Climat
« Les solutions, on les a depuis 20 ans, il faut les concrétiser »

Propos recueillis par Christopher Levé
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Serge Zaka, docteur en agroclimatologie, a accepté de s'entretenir avec nous pour parler du climat et de ses inquiétudes pour les prochaines années. Ce dernier aborde également la fluctuation des pluies ou encore les climatosceptiques. Entretien exclusif.

Climat
Serge Zaka, docteur en agroclimatologie.

Terres de Bourgogne : En ce qui concerne le climat pour les années à venir, beaucoup de scientifiques s’accordent à dire qu’ils sont inquiets. Est-ce aussi votre cas ? Avez-vous des motifs d’espoir ?

Serge Zaka : « Il serait faux de dire que je ne suis pas inquiet. Lorsque l’on observe les deux ou trois dernières années, on a eu tous les événements climatiques possibles qui ont impacté l’agriculture : le gel en 2021, en 2022 et un peu en 2023, la sécheresse sur ces trois années, trois canicules, la grêle… avec à chaque fois d’énormes pertes de rendement. Et ces pertes de rendement montrent que l’on n’est pas prêt. Ce qui est encore plus inquiétant, c’est que les projections du GIEC indiquent que cela sera récurrent en 2050. Si d’ici là on n’a pas su s’adapter, on connaîtra chaque année ces mêmes pertes de rendement. Si je dois donner quelques chiffres : il y a eu - 54 % de rendement pour le maïs l’année dernière dans le sud-ouest de la France et – 60 % de rendement pour les cerises en France en 2021.
Le seul point « positif » dans tout ça, c’est que désormais on a des preuves de ce changement climatique, ce qui va permettre à ceux qui l’ignoraient d’en prendre conscience et d’agir pour s’adapter ».

TdB : Que manque-t-il aujourd’hui pour éviter à l’avenir de telles pertes de récolte ?

SZ : « Les solutions, on les a depuis 20 ans, il faut les concrétiser. Il ne faut pas attendre que l’événement arrive (le changement climatique) pour agir et dire « les scientifiques nous avaient prévenus, mais maintenant faisons en sorte que cela n’arrive plus ». Désormais, il va peut-être falloir passer du côté de l’anticipation et ne plus dire, comme en avril 2021 « ah oui, cela fait 20 ans que les scientifiques nous disent qu’il y aura de plus en plus d’épisodes de gel et de pertes de rendement à cause de la floraison précoce ». Tout ça est vrai et à un moment donné, il faudrait peut-être écouter les preuves scientifiques et investir financièrement en amont avant que cela ne se reproduise. Le gel d’avril 2021 a fait 4 milliards d’euros de dégâts. Si on avait investi ces 4 milliards d’euros en amont, en écoutant les scientifiques, on n’aurait jamais eu autant de dégâts. Selon moi, il faudrait passer de la politique du pansement (entendre par là d’indemnisations suite aux dégâts) à la politique d’investissements sur le long terme de protection et d’atténuation ».

TdB : Aujourd’hui, par rapport aux dernières années, il semblerait qu’en moyenne, en France, il y ait toujours autant d’eau provenant des pluies sur l’année civile, mais que cette eau ait tendance à tomber différemment, avec de plus en plus d’épisodes de fortes pluies. Quel est l’impact de cela ?

SZ : « C’est vrai. Dans le nord de la France, il y a même une augmentation de l’eau qui tombe sur l’ensemble de l’année. Entre 1961 et 2012, on a observé une hausse de la pluviométrie d’environ 5 % en moyenne dans cette région. En parallèle, lorsque l’on regarde les surfaces concernées par la sécheresse, on a soit une stabilisation, soit une légère augmentation dans le nord de la France, ainsi qu’une forte augmentation dans le sud de la France. Malgré le fait, qu’il y ait plus de pluie, il n’y a pour autant pas moins de sécheresses.
Cela s’explique par plusieurs choses. Le premier point est la saisonnalité. La pluie ne tombe pas pareil en fonction des saisons. Elle a tendance à tomber un peu plus l’hiver et un peu moins l’été. Autre point : vu qu’il fait plus chaud qu’avant, il y a davantage d’évaporation et donc plus de perte d’eau en écosystème. C’est-à-dire qu’à même quantité d’eau sur l’année, on perd davantage d’eau à travers l’évaporation. Il y a alors moins d’eau dans le sol. Dernier point : vu qu’il y a plus de vapeur d’eau dans l’atmosphère lorsqu’il fait chaud, les orages et les précipitations sont plus intenses. Cela fait que lorsqu’il pleut, l’eau ne rentre pas dans le sol, mais ruisselle ».

