Découverte
Une chocolaterie artisanale au milieu des vergers

Amandine Priolet
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À Donzère, en Drôme provençale, la famille Morin perpétue la tradition de la chocolaterie artisanale de père en fils depuis 1884. Situé en plein cœur d’un domaine familial, l’atelier de fabrication jouxte les vergers où sont cultivés entre autres amandiers et noisetiers.

Une chocolaterie artisanale au milieu des vergers
Jean-François et Franck Morin, père et fils, ont continué d’écrire l’histoire de la chocolaterie familiale (crédit photo : Chocolaterie Morin).

Une histoire de famille. Le chocolat n’est pas qu’une simple gourmandise pour la famille Morin, c’est avant tout une passion, un héritage. Tout commence en 1884, lorsque Gustave Morin commence sa carrière de confiseur chocolatier chez les moines à l’abbaye d’Aiguebelle, au cœur d’une chocolaterie industrielle (Drôme), délocalisée en 1895 à Donzère, près de la voie ferrée pour favoriser les échanges.
« Mon arrière-grand-père a ensuite transmis sa passion à son fils, André », dévoile Franck Morin, quatrième de la génération, et désormais gérant de la chocolaterie A. Morin à Donzère, en plein cœur de la Drôme provençale. « Mon grand-père, contremaître, a été formé à tous les métiers autour du chocolat (confiseur, chocolatier, fabrication de tablettes, etc.). Malheureusement, dans les années 1940, la chocolaterie a connu des restrictions importantes en termes d’approvisionnement, notamment de sucre. Dans l’après-guerre, les prix étaient bloqués par l’État, ce qui fait que la chocolaterie d’Aiguebelle a perdu beaucoup d’argent. Face à la décroissance de l’usine, mon grand-père a choisi d’ouvrir sa propre chocolaterie artisanale au sein de la ferme familiale », indique Franck Morin.
Nichée au cœur des vergers, la chocolaterie A. Morin est donc implantée depuis 1958 sur le domaine familial. À l’époque, des cousins tenaient une ferme en polyculture (fruitiers, légumes et céréales). C’est donc tout naturellement qu’il a transformé le bâtiment en atelier de stockage et de fabrication, et conservé précieusement les vergers d’abricotiers, de poiriers ou encore de pommiers, notamment pour la confection de pâtes de fruits.

Des matières premières locales

La suite logique de l’histoire familiale s’est écrite avec Jean-François, troisième de la génération. Attaché aux valeurs de la terre, c’est lui qui décide alors d’agrandir, en 1973, la production d’arbres fruitiers, en implantant les premiers amandiers, noisetiers et griottiers pour les différentes confiseries (praliné, nougats, pâte d’amandes, etc.). Cette culture agricole permet à la chocolaterie de maîtriser aujourd’hui une partie de ses approvisionnements en matières premières, utilisées dans la confection des chocolats. Une démarche qualité importante pour la famille Morin, défendue désormais par Franck Morin et son frère Thierry, gérant de l’exploitation agricole individuelle. Ce dernier entretient aujourd’hui près de 5 000 arbres, aux variétés gustatives très diverses, sur 21 hectares.
Pour la fabrication artisanale de chocolats à l’ancienne, la famille Morin s’est attachée à sélectionner des fèves de cacao de qualité, en mettant notamment l’accent sur le terroir et les pratiques culturales. C’est lors d’un voyage de fin d’études à São Tomé que Franck Morin, au début des années 2000, a découvert l’importance de la provenance et de la qualité des matières premières : « Durant ces quatre mois, j’ai découvert la diversité des fèves de cacao, l’importance de l’ensoleillement et de la fermentation, mais aussi du traitement post-récolte du cacao. À mon retour en France, enrichi de cette nouvelle expérience, j’ai souhaité porter une attention particulière au travail de l’origine et de la plantation, en échangeant longuement avec les producteurs de cacao », indique-t-il.

