Centenaire
Quel visage avait l'agriculture en 1924 ?
1924 marque le centenaire des Premiers Jeux Olympiques de Paris. Mais c'est aussi celui de la création des Chambres d'agriculture en France. L'occasion d'établir un parallèle avec ce qu'était l'agriculture française, il y a cent ans et de découvrir que le contexte politico-économique de l'époque a des résonances troublantes avec notre actualité…
Sur le plan politique, la France de 1924 traverse une crise institutionnelle. Les élections législatives des 11 et 25 mai voient le Bloc national s’effondrer. C’est sous ce nom qu’avaient été élus, en mai 1919, 412 députés du centre et de la droite (sur 613 sièges) notamment conduits par Georges Clemenceau. Cinq ans plus tard, la droite parlementaire s'effondre, l'opinion ne lui pardonne pas sa politique de rigueur budgétaire. Le Cartel des Gauches, qui réunit la Section française de l’internationale ouvrière (SFIO - ancêtre du Parti socialiste) et les radicaux de gauche emportent la majorité (327) des 581 sièges. Le 11 juin, le Président de la République, Alexandre Millerand, qui avait soutenu la droite modérée, est contraint à la démission. C’est Gaston Doumergue, président du Sénat, qui lui succède. Édouard Herriot est nommé président du Conseil et appelle Henri Queuille pour s’occuper du ministère de l’Agriculture. À cette date, la France est encore agricole et rurale. Ce n’est qu'en 1931-1932 que la population urbaine deviendra majoritaire. Une vingtaine de villes dépassent 100 000 habitants, dont Paris (presque 3 millions)(1).
Des préoccupations très actuelles
Fin juin - début juillet 1924, une grande question agite le monde agricole : « Quelle va être notre politique du blé ? », interroge le bimensuel l’Agriculture nouvelle (lire encadré), sous la plume d’André Courtin, vice-président de l’Union centrale des syndicats des agriculteurs de France. En cause, les coefficients multiplicateurs sur les droits des matières premières qui doivent être reconduits ou supprimés le 1er août, mais aussi la baisse des surfaces. « Depuis 1913, écrit-il, la culture du blé en France a diminué : 6,5 M d'hectares à cette date, 5,4 aujourd’hui. En 1923, 5,5 M d'ha avaient été ensemencés en blés. Depuis 1923, la progression, s’est arrêtée. 100 000 ha de moins, c’est une diminution de 1,5 M de quintaux dans notre récolte. C’est plus de 100 millions (de francs, ndlr) que nous serons obligés de débourser en supplément pour notre nourriture ». Dans le même temps, nos concurrents font rage : le Canada a augmenté ses emblavures de 50 %, doublant son étendue et sa production, les États-Unis ont augmenté leurs surfaces de 15 % … « Tel est le bilan de la culture mondiale du blé : déficit en Europe, excédent en Amérique, tout prêt à nous envahir ». Une question d’autonomie et de souveraineté agricole et alimentaire en quelque sorte : « La France s’éloignera de plus en plus de ce but qu’elle touchait du doigt, si nécessaire à sa prospérité et à sa sécurité : produire tout le pain que réclame sa population », souligne André Courtin. Dans un autre article publié le 28 juin 1924, l’ingénieur agricole Abel Beckerich lance un cri d’alarme : « Pour maintenir l’équilibre de nos cultures, faisons appel à la main-d’œuvre étrangère ». En 1924, près 80 000 ouvriers étrangers traversent les frontières pour aider aux travaux agricoles (4 500 travailleurs étrangers détachés en moyenne depuis 2022, ndlr). Ils sont Belges, Polonais, Tchécoslovaques, Italiens, Suisses, Néerlandais, Espagnols, Portugais. En 1923, 67 288 ouvriers agricoles étrangers (dont 25 797 Polonais et 22 162 Espagnols) et 9 783 ouvriers forestiers (dont 5 084 Italiens et 3 489 Portugais) sont venus en France pour y travailler occasionnellement.
Vin et prohibition
D’autres articles de l'époque nous rappellent les vicissitudes actuelles : Que faire devant une vigne grêlée ? « Dernièrement le Bordelais a été gravement atteint » rapporte le journaliste Paul Thiéry qui suggère : « Ne pouvant empêcher la grêle, assurons-nous contre elle ». Autre constat amer : « nous ne produisons pas assez de pommes de terre » en France, regrette les participants au Congrès de la pomme de terre qui s’est tenu à Limoges. Le sentiment d’inquiétude vise aussi les viticulteurs français qui sont victimes de la politique de prohibition aux États-Unis. Depuis 1920 (et jusqu’en 1933) un amendement à la Constitution des États-Unis interdit la fabrication, le transport, la vente, l'importation et l'exportation de boissons alcoolisées. Pour « organiser rationnellement » et compenser le manque à gagner américain, Bertrand de Mun, secrétaire général de la Commission d’exportation des vins de France, a l’idée de valoriser la production viticole à travers un « Film des grands vins de France », qui présente ses vignobles (Touraine, Anjou, Champagne, Rhône, Alsace, Bourgogne, Bordelais… et tous les paysages qui les accompagnent. Il faut alors que le vin de France se montre « partout. Il est inégalable et inégalé », s’enflamme le journaliste Anselme Laurence.
Note : (1) Source Agence nationale de la cohésion des territoires
L'Agriculture nouvelle
Créé le 25 avril 1891, L’Agriculture nouvelle est le supplément agricole du Petit Parisien lui-même l’un des principaux quotidiens français avec Le Petit Journal, Le Matin, et Le Journal. Au début des années 1920, Le Petit Parisien, plutôt anticlérical et de gauche, tire à environ deux millions d’exemplaires par jour, ce qui est alors le tirage le plus élevé au monde. L’Agriculture nouvelle paraît les 2e et 4e samedis de chaque mois. Chaque numéro coûte 50 centimes, l’abonnement annuel, 12 francs. Il est remplacé en 1941 par Le Fermier agricole.