Transmission
Installer des jeunes

Chloé Monget
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En novembre, Frédéric Delage a repris l'exploitation de Bernard Blin à Saint-Hilaire-en-Morvan. Pour ce dernier, l'important était d'installer un jeune. 

 

Installer des jeunes
Bernard Blin avec son repreneur Frédéric Delage accompagné de sa famille : Marine Tellier et leur petit garçon Jules.

À 35 ans, Frédéric Delage s’est installé en novembre sur ce qui est désormais l’ancienne exploitation de Bernard Blin, 61 ans, aujourd’hui à la retraite. Une transition qui s’est effectuée en douceur due à une préparation en amont et quelques compromis.

Prévoir en amont

« J’ai commencé à préparer ma retraite il y a déjà plusieurs années en l’intégrant directement dans mon plan de gestion de l’exploitation notamment en me limitant à un certain nombre d’hectares et en planifiant mes investissements afin de ne pas avoir de matériel trop récent à céder » explique Bernard Blin. Avec une exploitation d’environ 111 ha à transmettre, ce choix était bien réfléchi : « Une exploitation trop grande ne peut pas être reprise par des jeunes. Et dans ma tête, il était clair que je ne voulais pas la céder pour un agrandissement. Je voulais absolument qu’elle puisse accueillir une nouvelle génération d’exploitants, cette exploitation m’ayant toujours permis de dégager un revenu satisfaisant pour en vivre ». En s’inscrivant au RDI en 2019, Bernard savait que la transmission ne se ferait pas immédiatement : « Je savais pertinemment que je ne trouverais pas un repreneur d’un claquement de doigts. Mais j’étais prêt à attendre pour cela ». Pour avoir un profil d’exploitation à présenter, Bernard Blin a réalisé, avec la Chambre d’Agriculture de la Nièvre, un diagnostic transmission installation : « il était indispensable d’avoir un portrait technico-économique à présenter aux candidats afin qu’ils sachent exactement où ils mettaient les pieds. De plus, toutes ces démarches en amont permettent de se préparer psychologiquement à passer la main, particulièrement quand c’est une exploitation familiale comme la mienne ».

Remise des clefs

Une fois l’annonce mise en ligne, les premiers candidats se déclarent. « Au total, j’ai eu 18 appels et 8 visites mais pour certains bien trop jeunes à mon sens » pointe Bernard Blin avant d’ajouter « Je ne pense pas qu’à 19 ou 20 ans, en sortant de l’école, nous puissions être prêts à prendre en main une exploitation de ce type. Les jeunes ne se rendent parfois pas compte de ce que cela représente, professionnellement parlant voire personnellement. Je leur conseille de se faire la main comme salarié agricole avant de se lancer à reprendre quelque chose ». Une fois le tri effectué dans les prétendants, Bernard Blin choisit Frédéric Delage : « Il avait un bon profil, car il avait travaillé dans des exploitations durant une quinzaine d’années, pour une personne s’installant hors cadre familiale cela est important. De plus, il a posé de nombreuses questions et pris le temps de la réflexion ; un point très rassurant pour moi, car cela montrait qu’il s’intéressait à tout le fonctionnement et que son choix était mûrement réfléchi ». Le repreneur est donc trouvé, mais Bernard Blin insiste : « quand on préfère installer un jeune, il faut faire quelques concessions sur le prix de vente, particulièrement au vu de la conjoncture actuelle. Mais cela était un moindre coût à payer que de voir l’exploitation partir à l’agrandissement ». À la remise des clefs, Frédéric s’engage sur une exploitation de 111 ha, avec 80 vêlages et 70 agnelages.

L’amour de l’uniforme

Frédéric Delage a donc emménagé avec sa famille sur l’exploitation « c’était important pour moi que la maison de vie soit sur le site, pour plus de simplicité, notamment lors des vêlages ». Installé hors cadre familial, il n’en est pas pour autant novice en agriculture : « Mes grands-parents étaient agriculteurs en Charente et j’adorais y aller quand j’étais petit car j’étais dans mon élément. De plus, mes autres grands-parents avaient des voisins exploitants. D’ailleurs, quand j’y étais en vacances, j’étais plus souvent chez ces derniers que chez mes grands-parents » s’amuse-t-il avant de poursuivre : « Malgré tout cela, je pense que mes parents ne s’attendaient pas à ce que ce milieu devienne ma vie ». D’un père gendarme, Frédéric explique que : « Je pense que mon père espérait peut-être que je prenne l’uniforme, mais pour moi c’était la cotte que je préférais ; une autre forme d’uniforme quelque part. Quand j’ai annoncé à mes parents que je voulais devenir agriculteur et m’installer, ils ont été réticents, mais ils ne m’ont pas empêché de suivre des études agricoles, même si ça les dépassait un peu ». Une fois ses diplômes en poche, il commence à travailler dans des exploitations pour apprendre : « je savais que je voulais avoir ma propre ferme, mais je ne voulais pas me précipiter. Engranger de l’expérience est indispensable pour se rendre compte de l’engagement que cela représente ». Avec un sourire, il plaisante : « et je ne me suis pas pressé ! À 35 ans c’était un peu la limite pour se mettre à son compte, à mon avis ».

Une histoire de famille

Si c’était le choix de Frédéric de s’installer, il n’était pas tout seul dans l’aventure. Sa compagne, Marine Tellier et leur petit Jules (20 mois) étaient aussi de l’aventure, elle stipule : « Nous avons beaucoup discuté, et je savais dès le début de notre relation qu’il voulait sa propre ferme. C’était donc clair. Le soutenir dans son projet était une évidence, et je savais qu’il ne prendrait pas de décision à la légère, car il avait conscience que cela aurait une incidence sur moi et Jules ». Bernard Blin conclut : « C’est agréable de voir que la maison où j’ai grandi est pleine de vie, de même que l’exploitation ». L’histoire du Domaine de la Fosse continue donc à s’écrire, avec une nouvelle famille à sa tête.

Le choix de Bernard

Le choix de Bernard

Bernard Blin, aujourd’hui à la retraite, détaille que : « mon père s’est installé ici en fermage en 1957. Il a connu la mécanisation et a fait évoluer la ferme au fur et à mesure. Dès mon plus jeune âge j’aidais aux travaux. Si cela n’était pas un choix au départ, c’est assez vite devenu une évidence pour moi de prendre la suite, ce que j’ai fait en m’installant en 1982, en individuel sur 25 ha. L’année suivante, nous avons créé un Gaec avec mon père pour plus de simplicité. Mon père a pris sa retraite en 1989, et ma mère a pris le relais dans la Gaec pour finalement prendre sa retraite à son tour en 1993. Je suis alors passé en individuel sur 90 ha. Mais, j’ai fait le choix de repasser à 75 ha, car j’étais seul et cela me paraissait suffisant pour vivre. Cependant, les PAC successives m’ont forcé à remonter à 110 ha. Lors de la cession, la SAU était stable depuis environ 10 ans ». Pour lui, une exploitation est « un outil de travail. Il ne faut donc pas voir les choses en grand, mais plutôt trouver un équilibre viable pour pouvoir se dégager un revenu, c’est pourquoi je ne me suis pas plus agrandi, même si j’en avais la possibilité. Je ne voulais pas devenir esclave d’un outil. Avoir une vie et des projets en dehors de la ferme sont des éléments indispensables à prendre en compte et ce tout au long de sa carrière. Je pense qu’il ne faut pas réinvestir tout le résultat obtenu dans son exploitation, sinon on se laisse entraîner dans une spirale où l’on peut partir à la retraite sans rien, ce qui est à mon sens désespérant ».