La voie de la gourmandise

De ce fait, la chocolaterie participe à divers projets de développement et a à cœur de préserver les variétés anciennes, semées sur place. « Notre gamme de chocolats met en avant des cacaos issus de diverses régions du monde, comme le Pérou, São Tomé, l’Équateur, Madagascar, la Côte d’Ivoire, le Vietnam, le Venezuela, etc. », poursuit le chocolatier. Certains approvisionnements en fèves de cacao débutent par un achat sur échantillon où sont réalisés des tests de conformité (pour déterminer l’absence d’hydrocarbures) et une analyse gustative (pour écarter tout risque d’odeur étrangère), afin de s’assurer d’une qualité irréprochable : « le chocolat est un produit de plaisir. Quand on vend notre produit, on veut que les gens aiment ce qu’ils dégustent et prennent du plaisir », note Franck Morin.
Au niveau commercialisation, la chocolaterie A. Morin travaille en grande partie avec des chocolatiers, qui font appel à la structure drômoise pour des couvertures (utilisées pour la confiserie et l’enrobage, ndlr) lors de la confection de leurs propres chocolats. Plusieurs noms bien connus de la profession sont donc des clients privilégiés, avec entre autres Jean-Paul Hévin et Pierre Gagnaire (Paris), Fabrice Gillotte (Dijon), ou encore Es Koyama, un Japonais à la renommée internationale. « C’est une vraie reconnaissance pour nous que de compter parmi notre clientèle des Japonais, qui disposent d’une grande sensibilité gustative », se réjouit Franck Morin.

Des cosses de cacao comme engrais

En parallèle, la chocolaterie de Donzère travaille pour d’autres marques de chocolat. La vente locale – et la boutique en ligne – fonctionne également très bien, avec un essor considérable durant la période de la Covid-19, qui tend cependant à se relâcher. Enfin, 4 à 5 % des ventes partent à l’export, dans différents pays du globe.
Pour son développement, la chocolaterie A. Morin a des projets plein la tête. « Nous souhaiterions dans un premier temps trouver des partenaires pour installer une chaudière biomasse afin d’utiliser nos bois de taille et éventuellement nos cosses de cacao, que nous utilisons déjà comme engrais pour nos vergers, à raison d’une tonne par hectare », prévient Franck Morin. En projet purement agricole, la famille Morin réfléchit à l’implantation de pistachiers, dans un souci de recherche d’autonomie d’approvisionnement en fruits à coque utilisés dans la fabrication des chocolats. Enfin, depuis cette année, un éleveur voisin met à disposition de la famille Morin un troupeau d’une vingtaine de brebis pour l’entretien des vergers. Le déploiement de cette technique est envisagé. Aussi, à l’avenir, la chocolaterie Morin souhaite s’agrandir et transférer la partie production réservée aux professionnels dans un bâtiment neuf de 900 m², situé à quelques mètres du siège social. Des projets pensés et réfléchis par les membres de la famille Morin, et qui profiteront certainement aux générations futures…

Un verger expérimental

Depuis quatre ans, l’exploitation agricole rattachée à la chocolaterie Morin noue un partenariat avec l’institut national de la recherche de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) afin de tester de nouvelles variétés d’amandiers résistantes aux maladies cryptogamiques comme le fusicoccum. « Les tests génétiques vont permettre, dans un premier temps, de faire une première sélection. Sur 1 000 arbres, seulement 100 vont peut-être manifester des gènes de résistance », explique Jean-François Morin, retraité passionné, tant par l’agriculture que par le chocolat. « Chaque année, nous plantons 150 arbres supplémentaires. L’expérimentation permet de déterminer le port de l’arbre, la date de floraison, les maladies, mais aussi la qualité gustative du fruit », explique Jean-François Morin. Ce dernier montre notamment un intérêt tout particulier aux variétés anciennes, parfois oubliées, que les essais pourraient remettre au goût du jour.