Souvenirs
Les pionniers de la culture du tournesol en Côte-d'Or

Berty Robert
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Le tournesol a été très présent dans les champs de Côte-d’Or en 2021. Une importance qui a rappelé quelques souvenirs aux agriculteurs pionniers qui, il y a soixante ans, s’étaient lancés dans cette culture.

C’était le 28 septembre 1962. Le Bien Public titrait « Une démonstration de récolte de tournesol avec une machine adaptée par les artisans ruraux a eu lieu hier en présence du chanoine Kir ». Qu’une telle récolte fasse l’objet d’un compte-rendu dans la presse quotidienne d’alors et justifie le déplacement du maire de Dijon prouve bien qu’en ce début des années soixante, cultiver du tournesol en Côte-d’Or n’allait pas de soi ! Alors qu’en 2021, cette culture aura été très présente, nous avons voulu retrouver certains de ceux qui, à l’époque, ont fait figure de pionniers. C’est la Coopérative paysanne des céréales qui fut à l’initiative. La France (et l’Europe des six) était déficitaire en huile et le tournesol apparaissait comme une solution. Pourtant, il fallut aux quelques agriculteurs qui se sont lancés, un peu d’inconscience et une capacité à passer au-dessus des préjugés ou moqueries qui visent toujours ceux qui sortent des sentiers battus.

Avoir la foi

« V’la que le Jean, il veut se mettre à vendre des fleurs ! » Cette réflexion, Jean Legrand en rigole aujourd’hui, mais, à l’époque, il fallait l’encaisser. Les fleurs jaunes et volumineuses des tournesols surprenaient dans le paysage agricole côte-d’orien, à l’aube des années soixante, et le résultat de ces premières tentatives de culture n’était pas du tout assuré. L’agriculteur de Noiron-sous-Gevrey avait néanmoins décidé de se lancer dans l’aventure avec quelques autres. Jean Legrand n’envisageait pas une carrière de fleuriste. Le tournesol, il y croyait et, vu les difficultés qui s’annonçaient, il fallait avoir la foi chevillée au corps… Jean-Paul Cornemillot aussi y croyait. Comme Jean Legrand, cet agriculteur de Neuilly-lès-Dijon a toujours été motivé par l’envie d’innover, d’inventer, et de participer à une aventure collective. Avec le tournesol, ils allaient être servis. Ce groupe de pionniers comptait aussi Étienne Franet, à Rouvres-en-Plaine, administrateur de la Coopérative paysanne. C’est chez lui que Jean-Paul Cornemillot découvre la culture de tournesol : « J’ai voulu tenter le coup, se rappelle-t-il. Étant betteravier, j’avais tout ce qu’il fallait en matériel pour le semis, le binage… » Mais ils allaient bientôt s’apercevoir que disposer du matériel ne suffisait pas. Il allait falloir l’adapter et faire preuve d’ingéniosité.

Une variété soviétique

Mais revenons d’abord à ce qui motiva l’envie de faire du tournesol : en janvier 1961, ces cultivateurs apprennent que le quota de betteraves allait baisser. « Pour nous, explique Jean Legrand, en janvier, le fumier était déjà enterré dans les champs, pour les cultures de betteraves ! Alors on allait semer quoi ? De la moutarde ? Des petits pois ? Des oignons ? Des poireaux ?… Rien ne nous semblait vraiment réaliste et c’est là que j’ai lancé l’idée de faire des essais avec du tournesol ». La variété semée était du pérédovick, originaire d’Union soviétique, dont le chanoine Kir, avait ramenée quelques graines. Lui et le directeur de la Coopérative paysanne avaient des relations assez suivies avec ce pays. « On a eu tous les ennuis possibles et imaginables », se rappelle Jean Legrand. Les pionniers n’en revenaient pas de la pousse des plantes. « On se demandait jusqu’où ça allait monter… » se souvient Jean Legrand. « On n’avait pas non plus prévu le problème des repousses de tournesol dans les champs de betteraves », rappelle aussi Jean-Paul Cornemillot, qui faisait, à l’époque, partie du Centre d’études techniques agricoles (Ceta) dijonnais.

L’art difficile de la moisson du tournesol

Pour contourner les ennuis, il a fallu adapter l’outillage, et d’abord le système de semis : « À l’époque, j’étais à la commission économique du CNJA, poursuit Jean Legrand, j’avais un camarade de la région de Toulouse qui avait inventé la distribution de semences par dépression. Son principe était simple : au lieu de faire une bande sur laquelle on amenait les graines, ces dernières étaient sur un plateau tournant et aspirées par le système de dépression. Problème : la graine de tournesol fait des écailles qui pouvaient coincer les graines. En réfléchissant tous ensemble, on a trouvé une solution ». Ensuite, la récolte : les premières tentatives sont difficiles. Les trognons des tiges de tournesols se bloquent dans la coupe des machines. Jean-Paul Cornemillot adapte lui-même sa moissonneuse-batteuse. « Je me suis inspiré de la manière dont Étienne Franet avait adapté sa machine, puis j’ai mené plusieurs essais. Le tournesol, c’est grand et il ne fallait pas que ça se prenne dans le rabatteur au moment de la récolte, donc j’ai grillagé le rabatteur. J’ai aussi installé un bouclier qui couchait le tournesol. Sur ma première moissonneuse qui avait une largeur de coupe de 2,50 mètres, ça allait à peu près, mais quand j’ai dû faire de même avec une moissonneuse qui était à 3,50 mètres, le bouclier en tôle devenait très conséquent et lourd… »

« Une ambiance de créativité »

C’est là qu’intervient Noël Walter, maréchal-ferrant inventif et amateur d’innovations, de Rouvres-en-Plaine. Avec son concours, les agriculteurs allègent la coupe, pose des cornières… Après de nombreux échanges, l’artisan bon connaisseur des machines agricoles imagine un bouclier en plastique transparent fixé à l’avant de la moissonneuse. Il permettait de coucher les tournesols, ce qui facilitait leur coupe et solutionnait le problème de la récolte. Cette solution, plus légère qu’un bouclier en tôle, avait aussi un autre avantage : transparente elle ne gênait pas la vue pendant la récolte. Le travail en équipe mené à toutes les étapes par ces pionniers aura toujours été payant. « Le lien entre les différents acteurs a été déterminant pour réussir cette culture, confirme Jean Legrand. Il faut bien comprendre qu’on était dans une ambiance de créativité, d’innovation ». Une fois cette première récolte réalisée, s’est posée une autre question : comment stocker les graines de tournesol ? À l’époque, une explosion s’était produite dans un silo de la coopérative, en raison d’un stock de graines de tournesol qui était au séchage et qui était monté en température. Il a donc fallu, là aussi, inventer de nouvelles formes de stockage, moins dangereuses, et de nouveaux outils de séchage. « Nous avons pu valoriser des outils qui étaient déjà disponibles, explique Jean Legrand, simplement, nous les avons adaptés ». Il a fallu deux ou trois ans avant que la production locale de tournesol convainque vraiment. Une dynamique inventive et collective s’était mise d’elle-même en place autour de ce projet. « L’intérêt de cette histoire, conclut Jean Legrand, c’est qu’on s’est retrouvés confrontés à des problèmes, sur lesquels on a réfléchi collectivement et qu’on a trouvés des solutions peu coûteuses et efficaces. On est allés au-delà des a priori ». Les champs de tournesols tellement importants l’été dernier en Côte-d’Or, ont brillé d’une manière particulière pour ces « pionniers » qui n’avaient pas eu tort de persévérer.