Forêts
AG des Entrepreneurs du territoire dans le Jura

Sébastien Closa
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La Fédération nationale des entrepreneurs des territoires (FNEDT) s’est rendue dans le Jura pour passer en revue les solutions envisageables afin de rendre la forêt plus résiliente face aux incendies qui ont touché la France l’été dernier.

AG des Entrepreneurs du territoire dans le Jura
De gauche à droite : Jordan Caillon, entrepreneur à Gigny-sur-Suran, Gérard Napias, président de la FNEDT, Julien Fourtier, entrepreneur à Macornay et Fernando Da Costa, président des entrepreneurs de territoires de Bourgogne Franche-Comté.

L’été dernier, mille hectares ont brûlé dans le Jura, 300 hectares dans les Vosges. Des incendies d’une ampleur rarement connue dans ces massifs. Même la Normandie a été touchée. Au total, en France, 65 578 ha de forêts, landes et champs cultivés ont été touchés. Les entreprises de travaux forestiers et agricoles étaient en première ligne aux côtés des Services départementaux d’incendie et de secours (SDIS), de la Défense de la forêt contre les incendies (DFCI), des maires et des agriculteurs pour accompagner la lutte sur le terrain. Gérard Napias, président de la Fédération nationale des entrepreneurs des territoires (FNEDT), s’est rendu dans le Jura pour échanger avec des entrepreneurs et les forestiers locaux et évoquer les conséquences de ces incendies ainsi que les mesures de prévention à mettre en œuvre pour qu’un tel sinistre ne se reproduise pas. Originaire des Landes, il connaît bien le sujet car ce département a été particulièrement touché cet été.

Une mise en place trop longue

« La protection contre les incendies devrait être incluse dans les plans de sauvegarde communaux et des chemins d’accès doivent être créés, » estime-t-il. Pour Christian Bulle, président du syndicat régional des propriétaires de forêts privées, la création de dessertes est en cours mais leur mise en place est longue : sept ans en moyenne dans le Jura. Gérard Napias a pris l’exemple de la Teste-de-Buch, près du bassin d’Arcachon, ravagée par les incendies en juillet. « Dans cette forêt, le législateur a interdit d’abattre des bois, y compris pour les propriétaires, dans le but de préserver la faune et la flore. Il n’y avait aucun chemin ni pare-feu, les pompiers ont eu énormément de mal pour y accéder. Mais ça a eu l’effet inverse : de nombreux animaux sont morts dans l’incendie, même des oiseaux désorientés par la fumée ». Il regrette qu’aux yeux du grand public la nature doive rester sauvage : « Les entrepreneurs doivent expliquer à la société qu’il ne faut pas bannir les interventions humaines car elles servent aussi à protéger les écosystèmes ». Mais les idées reçues sont tenaces. « Nous sommes régulièrement interpellés, parfois avec agressivité, lorsque nous débroussaillons ou taillons des haies, » raconte Fernando Da Costa, président des entrepreneurs de territoires de Bourgogne-Franche-Comté et entrepreneur dans la Nièvre. « Nous sommes souvent pris en photo et affichés sur les réseaux sociaux et devons régulièrement faire appel au maire des communes sur lesquelles nous intervenons ». Sur le terrain, les entrepreneurs des travaux agricoles et forestiers sont également confrontés à l’application des différentes réglementations, du code de l’environnement à la conditionnalité des aides PAC, dont les mesures n’ont pas été pensées pour la prévention des incendies (la taille et la coupe des arbres sont, par exemple, interdites du 1er avril au 31 juillet).

La particularité des forêts jurassiennes

Le président de la FNEDT cite l’exemple de la forêt des Landes : « Les lignes sont débroussaillées tous les 5 ans mais nous ne passons pas entre les arbres. Les pins les plus jeunes n’ont jamais été élagués pour des raisons économiques. Les flammes sautaient d’un arbre à l’autre. Ceux de 40 ans, qui autrefois étaient élagués, ont beaucoup mieux résisté ». Pour Christian Bulle, cette solution est difficilement applicable aux forêts jurassiennes en « futaie jardinée » ou les arbres de toutes tailles sont mélangés. « C’est vert partout, c’est une véritable échelle pour le feu, » explique-t-il. Une concertation a aussi débuté en septembre entre les acteurs publics de l’application de l’Obligation légale de débroussaillement (OLD), avec l’enjeu d’augmenter le taux de réalisation sur le terrain avant la saison estivale 2023. Les sujets à traiter sont nombreux : périmètre d’application, partages de responsabilité, contrôle de la mise en œuvre, sans oublier les aspects économiques. Autre grand chantier : la replantation des forêts, un enjeu majeur face à la sécheresse. La FNEDT appelle à une mobilisation rapide et totale des entreprises, de la filière forêt-bois, des centres de formation et des pouvoirs publics. Si cette replantation était mal gérée, l’industrie du bois pourrait manquer de matière première pendant plusieurs années. Après l’incendie de Maisod, au bord du lac de Vouglans, en 2018, la régénération naturelle a été stoppée par les cerfs et les chevreuils qui mangeaient les jeunes pousses.

Des engins mis à rude épreuve

Le 13 août dernier, le feu ravage les collines autour de Montrevel, dans le sud du Jura. Prévenu, Jordan Caillon, entrepreneur à Gigny-sur-Suran, se rend sur place pour prêter main-forte aux pompiers. « Nous avons attaqué les travaux forestiers assez tard, au début de la nuit, » raconte-t-il. « Les conditions étaient compliquées car avec la fumée nous n’y voyions rien ». L’objectif était de réaliser une ouverture coupe-feu de 15 mètres de large dans les bois pour stopper les flammes et permettre aux engins du SDIS d’accéder au plus près mais aussi d’opérer un demi-tour en cas de danger. Jusqu’à 2 heures du matin, Jordan Caillon a broyé avant de devoir abandonner après plusieurs crevaisons consécutives sur son tracteur, pourtant équipé pour le travail en forêt. L’engin a ensuite été immobilisé une semaine, le temps de retrouver des pneus. Finalement, la voie déblayée a permis aux camions de pompiers de s’approcher des flammes mais n’était pas suffisamment large pour couper le feu qui est passé de l’autre côté. « Si ce couloir avait été fait à l’avance, moins de végétation aurait brûlé, » estime le président de la FNEDT Gérard Napias, qui plaide pour une anticipation des risques d’incendie y compris dans les départements jusqu’ici épargnés.