Point de vue
Que faut-il penser des biochars ?
Vincent Chaplot, agriculteur en Côte-d’Or et directeur de recherches à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), livre un point de vue critique sur les biochars.
Le dernier rapport du Giec est formel : « le biochar ajouté à l’alimentation des ruminants pourrait permettre de réduire leurs émissions de méthane et celui ajouté aux sols permettrait d’améliorer leur fertilité en stockant à long terme du carbone de l’atmosphère ». Or, il existe de nombreux travaux ayant documenté la présence dans les biochars d’importantes quantités d’Hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) toxiques. Face aux chaos annoncés que sont le changement climatique, la désertification, la pollution… comment peut-on promulguer des pratiques encore plus dommageables pour les sols et la planète que celles actuelles ? Les biochars ne diffèrent en rien des charbons. Il faut mettre ce terme au pluriel puisqu’il y a autant de types de biochars que de combinaisons entre matériel biologique carboné (des feuilles jusqu’aux troncs d’arbres…) et températures de pyrolyse (combustion à faible teneur en oxygène).
Une production qui n’est pas spontanée
La production de ces biochars pose un problème environnemental majeur. Alors que les charbons géologiques ou les composts se produisent naturellement, la production des biochars n’est pas spontanée mais nécessite beaucoup d’énergie ! Ce qui, d’emblée, pose la question de leur utilité pour la soi-disant lutte contre le réchauffement climatique. Ensuite, les produire oblige à une combustion incomplète (ou carbonisation) émettrice d’énormément plus de gaz toxiques qu’une combustion complète. Cette carbonisation génère un bouquet de gaz, principalement du méthane associé à du monoxyde de carbone, et de l’hydrogène, qui peuvent être valorisés ou traités mais à des coûts élevés. Par ailleurs, des chercheurs comme Phil Brookes et Parmila Devi ont démontré dès 2015 que des HAP cancérigènes et à fort pouvoir mutagène sont produits. Alors que leur toxicité est connue en laboratoires, leur impact sur l’activité biologique des sols et la qualité des eaux qui rejoignent cours d’eau et nappes restent méconnus. Alors que de très nombreuses études scientifiques supportent le fait que les biochars fertiliseraient les sols, en améliorant leur pH et en retenant les nutriments et l’eau, d’autres, toutes aussi nombreuses, ont montré qu’il y avait nombre d’effets négatifs. Outre leur toxicité, les charbons, puisqu’ils sont constitués de nombreux pores, risquent de « vider » les sols riches de leurs éléments nutritifs, impactant la production agricole. Sans ces éléments à disposition, les micro-organismes vont s’attaquer à la matière organique du sol pour se nourrir et alimenter les plantes, ce qui dégradera les sols au lieu de les améliorer. Les biochars sont très souvent vendus comme extrêmement stables et donc favorables au stockage de carbone dans les sols. Or, leur stabilité à long terme est remise en question puisque les bactéries du sol parviennent à les décomposer mais au prix d’une dégradation de la matière organique stable pour trouver l’énergie et les nutriments nécessaires ce qui relargue du CO2 dans l’atmosphère et appauvrit les sols.
Un raccourci
Enfin, les biochars sont des éléments grossiers qui ne peuvent pas se lier à l’argile du sol pour créer du complexe argilo-humique. Comme ils ne sont pas liés et qu’ils sont peu denses, des expérimentations ont montré qu’ils subissent une érosion hydrique privilégiée par rapport aux autres particules de sol, et vont rejoindre les cours d’eau, ce que l’on sait grâce aux travaux de l’IRD et de l’Inrae du début des années 2000. Les terra preta, ces îlots de terre de quelques hectares très fertiles créés par l’Homme à l’époque précolombienne au milieu d’étendues de sol infertile en Amazonie contiennent certes de nombreux charbons mais une majorité de matière organique non pyrolysée et d’os riches en phosphore (P) et calcium (Ca)… Alors que leur processus de fabrication reste méconnu, des instances politiques internationales comme le Giec et la FAO, appuyés par certains scientifiques, ont fait un très grand raccourci en affirmant qu’ajouter des charbons aux sols va améliorer leur qualité et sans doute pour mieux nous convaincre d’adopter cette nouvelle technologie, ils ont rebaptisé les charbons en leur ajoutant le préfixe « bio ».