8) ont été progressivement liés à la quantité d’articles scientifiques publiés dans des journaux scientifiques de langue anglaise, plutôt qu’à leurs innovations agricoles. Aujourd’hui, l’Inrae s’intéresse largement aux questions environnementales et de santé.

« Prendre une autre route »

Dans le même temps, les instituts de recherche agronomiques de nos principaux concurrents comme le Brésil et l’Afrique du Sud, montaient en puissance. Par exemple, l’Empresa brasileira de pesquisa agropecuaria (Embrapa), entreprise brésilienne de recherche agricole, créée en 1973 a permis en 20 ans d’augmenter la fertilité des bovins de 100 % grâce à des innovations sur les races, les pratiques d’élevage et la création de variétés de graminées améliorées, de maïs et de soja adaptées aux conditions locales. Le bon sens paysan veut que nous nous préparions au pire en espérant le meilleur et il est encore temps de faire marche arrière pour prendre une autre route. Il est tout d’abord urgent de retisser le lien entre recherche et agriculture. Développer les systèmes agraires de demain ayant pour objectif la production d’aliments de qualité et rémunérés au juste prix, respecter la condition animale et la préservation de l’environnement, sont des objectifs réalisables et doivent devenir la priorité nationale. Cela doit donc être aussi celle de l’Inrae, appuyé par les universités, les instituts techniques, de formation et de développement agricole locaux. Les agriculteurs seuls ne sont pas armés pour relever de tels défis. Il faudra ensuite que les gouvernants acceptent de donner les clés de l’Inrae à des chercheurs expérimentés, comme ce qui a prévalu, jusqu’à la période récente, en lieu et place de politiciens. Ensuite, il est essentiel que les problématiques agricoles remontent au cœur des instituts de recherche pour devenir des priorités d’action. Enfin, il faudra s’assurer que tous les chercheurs français bénéficient des conditions matérielles et humaines nécessaires à l’expression de leur plein potentiel.