Guerre en Ukraine
La fin de l'accord sur les exportations ukrainiennes inquiète les marchés

Christophe Soulard
-

Après maintes tergiversations, Moscou a finalement décidé de ne pas reconduire l’accord sur l’exportation des céréales ukrainiennes via la Mer Noire.

La fin de l'accord sur les exportations ukrainiennes inquiète les marchés
La remise en cause de l'accord d'Istanbul de juillet 2022 par la Russie bouleverse à nouveau les marchés internationaux des céréales. (Crédit BKF 92)

La diplomatie russe avait de nombreuses fois brandi la menace de mettre un terme à l’accord sur les exportations de céréales ukrainiennes conclut il y a un an, systématiquement quelques jours avant l’arrivée de l’échéance. Ce fut le cas en novembre 2022, puis en mars dernier puis en mai. L’accord qui était initialement prévu pour 120 jours avait été réduit à 60 jours à partir du mois de mars. Le 18 juillet, il est devenu caduc. Sa reconduction a capoté pour trois raisons principales : d’abord, Vladimir Poutine se plaint d’entraves à ses propres livraisons de produits agricoles, notamment de l’exportation d’engrais. Il est vrai que l’accord du 22 juillet 2022 prévoyait de lever les obstacles à ces exportations mais aussi de faciliter les transactions financières de la Banque agricole russe. Des points qui n’ont pas été respectés selon le Kremlin. Ensuite, Moscou exigeait la remise en service du pipeline d’ammoniac Togliatti-Odessa. Ce dernier qui acheminait 2,5 millions de tonnes d’ammoniac russe par an, depuis la région de la Volga jusqu’au port ukrainien de Pivdennyi, sur la mer Noire, a été endommagé début juin. Tant Kiev que Moscou se sont rejeté la responsabilité de sa destruction.

Nouvelles exigences

Autre point de crispation : le fait que l’un des points saillants de cet accord, à savoir la livraison de céréales aux pays dans le besoin, notamment africains, ne pèse qu’une part minime : seulement 3 % des 32 millions de tonnes livrées par Kiev depuis un an, a confié, le 15 juillet, le chef du Kremlin auprès de son homologue sud-africain Cyril Ramaphosa. L’Union européenne conteste ce chiffre, estimant au contraire qu’il atteint 49 %. Ces principales exigences ont été complétées par de nouvelles, comme la reprise des livraisons de machines agricoles, celle des pièces détachées et des services ou encore la levée des restrictions sur l’assurance et la réassurance, etc. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a indiqué que « dès que la partie (des accords) concernant la Russie sera satisfaite, la Russie reviendra immédiatement à l’accord sur les céréales ». Quelles pourraient être les conséquences de ce blocage ? Il faut s’attendre à un renchérissement des matières premières agricoles, notamment le blé et le maïs. Au début de la guerre en Ukraine, les cours avaient rapidement doublé. Situés autour de 240 euros/tonne au 15 juillet, ils devraient immanquablement grimper car la ressource sera moindre et les cours de transports (par voie ferroviaire) seront plus longs et donc plus coûteux. De plus, les pays de l’Est européen (Pologne, Hongrie, Roumanie…) sont excédés de voir leurs marchés inondés de céréales ukrainiennes. Ce qui pourrait raviver quelques tensions intra-européennes.

La hausse devrait être contenue

Dès l’ouverture des marchés, les prix du blé tendre avaient déjà augmenté de +3,5 % à Chicago pour atteindre plus de 251 dollars/tonne, soit plus de 280 dollars/tonne au cours du 17 juillet. Mais selon les experts, la hausse des prix devrait être contenue et ne pas atteindre les records de 2022. Autre conséquence : selon les chiffres du Programme alimentaire mondial (PAM), les céréales ukrainiennes nourrissent environ 400 millions de personnes dans le monde. Environ 64 % du blé a été exporté vers les pays en développement, tandis que le maïs a été exporté à part presque égales vers les pays développés et les pays en développement. La caducité de l’accord rendrait les exportations vers les pays les plus pauvres très compliquées. Déjà l’ensemble des exportations de denrées alimentaires rendues possibles par l’accord a chuté d’environ trois quarts en mai 2023 par rapport à octobre 2022, car de plus en plus de compagnies ont renoncé à envoyer des navires sur des routes maritimes jugées dangereuses. Une chose est certaine : cette décision de la Russie donne le signe d’un durcissement d’un conflit qui a déjà dépassé les 500 jours. L’objectif du Kremlin est d assécher économiquement le peuple ukrainien. En le rendant dépendant des pays occidentaux qui le soutiennent militairement, Poutine trouve un argument supplémentaire pour montrer la connivence entre le bloc occidental et l’Ukraine. Ce qui lui permet aussi de justifier son « opération militaire spéciale » auprès de sa population.

Une agriculture soumise à rude épreuve

Une agriculture soumise à rude épreuve

L’Ukraine en guerre a entamé sa deuxième campagne céréalière amputée de près de la moitié de ses moyens de production. En 2021, l’Ukraine avait récolté 87 millions de tonnes de grains. Andriy Dykun, le président d’Ukrainian Agri Council (UAC) – le principal syndicat agricole - dresse le bilan provisoire du conflit qui oppose son pays à la Russie depuis dix-huit mois : « Notre pays est devenu un champ de mines de huit millions d’hectares sur un territoire amputé de 250 000 km2. Il faudra 30 ans pour le remettre en état ». Les roquettes et les obus qui tombent sur les champs rendent leur culture impossible. Ils polluent les terres et les incendies détruisent les récoltes. La destruction du barrage de Kakhovka a de graves conséquences : sur les territoires qui ne sont plus irrigués par le barrage, deux millions de tonnes de céréales, de légumes et de fruits ne peuvent plus être produites. En aval, les terres qui ont été inondées (1,5 million d’hectares) seront inexploitables pendant cinq ans. « La Russie, poursuit le président d’UAC, a décidé de ruiner l’agriculture ukrainienne. Elle sait que ce secteur représente une part importante du Produit intérieur brut du pays et qu’à l’export, elle est une source de devises importantes ». En minant les terres perdues pour empêcher l’Ukraine de les remettre en cultures, la Russie a réduit le potentiel de production du pays. En bombardant les ports, elle a paralysé le trafic maritime ukrainien pendant plusieurs mois et dans les régions conquises, elle pille les récoltes. En 2022-2023, la récolte céréalière de l’Ukraine a chuté de 40 %, celle de légumes de 25 % et celle des fruits de 10 %. Dans les régions de Zaporizhia, de Donetsk et de Louhansk, plus des trois quarts de la production de céréales ont été perdus.