Multiples casquettes
S'engager pour être entendu

Chloé Monget
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Figure connue du paysage nivernais, Philippe Guillien a cumulé les casquettes professionnelles durant toute sa carrière. En mars prochain, il raccrochera celle du Crédit Agricole, l’occasion pour lui de revenir sur ses engagements.

S'engager pour être entendu
En 2024, Philippe Guillien quittera ses fonctions d'administrateur au Crédit Agricole.

« J’en ai eu des casquettes différentes, mais on ne va peut-être pas tout mettre » sourit humblement Philippe Guillien en évoquant les nombreux engagements qui ont rempli sa carrière. À la retraite depuis environ trois ans, il quittera ses fonctions d’administrateur au Crédit Agricole en mars prochain lors de l’assemblée générale : « 13 ans au Crédit Agricole, c’est une page importante qui se tourne, et revenir dessus est nécessaire pour comprendre l’importance de l’engagement quand on est exploitant agricole ». Afin de comprendre l’impact de ces 13 ans, il faut revenir à son installation.

Intervention décisive

Installé en 1981, son engagement général commence dès cette année-là : « on peut dire que j’ai du caractère, avec un comportement toujours en réaction à ce qui se passe autour. Si un point ne me plaît pas ou me pose question, je dois parler, tout timide que je suis ». En partant de ce postulat, il évoque une anecdote : « Lors d’un conseil de CDJA, seuls les cadres se portaient volontaires pour être candidat à la Chambre d’Agriculture… J’ai alors demandé pourquoi car je ne trouvais pas cela normal. Si je n’avais pas posé la question, je n’aurais pas été élu, et quelque temps plus tard je suis devenu président de CDJA ». Assez naturellement il prend ses fonctions et détaille : « au début, on a un peu le sentiment d’être en décalage, puis, peu à peu on parle d’égal à égal avec le préfet, le président de chambre, les présidents des OPA et j’en passe. Cette mise à niveau à de nombreux avantages. D’une part, on est au courant de ce qui se passe. D’autre part, on comprend les fonctionnements de chacune des structures. Ensuite, on est entendu lorsque l’on dit quelque chose. Enfin, si ce que l’on dit est pertinent, il y a souvent des actions qui suivent. Pour toutes ces raisons, l’engagement est indispensable si l’on souhaite participer aux décisions qui sont prises pour notre secteur ». Ainsi, après sa présidence, il commence à̀ enchaîner les engagements : 1985 – 1989 : président CDJA ; 1989-1995 : secrétaire général de la FDSEA 58 ; 1989-2002 : président du Syndicat intercommunal de regroupement pédagogique d’Épiry-Sardy-Montreuillon ; 1983 jusqu’à aujourd’hui : élu chambre ; 1993-2010 : président Adasea ; 1994 – 2017 : président du marché de Corbigny ; 2011 : administrateur au Crédit Agricole et, là, il souligne : « Je voulais savoir comment fonctionnent les banques, car c’est un peu le nerf de la guerre ».

Garde-fou

« Être administrateur, c’est être assidu dans ses missions. Avec un conseil tous les mois, il faut s’y rendre afin de ne pas être perdu la fois d’après. Je pense que ce genre de conseil est important, outre définir les grandes orientations, il fait office de garde-fou ». Il poursuit en détaillant ce point de vue : « De plus en plus, les décisions se prennent au niveau Européen, et si sur certains projets les actions ne sont pas suivies par le gouvernement, l’Europe utilise les banques pour passer tout cela. Par exemple, pour un prêt, la banque sera obligée d’avoir un regard social et environnemental sur une entreprise. Que cela soit bien ou mal, je ne me prononce pas. Il faut simplement que cette injonction de la BCE ne soit pas appliquée de manière zélée afin de ne pas mettre en péril le modèle de notre société et c’est là que les comités doivent continuer leur travail de modération. En sus, il faut maintenir la répartition de nos collaborateurs sur tout le territoire ou encore la prise en compte de la diversité de tous nos clients. L’avenir de l’agriculture ne sera pas simple, mais nous ne sommes pas dans une situation désespérée en France. Maintenant, je pense que l’agriculture ira au-delà de la nourriture, notamment avec le développement des énergies comme les biocarburants ; à nous de nous positionner pour prendre en compte ces modifications. En parallèle, pour l’avenir, il est nécessaire de se recentrer sur nos métiers et nos problématiques. Si une filière ne fonctionne pas ce n’est pas en la diversifiant qu’elle ira mieux. Il faut trouver le fond du problème et le régler. La diversification ne doit pas êêtre une béquille provisoire, mais bien un projet en soi. Le Crédit Agricole peut être pris en exemple, puisqu’il a développé l’assurance comme activité complémentaire. Toutefois il a fallu plusieurs années pour se stabiliser et son rapport, appréciable aujourd’hui dans le contexte de hausse des taux, n’a pas vocation à rééquilibrer dans le temps l’activité de crédit, notre cœur de métier ». Toujours en rapport à ce milieu qu’il a vu évoluer depuis son installation, il regrette un point en particulier.

Incompréhension

« J’ai l’impression qu’en France l’agriculture est marginalisée : il ne faut pas déranger et il faut produire en accord avec des attentes émises par des personnes vivant en ville. Ils idéalisent le parcours de nos parents, fait de labeur et de servitude, une vie qu’ils ne voudraient pas vivre. Pour moi, cela est le miroir d’un problème global de société : on a 80 % de la population vivant en ville qui veut imposer sa vision (à tous les niveaux) aux 20 % qui vivent dans les campagnes. C’est inacceptable car ils ne connaissent pas la vie en ruralité. Il y a donc un décalage de compréhension due à une méconnaissance du milieu. Dans la même veine, les lois et autres réglementations sont travaillées de manière théorique et l’implication des exploitants permet de recentrer ce travail sur la pratique. En effet, qui mieux que nous, exploitants, pour connaître et comprendre nos problématiques ? Mais, encore une fois, pour nous faire entendre il faut des personnes engagées dans les organismes professionnels ou syndicaux ; sans cela, les décisions se prendront pour nous ». Pour conclure, il pointe : « je quitte le Crédit Agricole en 2024, car j’ai atteint l’âge limite, mais je vais être remplacé ; les institutions sont plus fortes que les individus… si chacun s’implique pour qu’elles fonctionnent ! ».

 Implication
Philippe Guillien, à droite, avec son épouse Michèle et leur fils Mathieu en 1987 dans la cour de leur ferme. Crédit photo : Famille Guillien.

Implication

1981 : installation et président CCJA de Corbigny 

1985 – 1989 : président CDJA

1989 -1995 : secrétaire général de la FDSEA 58

1989 -2002 : président du Syndicat intercommunal de regroupement pédagogique

1983 jusqu'à aujourd'hui : élu chambre

1993 -2010 : président Adasea

1994-2017 : président du marché de Corbigny 

2011 – 2024 : administrateur au Crédit Agricole Centre-Loire