Marchés
La question de l'élevage durable en débat à Bruxelles

Actuagri et Berty Robert
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Début février, Bruxelles accueillait une conférence sur l’élevage durable. Une notion qui entre en contradiction avec des règles de marchés mondialisées, au détriment des éleveurs européens.

La question de l'élevage durable en débat à Bruxelles
Lors de la conférence à laquelle a participé Marc Fesneau, le ministre de l'Agriculture. (Crédit Interbev)

Qu’entend-on par « Élevage durable » ? La demande de clarification vis-à-vis de cette notion intervient au moment où ce secteur n’a pas été exempt de critiques dans le contexte du verdissement des politiques agricoles européennes. Dans le cadre d’une conférence intitulée « Élevage, viande et green deal : quelle vision de l’UE ? » organisée le 7 février à Bruxelles par Interbev, plusieurs ministres de l’Agriculture et eurodéputés des principaux groupes politiques du Parlement européen ont appelé à l’adoption d’une approche européenne partagée de la durabilité. Cette définition commune d’un modèle de production et de consommation durables de viande devrait, selon eux, refléter la contribution de l’élevage à la biodiversité et à l’économie locale. Jean-François Guihard, président d’Interbev, l’a rappelé en introduction de la conférence : « Ce n’est pas la transition écologique qui fait peur. Ce que nous déplorons, c’est l’absence de vision assumée, l’incohérence des décisions et des politiques publiques, ainsi que les injonctions parfois contradictoires qui brouillent nos perspectives d’avenir. Nous souhaitons définir collectivement ce que sont les systèmes de production de viandes durables au sein de l’Union européenne ».

Nécessité d’une meilleure coordination européenne

Dacian Ciolos, eurodéputé et ancien commissaire européen à l’Agriculture, explique ces incohérences par les « bagarres entre la direction générale (DG) agriculture et la DG environnement » et appelle « à une meilleure coordination ». De son côté, José Manuel Roche Ramos, éleveur espagnol et membre du Comité économique et social européen, a décrit ce sur quoi tous les participants ont semblé s’accorder : « un élevage durable c’est un élevage extensif, herbager, qui joue un rôle économique, qui crée des emplois, qui entretient les paysages et participe à l’absorption du carbone. » Une définition que n’a pas reniée Jérémy Decerle, eurodéputé et éleveur en Saône-et-Loire, qui a insisté sur le « modèle familial » de ce type d’élevage. Humberto Delgado Rosa, directeur de la biodiversité à la DG environnement a précisé, a contrario, ce que n’est pas l’élevage durable : « celui où il y a concentration d’animaux nourris avec des produits importés » tout en reconnaissant « qu’il faut rémunérer les aspects positifs de l’élevage. » Pascal Canfin, président de la commission Environnement au Parlement européen, a insisté « sur le besoin de dépolariser le sujet, de sortir de l’idéologie et d’être plus pragmatique, » tout en soulignant « les convergences entre Interbev et la DG environnement ».

Incohérences

Benoit Lutgen, eurodéputé belge, s’est élevé contre la proposition de la Commission de classer les élevages de plus de 150 UGB dans la directive relative aux émissions industrielles (directive IED). « On se bat pour défendre une agriculture de qualité, familiale et liée au sol, et que dit la Commission ? Que notre agriculture européenne est industrielle. » Parmi les incohérences évoquées, l’impatience de la Commission à signer des accords commerciaux, notamment, avec le Mercosur. Les participants se sont félicités de la mise en place de « clauses miroirs » par la présidence française. En conclusion Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture, a insisté sur « le rôle de l’élevage pour décarboner, débroussailler, enrichir la biodiversité. Nous sommes à la croisée des chemins, ces services, il faut les rémunérer […] La transition écologique est possible mais compliquée. Il faudra prendre en compte les conditions de travail, la possibilité de transmettre ces exploitations. »

Emmanuel Bernard : « Ce débat autour de l'élevage durable révèle un paradoxe »

Éleveur dans la Nièvre et président de la section Bovins d’Interbev, Emmanuel Bernard assisté à cette conférence de Bruxelles. À ses yeux, tenter de définir un élevage durable sans prendre en compte le problème de compétitivité que posent les contraintes que l’on veut appliquer aux éleveurs européens, tout en mettant en place des mécanismes d’importation de viandes produites sans souci de protection des consommateurs, est un paradoxe : « Si on décide de définir le modèle d’élevage que l’on souhaite en Europe, on ne peut pas en même temps accepter sur nos marchés des produits agricoles issus de modèles agricoles qu’on ne veut pas chez nous. On ne peut pas exiger un modèle d’élevage durable, avec une directive IED relative aux émissions industrielles élargie aux élevages de plus de 150 UGB, en remettre une couche sur le bien-être animal ou sur les produits phytosanitaires et en même temps, attendre que l’on soit compétitif vis-à-vis de viandes d’importation qui ne sont pas soumises aux mêmes contraintes de production, parce qu’on revendique de protéger le consommateur. Par exemple dans l’industrie automobile, on n’imagine pas une seconde importer des voitures fabriquées ailleurs dans le monde qui ne respecteraient pas les normes antipollution ! Si on protège les citoyens européens contre ce type de produits, on doit faire de même avec l’alimentation. Sinon, c’est comme pour le dopage dans le sport : on ne peut plus jouer dans la même catégorie… »