Portrait
Bernard Froment, "agrisculpteur"

Amandine Priolet
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Porté par la conscience profonde de la force et de la fragilité de la vie, Bernard Froment, agriculteur drômois, dévoile son amour pour l’agriculture au travers d’œuvres d’art uniques réalisées à partir de matériaux nobles : le bois, le métier et le verre.

Bernard Froment, "agrisculpteur"
Depuis plus de trente ans, Bernard Froment cumule la double activité d’agriculteur-sculpteur à Ancone, dans la Drôme, près de Montélimar.

Un chemin de vie. Un retour aux racines paysannes. À 62 ans, Bernard Froment a plusieurs cordes à son arc. S’il évoque parfois le temps de la retraite, la passion qui l’anime reste plus forte. Son parcours est étonnant. Fils d’agriculteurs, il s’est d’abord tourné vers des études de prothésiste dentaire. Sans grande conviction. Pour gagner quelques sous, il a également endossé le rôle de bouquiniste jusqu’au début des années 1980 où il a repris l’exploitation familiale et ses 50 hectares de céréales et de semences (il cultive aujourd’hui 25 ha de pois chiche, petit épeautre et luzerne, ndlr) à Ancone, dans la Drôme. « J’ai tout appris sur place. Mon père ne nous avait jamais trop impliqués dans la ferme, voyant déjà l’évolution de l’agriculture… », évoque-t-il, en parlant de ses six frères et sœurs. Au bout de dix ans, Bernard Froment convertit sa ferme en agriculture biologique et cultive ses premières semences potagères. « C’était une obligation, une conviction… », souffle-t-il. Avant d’ajouter : « Au fil des décennies, nous avons perdu notre âme de paysan, notre relation à la terre. Désormais, nous pensons avec des idées matérielles, des idées économiques… c’est pour cela que le monde agricole va aussi mal. Aujourd’hui, les paysans ne sont pas respectés à leur juste valeur », regrette Bernard Froment.

Un tournant

Cette remise en question, dix ans après le début de son activité agricole, est pour lui une révélation. « Je me suis alors dit que le bio pouvait être mon histoire », se souvient-il. Ce grand tournant dans sa vie professionnelle intervient consécutivement à une cassure dans sa vie personnelle. Une grande blessure qu’il comblera par un besoin de lumière, de bourgeonnement, de renaissance. « À cette période-là, l’art m’a soutenu et aidé ». Avec un besoin d’exprimer une autre façon de cultiver sa terre, Bernard Froment s’est tourné vers le monde de la sculpture. Autodidacte comme pour son métier d’agriculteur, il aime aujourd’hui se définir comme un « agrisculpteur ». Ou comment lier ses deux passions. Car l’artiste ne crée pas n’importe quelle œuvre d’art, puisqu’il privilégie depuis toujours des matériaux chers à sa culture paysanne : le bois et le métal. « Le matériel agricole finissait bien souvent entre les mains des ferrailleurs. J’ai ressenti le besoin de lui redonner vie, de le transformer, en lui ajoutant du bois et du verre, signe d’une nouvelle germination, d’une étincelle de lumière, d’une nouvelle chance… », explique-t-il. Pour Bernard Froment, l’utilisation du verre dans ses pièces abrite une histoire bien particulière. « J’ai pour habitude de dire que le verre est venu à moi. Un soir de labour, j’ai eu envie de matérialiser ce lien entre terre et ciel. Ce jour-là, je suis passé de terrien à verrien… En l’observant, la nature nous donne conscience de la fragilité de la vie », souligne-t-il. « L’agrisculpteur » qu’il est se considère comme un assembleur de matériaux dont la création se fait au « coup de cœur ». Partir de « la moindre des choses » à une œuvre d’art, c’est le credo que s’est fixé Bernard Froment. Pour cela, il se laisse aller à ses émotions pour faire éclore une pièce unique. « Quand je suis dans mon atelier, je lâche ma volonté. Nous sommes trop souvent dans le contrôle et cela nous conduit à passer à côté de plein de choses », indique-t-il. Une vieille souche de bois, d’anciens outils en métal comme une pièce d’un griffon ou d’une charrue, des morceaux de verre de récupération sont autant d’éléments qui reprennent vie au sein de l’atelier galerie situé à Ancone. « Les pièces sont faites de fragilités et d’histoires anciennes », prévient-il.

L’écriture, aussi…

Riche de cette renaissance, Bernard Froment a le sentiment d’avoir enfin trouvé sa place. Pour l’exprimer, il n’a rien trouvé de mieux que de poser ses mots sur papier. À ses passions pour l’agriculture et la sculpture, il faut en rajouter une troisième. Il y a près de trente ans, à l’heure de sa blessure profonde et de son changement radical de vision sur le monde, il s’est libéré à travers l’écriture de poèmes. « Parfois, j’arrêtais mon tracteur pour écrire quelques vers », se rappelle-t-il. De la poésie pour exprimer sa relation à la vie, pour mettre des mots sur des sculptures aussi étonnantes que mystérieuses. « La sculpture est, pour moi, la matérialisation des sentiments. Elle est et va à l’essentiel. Elle ne joue pas, elle ne triche pas, elle est la conscience même de la beauté. Pour et avec mon métier « d’agrisculpteur », elle est selon moi le meilleur moyen d’exprimer la douloureuse reconnaissance du monde paysan », écrivait-il en 2012. Mettre des mots sur les maux du monde agricole tout en évoquant la condition des paysans, tel est le leitmotiv de Bernard Froment quand il prend son crayon. « Chaque œuvre d’art a un message à faire passer. Comme l’humain, chaque pièce est unique et personnelle ». Pour laisser un message derrière lui, Bernard Froment travaille actuellement avec un éditeur. Avec toujours cette même envie : garder une trace intime d’une existence faite autant de fragilités que de forces.

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