Fermoscopie 2022
Résultats Fermoscopie lait

Alexandre Coronel
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En lait standard ou d’appellation, la forte hausse du prix du lait compense à la fois la baisse des volumes due à la sécheresse et la hausse des charges. Mais l’inquiétude pour l’avenir est forte, avec le risque d’un effet ciseau si le prix du lait plafonne tandis que les charges continuent à augmenter à ce rythme…

Résultats Fermoscopie lait
Cette projection montre qu'en lait de plaine, en 2023, le prix de revient pourrait augmenter de 27 %, si l'on se place dans un schéma moyen d'inflation et d'augmentation des achats d'aliment, en cas de sécheresse.

« Les élevages de bovins laitiers sont les systèmes les plus compliqués à analyser cette année dans le contexte de hausse des charges », introduisait Mathilde Schryve, responsable études et prospectives au sein de Cerfrance Bourgogne-Franche-Comté à l’occasion de la présentation des résultats de l’étude Fermoscopie. Claudie Perret, conseillère d’entreprise Cerfrance BFC à Vesoul, en Haute-Saône, spécialiste des élevages laitiers de plaine, et Thierry Perraudin, conseiller Cerfrance Alliance comtoise à Amancey, dans le Doubs, pour les élevages de l’arc jurassien sont intervenus pour dresser le bilan du secteur laitier. « En lait de plaine, précisait Claudie Pierret, nous avons travaillé sur un échantillon de 470 fermes, avec une SAU moyenne de 165 ha, dont 112 de Surface fourragère principale (SFP). Elles produisent en moyenne 475 000 litres de lait, payé 426 €/T en 2022, avec 73 vaches laitières. Après de nombreuses années de stagnation du prix du lait, celui-ci a progressé de 42 €/1 000 l, ce qui entraîne une progression de 12 % du produit de l’atelier lait. Les charges opérationnelles ont augmenté de 7 %. L’Excédent brut d’exploitation (EBE) a progressé de 6 % mais au détriment de l’efficience ».

La filière lait AOP continue d’installer

« En lait d’AOP, poursuivait Thierry Perraudin, notre échantillon est de plus de 1 000 exploitations, avec en moyenne 114 ha de SAU dont 107 de SFP pour 57 vaches laitières (91 UGB). La spécialisation laitière permet peu de synergie avec les autres productions à l’échelle de l’exploitation. Ces structures produisent en moyenne 366 000 litres, vendus à 677 €/1 000 l, en hausse de 4 % en 2022. C’est une filière qui installe, avec un taux de reprise élevé, mais il y a des difficultés à financer le capital. Le produit lait progresse de 12 % avec plus de 350 K€ de produit de l’atelier, tandis que les charges opérationnelles progressent de 16 %. Là aussi l’EBE progresse, de 3 % mais l’efficience baisse un peu ». Cette année en lait standard la hausse du prix payé a permis de compenser l’inflation des intrants et même d’apporter une amélioration historique de la couverture du prix de revient (454 €/T) par le prix payé (426 €/T). « Mais ce niveau ne permet pas encore de rémunérer la main-d’œuvre à hauteur de deux SMIC/UTH », relève la conseillère. Plus inquiétant : « si le prix du lait finit par plafonner ou diminue, on a un risque d’effet ciseau. Dans un scénario moyen d’inflation et d’augmentation des achats d’aliments pour faire face à un aléa climatique de type sécheresse, le prix de revient du lait en plaine progresserait de 27 % en 2023… pour s’établir à 580 €/T ». Dans les systèmes lait destinés aux AOP fromagères, où la structuration de la filière et son rôle protecteur vis-à-vis des fluctuations de prix ont fait leurs preuves, le prix de revient a progressé de 10 % à 523 €/T en moyenne en 2022, largement couvert par le prix de vente (677 €/T). « Mais le talon d’Achille, ce sont les aliments achetés et les charges de mécanisation. Un scénario moyen d’inflation et d’aléas climatique nous donne en projection un prix de revient de 691 €/T (+32 %), une augmentation qui grignoterait une bonne partie du prix payé aux producteurs. Là aussi, il est important de chercher à gagner en autonomie alimentaire ».

S’adapter face au risque fourrager

Le témoignage d’Eric Ménétrier, producteur de lait à Vannoz, dans le Jura, a permis d’aborder quelques pistes stratégiques d’adaptation, notamment face au risque plus élevé que par le passé d’être confronté à un déficit fourrager à cause de la sécheresse. « J’ai installé un récupérateur de chaleur sous la toiture de mon bâtiment pour améliorer l’efficacité du séchage en grange, ainsi que la qualité des fourrages. Il va falloir envisager de réaliser des stocks plus importants, ce qui signifie augmenter les capacités de stockages, peut-être collectivement ? On peut aussi réduire la production laitière pendant les périodes de pénurie de fourrage, comme nous avons su le faire, collectivement, au début de la crise covid pour anticiper une baisse de la consommation ». L’opportunisme fourrager, la capacité à valoriser le pâturage des automnes tardifs, ou à sécher des premières coupes précoces, sont des axes de travail explorés. « Il est primordial d’actualiser l’adéquation du chargement de l’exploitation avec le nouveau climat », analyse le conseiller, qui pointe des taux d’élevage qui ont parfois dérivé au cours de la dernière décennie. « Sans oublier d’investir dans l’ergonomie des bâtiments, des salles de traite, pour diminuer la pénibilité du travail et renforcer l’attractivité du métier d’éleveur laitier », ajoute Claudie Perret. Les responsables professionnels présents, tels Christophe Chambon président de la FRSEA BFC, Alain Matthieu, son homologue du Comité interprofessionnel de gestion du Comté (CIGC) ou Thierry Guillaume, du Cerfrance de Haute-Saône, ont insisté sur les limites humaines aux augmentations de la productivité. Les exploitants doivent garder du temps pour s’informer, se former, réfléchir, s’investir dans leurs filières, les outils collectifs et leur réseau professionnel… « Sinon on va convertir les vaches en tracteurs ! » met en garde Thierry Guillaume.