Risque climatique
Groupama Grand Est : « Une véritable articulation entre assurance et Fonds de solidarité national »

Propos recueillis par Berty Robert
-

Alors que la réforme de l’assurance Multirisque climatique (MRC) va entrer dans sa phase concrète, François Schmitt, président de Groupama Grand-Est, revient sur les raisons qui ont poussé à cette évolution, à ses yeux « historique ». Groupama a prévu d’organiser six réunions en Côte-d’Or afin d’informer les agriculteurs.

Groupama Grand Est : « Une véritable articulation entre assurance et Fonds de solidarité national »
François Schmitt, président de Groupama Grand-Est : « Il s'agit de rebâtir la logique de résilience des exploitations permise par l'assurance, face aux aléas climatiques ».

En quoi cette réforme est-elle si importante ?

François Schmitt : "On n’a pas toujours conscience de son caractère historique. Le régime des calamités agricoles a été mis en place en 1964 et, depuis, il y a eu des ajustements : la multirisque climatique en 2005, la sortie des grandes cultures en 2009, de la viticulture en 2011, la mise en place d’un contrat-socle en 2015… Mais la réforme qui s’annonce, en termes de transformation de la gestion des risques agricoles, est d’une ampleur inédite ! Il s’agit de rebâtir complètement la logique de résilience des exploitations permise par l’assurance, face aux aléas climatiques".

Comment la nécessité de cette réforme s’est-elle imposée ?

F.S. : "Au sein du Conseil de l’agriculture française (Caf), où Groupama voisine avec la FNSEA, les JA, la Confédération nationale de la mutualité, de la coopération et du crédit agricoles (CNMCCA), nous avons été de ceux qui ont alerté sur une évolution jugée très inquiétante : depuis 2012 nous faisons face à des aléas climatiques récurrents (gel, sécheresse, grêle, excès d’eau…) qui entraînent une dégradation structurelle des équilibres techniques pour les assureurs historiques de la ferme France. Le Caf a entamé une réflexion, en 2019, sur la pertinence des outils d’assurances. La dégradation technique constatée remettait en cause la façon dont on pouvait aborder ces problèmes. On sent bien que, depuis 2012, on a changé d’environnement. Chaque année, il y a eu un problème et le gel de 2021, catastrophique pour l’arboriculture et la viticulture, a servi de catalyseur : les pouvoirs publics ont pris conscience qu’il fallait revoir le système. Sur un peu plus de quinze ans, en France, Groupama a versé plus de 500 M d’euros d’indemnisation, en lien avec ces aléas…"

Concrètement, de quels changements la réforme sera-t-elle porteuse ?

F.S. : "Si, jusqu’à présent, il a pu y avoir coexistence entre l’assurance privée et le fonds des calamités, avec la réforme, il y aura une véritable articulation entre ces deux outils. C’est une fusée à trois étages : le premier c’est la part du sinistre qui reste à la charge de l’agriculteur, la franchise, qui va de 0 à 20 % de pertes, quelle que soit la filière. Le deuxième étage, c’est l’intervention des assureurs, pour lesquels les agriculteurs vont payer une cotisation qui fera l’objet d’un subventionnement, à hauteur de 70 %. Les pouvoirs publics ont souhaité agir pour inciter des secteurs agricoles traditionnellement sous-assurés (l’arboriculture ou les prairies) en permettant une diminution de la cotisation à l’assurance. Le troisième étage de la fusée, c’est la partie Fonds de solidarité national (FSN). Là, il y a un changement très important : quelqu’un qui est assuré va être indemnisé sur la totalité de sa perte, au-delà de 50 % pour les grandes cultures et la viticulture, et au-delà de 30 % pour les prairies et l’arboriculture. 10 % de la perte sera indemnisée par son assureur et 90 % par le FSN. En revanche, si la personne n’est pas assurée, le FSN ne prendra en charge que 45 % de la perte. Ce montant sera valable en 2023, mais en 2024, ce ne sera plus que 40 % et 35 % en 2025, uniquement sur les filières pour lesquelles il existe une offre assurantielle. Pour les autres filières, le montant restera fixé à 45 %. Demain, souscrire un contrat d’assurance, signifiera être certain d’une indemnisation à 100 % du troisième étage de la fusée. À Groupama, nous avons déjà pris la décision de proposer des contrats avec des niveaux de franchise plus élevés que les 20 %. L’accès à la solidarité nationale sera permis par la souscription d’un contrat. Avec un taux de subventionnement de 70 % pour la cotisation et un périmètre d’intervention de l’assurance plus limité, il y aura, pour la quasi-totalité des agriculteurs, une diminution du reste à charge. J’invite tout le monde à consulter son assureur pour faire des simulations".

Parmi les filières plus particulièrement concernées, il y a l’élevage, traditionnellement sous-assuré. La réforme va-t-elle aider à faire évoluer les choses ?

F.S. : "La question de l’assurance des prairies est importante : aujourd’hui 1 % des surfaces sont assurées, contre 30 % dans les grandes cultures. Ce qui différencie les prairies des autres filières, c’est que, jusqu’à aujourd’hui, personne n’a trouvé un dispositif d’expertise pour évaluer la production d’une prairie. Définir un taux de perte est impossible. C’est pourquoi, depuis 15 ans, nous travaillons tous sur un modèle paramétrique, indiciel, que l’on fait évoluer, en fonction des retours terrain : nous mesurons la pousse de l’herbe, par observations satellitaires. L’Indice de production des prairies (IPP) ou indice « Airbus » est reconnu par la commission de validation des indices et il est utilisé par tous les opérateurs d’assurance. C’est un indice technique, qui n’est, certes, pas parfait et qui peut être contesté par l’agriculteur. Si on n’est pas satisfait d’une expertise sur une parcelle de blé, par exemple, on peut demander une contre-expertise, mais dans le cas d’une prairie, on ne peut pas demander de contre-expertise, parce que personne ne sait faire. C’est la raison pour laquelle, depuis le début, aux observations satellitaires, on ajoute des observations de stations de Météo-France sur les températures. Ce qui est en cours d’arbitrage actuellement, c’est la mise en place d’un réseau de fermes tests, sur tout le territoire, grâce auquel on pourrait lier les mesures scientifiques sur le terrain et la lecture de l’indice IPP. La question est de savoir si le système des calamités peut prendre en compte un événement du type d’une sécheresse comme on a eu cette année, alors qu’il est prévu dans son fonctionnement que cette prise en compte concerne un événement « exceptionnel ». J’ai l’exemple de trois départements (Cantal, Lot, Haute-Vienne) qui, en 2020, ont vu leur demande de reconnaissance de calamité agricole refusée par le Comité national de gestion des risques en agriculture (CNGRA) au motif que la sécheresse, qui intervenait pour la troisième année consécutive, n’avait plus un caractère exceptionnel… L’impérieuse nécessité de la souveraineté alimentaire nous impose d’avoir les pieds sur terre pour garantir la résilience de nos exploitations dans un monde qui n’est pas idyllique, qui change et pas que du point de vue climatique… "

Note : La première réunion d’information organisée par Groupama en Côte-d’Or aura lieu lundi 7 novembre à 14 heures à la salle des fêtes de Créancey.