Portrait
Le sens de l'improvisation alimentaire
À Dijon, Sandy Pagès-Hélary a créé Les Bourguigourmands. Un ensemble de services en ligne qui vont d'idées recettes aux conseils nutritionnels, avec une volonté claire : valoriser les producteurs et les produits bourguignons, en proposant une cuisine créative et maline.
Improviser, c'est un talent. Certains comédiens parviennent, en quelques secondes, à imaginer une histoire après que vous leur ayez soumis une idée, ou même un mot. Ce talent, il peut se décliner à d'autres domaines. Sandy Pagès-Hélary l'exerce en cuisine. À Dijon, cette jeune femme fait vivre depuis plus d'un an Les Bourguigourmands. Derrière ce « mot-valise », on trouve un éventail de services numériques qui ont tous pour point de départ la volonté de valoriser des producteurs et des produits locaux. La fondatrice n'a pas son pareil pour tirer le meilleur parti d'un frigo que le commun des mortels considère comme déprimant, tant il n'en sort a priori, aucune idée de plat. Sauf pour Sandy ! Cette capacité d'improvisation culinaire et ce goût pour les produits du terroir bourguignon se doublent d'une dimension créative et artistique sur laquelle nous reviendrons.
Sciences et arts appliqués
Mais commençons par le début : native de Seine-et-Marne, Sandy Pagès-Hélary est venue étudier les sciences des aliments à l'Ensbana de Dijon (aujourd'hui Institut Agro) en 2009. Elle en est sortie ingénieure et même docteure, à l’issue d'une thèse portant sur les interactions entre les protéines salivaires et les molécules aromatiques, menée au sein de l'Inra. « À l’époque, explique-t-elle, ces études me permettaient de réunir deux de mes centres d'intérêt : les sciences et l'art appliqué. J'ai notamment étudié le design de certains aliments ». La jeune femme a même, un temps, caressé l'idée de devenir illustratrice scientifique. Son doctorat en poche, elle a commencé à travailler en recherche et développement dans l'industrie agroalimentaire. En parallèle, elle garde en tête un souci qu'elle a depuis qu'elle est enfant : lutter contre le gaspillage alimentaire, d'où l'art d'utiliser au mieux les restes. En 2016 elle tente de créer une start-up sur ce thème. « Mon idée, rappelle-t-elle, était d'animer, dans des grandes surfaces, un îlot au cœur d'un rayon fruits et légumes et de récupérer des produits destinés à aller à la poubelle ou dans le circuit des épiceries solidaires. Je voulais proposer de les cuisiner devant le public, ce qui créait une animation, supprimait les pertes de produits et les gens auraient pu bénéficier d'un plat cuisiné frais... » Séduisante, l'idée arrive sans doute un peu trop tôt et ne se concrétise pas, faute de partenaires. Alors la jeune femme s'essaye à l'enseignement, en collèges et en cours particuliers, elle se forme aussi beaucoup, à la cosmétologie ou au codage informatique, histoire d'élargir encore une palette de compétences déjà très diversifiée. C'est en travaillant dans l'informatique qu'elle a l'idée de créer une application qui proposait à des particuliers des recettes à partir de ce qu'ils avaient dans leur frigo et, si nécessaire, de partager des ingrédients, en fonction de son positionnement géographique. Une sorte de « Tinder » de la cuisine, favorisant les échanges entre cuisiniers amateurs, permettant de limiter le gaspillage alimentaire et de rapprocher les gens.
Le bon moment
C'est aussi à cette époque qu'après une période parisienne, elle revient à Dijon, ville qui lui correspond plus, et répond à une proposition d'Agrosup pour travailler sur les molécules aromatiques des baies de cassis, au profit de la crème de cassis locale. L'Indication géographique protégée (IGP) dont bénéficie ce produit implique d'utiliser majoritairement la variété Noir de Bourgogne, difficile à cultiver et très sensible au changement climatique. Sandy Pagès-Hélary va donc œuvrer à un projet, avec la Chambre d'agriculture de Côte-d'Or, dans le cadre de deux Plan européens d'innovation (PEI). « Le but, précise-t-elle, était de trouver une autre variété, ou un hybride à partir du Noir de Bourgogne, plus résistant que le Noir de Bourgogne originale, tout en conservant un bon rendement et en étant facile à récolter ». Cette mission a pris fin au printemps dernier mais elle n'est pas pour rien dans le lancement, en août 2023, des Bourguigourmands : Sandy avait la conviction qu'il fallait soutenir, d'une manière ou d'une autre, ces bons produits bourguignons. « J'avais envie de valoriser des producteurs que je trouve passionnants ». Et cette fois, elle n'arrive pas trop tôt ! Poster des photos, des vidéos, de recettes, d'idées de préparations culinaires, voilà qui fait aujourd'hui partie d'une certaine normalité. Allez voir sur Instagram (1) mais aussi Facebook, Youtube et Tik Tok, les plats qu'elle présente. Le souci esthétique manifeste qui les accompagne ne les rend que plus attractifs. On y retrouve de manière évidente son tropisme artistique. Les réseaux sociaux, c'est aussi pour elle le moyen de sensibiliser des générations plus jeunes à l'intérêt de connaître les produits alimentaires en tant que matières premières, motiver les jeunes dans leur envie de cuisiner et, plus largement, donner envie à la population de se tourner vers une alimentation plus saine.
Boîte à outils
Au lancement, les Bourguigourmand était une activité bénévole que Sandy Pagès-Hélary menait en parallèle de sa profession. Désormais, elle souhaite passer à la vitesse supérieure et en vivre. Elle s'est constitué un réseau de plus de 30 partenaires (agriculteurs, commerces...) « J'espère que parmi eux, beaucoup prendront conscience de tout le travail que j'effectue pour valoriser leurs produits », et que cela se traduira par la possibilité de se rémunérer. « Chaque publication, souligne-t-elle, même sans vidéo, réclame de nombreuses heures de travail. Je fais de la veille sur internet pour réaliser des recettes innovantes. Je réfléchis au dressage en même temps que je crée mes recettes, je m'appuie sur ma connaissance des producteurs pour les enrichir ». Ce qu'elle propose aujourd'hui, c'est une « boîte à outils » pour bien utiliser des produits locaux, enrichie d'autres services : création de pages Instagram pour des producteurs, maintien de leurs réseaux sociaux à jour... Elle s'appuie aussi sur sa formation scientifique pour accompagner les recettes d'informations sur les valeurs nutritionnelles de chacun des composants, en français et en anglais. Une véritable « Bourguifamily », comme elle surnomme la communauté de producteurs qui travaillent avec elle.
(1) : lien
Afin de développer son activité, Sandy Pagès-Hélary a lancé des cagnottes en ligne sur Tipeee et sur Ulule, par lesquelles vous pouvez la soutenir (https://fr.tipeee.com/les-bourguigourmands et https:/fr.ulule.com/les-Bourguigourmands-la-collecte/) dans le but de financer des achats de matériels. Des créateurs de contenu sur les réseaux qui mettent en avant des producteurs ou des restaurateurs, il y en a, mais la particularité de Sandy, c'est qu'elle le fait en prenant le parti de valoriser les producteurs locaux avec imagination, créativité et le souci d'une cuisine accessible. Elle a également participé à l'émission « Ma recette est la meilleure de France », présentée sur M6 par le chef Cyril Lignac, avec une recette d'œufs en meurette à la crème de cassis de Dijon. À voir en replay.