TdB : Vous vous êtes très actif sur les réseaux sociaux, notamment sur Twitter. Vous êtes très souvent soit directement soit indirectement confronté à des climatosceptiques. Est-il possible de leur faire entendre que le changement climatique existe réellement ?

SZ : « Les personnes qui refusent d’entendre, en 2023, que le changement climatique est bel et bien présent sont des personnes qui refusent d’entendre beaucoup de choses scientifiques. Pour moi, c’est plus une maladie mentale qu’il faut soigner, qu’une persuasion que nous devons faire. Il faut le dire, ce sont des personnes complotistes et il est impossible de leur faire changer d’avis malgré toutes les preuves scientifiques que l’on peut leur mettre à disposition. Aujourd’hui on est plus sur de la prévision mais sur de l’observation en ce qui concerne le changement climatique. Heureusement, cela ne représente qu’une part très faible de la population, qui fait toutefois beaucoup de bruit sur les réseaux sociaux.
Je prends beaucoup de plaisir à intervenir sur leurs postes, cela me fait rire. Parfois, on voit beaucoup de choses passer sur l’agriculture qui sont absurdes. J’aime leur répondre mais toujours de manière chiffrée, avec des faits scientifiques. Cela n’est pas fait pour leur faire changer d’avis, car je sais pertinemment que c’est impossible. C’est pour donner une autre version à une personne qui ne serait pas avertie sur ces sujets (liés au changement climatique) et qui tomberait par hasard sur les postes de climatosceptiques. Le but est de faire en sorte que ces personnes ne croient pas toutes les bêtises que l’on peut voir sur Internet. J’aimerais que d’autres scientifiques m’aident à intervenir sur ce genre de publication. C’est important de ne pas laisser de place au charlatanisme dans notre société. Cela peut mener à des inactions politiques, ce qui serait dramatique ».

« Il faut travailler sur des nouvelles filières »

Selon Serge Zaka, l’adaptation au changement climatique passe aussi par la mise en place de nouvelles filières qu’il faut encourager et soutenir. « Il y a par exemple la filière pistache qui se met en place dans le Vaucluse. On voit aussi apparaître la filière grenade, les fruits de la passion, la noix de cajou… On a des remontées de différentes filières qui sont plus adaptées à un climat futur. Cependant, il faut au moins 15 ans pour mettre en place une nouvelle filière : il faut de la communication, du marketing, des relations avec les entreprises agroalimentaires, le matériel, le stockage, la consommation… Et un important investissement financier sur le long terme pour adapter les agriculteurs ».

L'avis de Serge Zaka sur les bassines

« Mon rôle n’est pas de savoir si oui ou non il faut des bassines, c’est le rôle des hydrogéologues. Ce que je dénonce en parallèle, c’est que dans les débats, on oublie le volet agronomique. En réalité, des bassins de rétention en eau sont pour l’agriculture. Pour qu’ils ne soient pas une mal adaptation, il faut qu’il y ait en parallèle une évolution importante des espèces cultivées, une agriculture avec le respect du sol (moins de labours et plus de couverts intermédiaires) et une planification sur ce que l’on souhaite avoir comme cultures dans les prochaines années, ainsi que de la façon dont on souhaite utiliser cette eau.
Aussi il faut que ces bassins de rétention en eau servent d’appui pour la transition vers une agriculture plus adaptée au climat. Que ce ne soit pas juste un moyen de pousser un peu plus loin le système agricole alors qu’il n’est plus adapté au climat. Il faut que ce soit une aide à la transition et à l’adaptation ».