Électricité
Délestages éventuels : l'agriculture attend des réponses
Suite à l’annonce par la préfecture d’éventuels délestages électriques, par secteur, pourraient avoir lieu cet hiver (voir TDB n°1701) ; les exploitants agricoles s’interrogent.

Lors de la session de la Chambre d’agriculture de la Nièvre le 23 septembre dernier, Cyril Forest, vice-président de la FDSEA 58, a interpellé Monsieur le Préfet sur les potentiels délestages électriques qui peuvent avoir lieu, cet hiver, rappelant les conséquences sur l’agriculture et l’agroalimentaire. La réponse de la Préfecture a indiqué qu’il revenait à chacun de s’équiper de dispositifs de secours pour remédier à ces coupures (voir TDB n° 1701). Suite à cela, les exploitants, notamment diversifiés en production fromagère, réagissent et s’étonnent que l’administration puisse sans même alerter les principaux intéressés, décider de sacrifier le revenu des fermes d’une part et la garantie sanitaire des produits mis sur le marché d’autre part. Le point sur la situation avec deux d’entre eux.
Une communication inexistante
« Il est inadmissible que nous ne soyons pas prévenus de cette situation par les Pouvoirs publics, de même que personne ne nous explique le découpage des secteurs ou encore le temps d’arrêt de la fourniture électrique, afin éventuellement de nous préparer. Certes, il est normal que les hôpitaux et les autres centres de santé ne soient pas impactés par ces délestages. Mais dans la notion de priorisation et d’essentialité au fonctionnement de la société, il me semble que trois fois par jour, chaque français se met à table, et autant que faire se peut, il est préférable que ce qui est mis dans son assiette soit sanitairement irréprochable. En fabrication fromagère lactique, nous ne pouvons sécuriser les conditions sanitaires de production sans maintien à des températures constantes 24 heures/24 de nos transformations. Sans parler des conséquences économiques, puisque des cassures dans le chauffage de nos salles de fabrication, ne permettent plus de faire cailler le lait dans de bonnes conditions technologiques. En clair, nos perspectives c’est de traire quand il y aura du jus, pour mettre le caillé à l’égout vingt-quatre heures plus tard. Dépenser puis jeter… Mais qui va payer ? » insiste Stéphane Lafranchise (La Chèvre’rit d’Amandine à Garchy). Jean-François Vavon (La chèvrerie des Brosses à Donzy) rebondit : « nous n’avons eu aucun écho de la part de l’administration. Je trouve cela grave car il y a quand même des risques sanitaires à prendre en compte en cas de coupure de courant, que ce soit pour nos animaux ou notre production ».
Sanitaire
Jean-François Vavon pointe : « Sans électricité, les animaux en pâtiront, déjà pour la traite… car nous sommes obligés de les traire deux fois par jour… Sans matériel électrique, nous allons devoir faire cela à la main ? De plus, chez moi les allaiteurs sont automatiques, même question ici : devrons-nous les nourrir à la main ? En cas de césarienne, devrons-nous éclairer le vétérinaire aux phares de nos voitures ? Ces situations sont impensables, que ce soit pour nos animaux ou pour les professionnels qui travaillent avec nous ». Stéphane Lafranchise ajoute : « il faut avoir conscience que la lactation d’une chèvre se dégrade pour toute une campagne si elle est perturbée en début de cycle. Si l’on doit traire pour jeter du lait à l’égout dès cet hiver, on pourrait être tenté de limiter les apports alimentaires sur le début de lactation. Mais avec ça, c’est notre revenu de l’année qui est d’ores et déjà plié… Vous ne regagnez pas du volume de lait quand vous le décidez. C’est impossible de revenir en arrière ; tout le travail pour produire du lait en quantité et de qualité est donc annihilé. Cela me fait penser à un Préfet Aveyronnais qui au sortir de la guerre, face au manque de farine, avait demandé aux paysans d’avancer la moisson… C’était très con. En matière de production laitière c’est un peu pareil. Le pic de lactation est atteint 40 à 45 jours après la mise bas et le reste de l’année vous entretenez vos animaux pour garantir un niveau de production permettant de garantir votre revenu. Mais en aucun cas, on ne peut jouer au yoyo avec les chèvres pour s’adapter à un contexte de rupture d’approvisionnement électrique ».
Il poursuit : « La maîtrise de la température est aussi indispensable pour que l’acidité Dornic se fasse correctement ». La production de Stéphane et d’Amandine Lafranchise requiert 24 heures pour que le taux d’acidité Dornic soit atteint, et 36 heures pour celle de Jean-François Vavon. Si cette température n’est pas assurée, les conséquences sont multiples : « la consistance ne sera pas là pour faire des fromages, donc, il faudra jeter le lait ». Outre cela, les produits en phase d’affinage seront également impactés : « l’humidité ne sera plus maîtrisée, et donc on pourra observer le pourrissement des fromages entreposés dans les frigos, soit tous les stocks. Sans électricité et sans maîtrise du froid il n’est pas possible de fromager » détaille Jean-François Vavon, avant de préciser : « Avec 400 l de lait par jour et 800 fromages/jour à 1, 80 euros, je vous laisse imaginer la perte financière ».
Questionnement
L’inquiétude est donc palpable chez Jean-François Vavon. « Je suis assuré en cas de problème électrique, mais pas en cas de coupure d’approvisionnement. De ce fait, qui prend en charge financièrement les pertes ou les conséquences - sanitaires notamment - que ces délestages peuvent engendrer ? De plus, qui finance ces groupes électrogènes ? Encore une dépense imprévue et conséquente pour nos entreprises que certaines ne peuvent d’ailleurs pas financer ». Stéphane Lafranchise martèle : « il est incroyable que l’on puisse imposer aux producteurs de financer un moyen de secours quand rien n’est fait pour les tenir informés de la situation ; nous ne sommes pas des citoyens de seconde zone ! Après le covid et les augmentations en tout genre, nous pensions enfin voir le bout du tunnel, mais là on nous en remet une couche… On en a ras le bol ! On nous a demandé de participer à l’effort collectif, ce qui est normal. Et certaines tâches peuvent être organisées autour des potentiels créneaux horaires de coupure. Mais de là à sacrifier du lait et notre revenu pour limiter la grogne sociale, il ne faut pas exagérer. On a un peu de mal à comprendre la logique qui consiste à sacrifier les entreprises au bénéfice des particuliers. Si le chauffage est coupé deux heures chez un particulier au boulot, l’inertie fera qu’il fera encore bon chez lui lorsqu’il sera de retour en soirée. Le contenu de son congélateur ne sera pas perdu non plus. Par contre, si l’on saborde les entreprises qui embauchent, ceux que l’on veut préserver pour éviter qu’ils descendent dans la rue, à court terme seront au chômage, et dans la rue ils y seront ! L’État doit prendre ses responsabilités en la matière. Ce n’est pas dans les entreprises qu’il faut couper l’électricité mais chez les particuliers et laisser le tissu de TPE qui maille le territoire continuer à faire vivre leurs salariés et leurs familles. Ce manque de considération aura au final des impacts sur tout le département qui est constitué en majorité de TPE. On veut quoi au juste ? Des entreprises qui ferment et des chômeurs en plus ou un territoire dans lequel peut vivre tout un chacun ? Nous attendons des réponses ».
