Point de vue
Ukraine dans l'UE : quelles conséquences agricoles ?

Vincent Chaplot
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Vincent Chaplot, agriculteur de Côte-d’Or et directeur de recherche à l’IRD, livre un point de vue sur les conséquences possible pour l’agriculture française d’une intégration de l’Ukraine dans l’Union européenne.

Ukraine dans l'UE : quelles conséquences agricoles ?
Près de la moitié des terres agricoles ukrainiennes appartiennent des sociétés basées aux États-Unis. (Photo Réussir SA).

Le 8 novembre dernier, la Commission européenne, par la voix de sa présidence, donnait à l’Ukraine le feu vert de l’Union européenne (UE) pour entamer des négociations d’adhésion. « Aujourd’hui est un jour historique qui ouvre la voie à une UE plus forte avec l’Ukraine », a alors affirmé la présidente de la commission, Ursula von der Leyen. Mais quelle sera la conséquence pour l’agriculture française ? L’Ukraine compte 33 millions d’hectares de terres cultivables (soit 3,4 fois la surface française) ce qui en fait l’une des principales puissances agricoles mondiales. La combinaison entre un accroissement continu de sa productivité (4 % environ par an depuis dix ans, 41 q/ha en blé en moyenne pour le moment) et de sols extrêmement riches qui sont loin de leur potentiel maximum fera très certainement de l’Ukraine le premier producteur mondial de grains dans les années à venir.

Coûts de production plus faibles

Qui a la curiosité de survoler l’Ukraine sur Google Maps constate l’étendue des champs des fermes ukrainiennes. Dans la région d’Odessa, la surface de 50 % d’entre eux oscille entre 50 et 500 ha. Pas étonnant alors que la mise en culture de ces terres, (de véritables éponges à nutriments et à eau dans lesquelles il est possible de produire beaucoup avec des quantités limitées de fertilisants et de pesticides) induit des coûts de production du blé de 73 euros / t contre 230 euros / t en France (source Arvalis International). En 2023, l’Union européenne a concédé à l’Ukraine l’accès sans droits de douane à ses marchés. La conséquence mécanique a été l’effondrement des cours des grains, avec des prix qui ont atteint des niveaux si bas que notre blé devient compétitif aux États-Unis, devenus acheteurs en 2023. Nous savons aujourd’hui que cette situation ne sera pas temporaire pour assurer un corridor d’exportation pour les céréales ukrainiennes, mais qu’elle sera bien permanente et intensifiée, puisque l’UE annonce maintenant souhaiter l’adhésion de l’Ukraine.

Une agriculture qui n’est plus ukrainienne

En 2014, 4 % des terres ukrainiennes étaient rachetées par des sociétés basées aux États-Unis. En 2023, c’est environ la moitié de toutes les terres agricoles du pays (17 millions d’hectares, soit un trésor de guerre de plus de 150 milliards d’euros) qui appartiennent à des sociétés privées étrangères. En mettant ainsi la main sur les terres ukrainiennes, les groupes étrangers (principalement américains) accèdent à une richesse inestimable dont les produits (grains…) auront un accès direct aux marchés européens. Ceci sans droits de douane et autres accords de libre-échange et, sous peu, avec « en prime » des subventions de la PAC ! Dès lors, comment réagiront les agricultures de l’Europe de l’Ouest ? De nombreuses autres questions se posent, comme celle de savoir à qui l’entrée de l’Ukraine dans l’UE profitera ?