AG de la FDSEA
Le poids des contraintes doit pouvoir se passer de celui des contrôles excessifs

Berty Robert
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L'assemblée générale de la FDSEA de la Nièvre avait lieu à Châtillon-en-Bazois. Il y fut beaucoup question de la capacité du monde agricole à se saisir des grands enjeux du moment (environnement, carbone, biodiversité...) qui peuvent être sources d'opportunités... à condition de ne pas sans cesse mettre des barrières.

Le poids des contraintes doit pouvoir se passer de celui des contrôles excessifs
Emmanuel Bernard (debout), président de la FDSEA 58, a axé son discours sur la volonté de l'agriculture de s'adapter aux contraintes et aux attentes, à condition qu'on lui laisse la possibilité de le faire...

Une table ronde traitant d’un sujet spécifique en lien avec l’actualité est un passage quasi-obligé de beaucoup de réunions publiques aujourd’hui. Celle organisée dans le cadre de l’assemblée générale de la FDSEA de la Nièvre, le 4 mai, à Châtillon-en-Bazois, portait sur la manière de transformer les contraintes liées à l’environnement, au carbone ou à la biodiversité, en opportunités pour les agriculteurs. Comme dans le judo, où il faut savoir utiliser la puissance de l’adversaire à son bénéfice, les agriculteurs savent qu’il leur faudra faire de ces contraintes des forces, à condition de conserver une certaine maîtrise et d’être capables de prendre des initiatives. Un défi qui peut être « moteur »… si on préserve la possibilité de faire preuve d’agilité afin de favoriser cette maîtrise et ces initiatives. Sauf que, dans les faits, persiste un hiatus entre un discours sociétal qui pousse les agriculteurs à évoluer, et une réalité de contraintes réglementaires qui auraient plutôt tendance à tout figer.

« Amener l’administration européenne sur nos territoires »

Ce constat aura traversé les échanges de cette assemblée générale ainsi que le discours d’Emmanuel Bernard, le président de la FDSEA 58 : « Notre syndicat, expliquait-il, est mobilisé pour faire évoluer tous ces enjeux avec le défi de la cohérence. Il ne s’agit pas de privilégier un modèle unique mais la mise en place de la nouvelle PAC, très complexe, nous démontre une nouvelle fois qu’il faudrait amener l’administration européenne sur nos territoires. Que dire de l’usine à gaz des MAE ! C’est ahurissant, surtout pour les Jeunes agriculteurs. Je sais pourtant qu’il y a des responsables politiques qui sont de bonne volonté Mais force est de constater que les volontés de simplifications, une fois passées sous les fourches caudines de l’administration, se transforment en encore plus de complexifications… » Que le pouvoir administratif soit local, régional ou européen, il semble rarement adapté aux attentes des agriculteurs sur le terrain. Emmanuel Bernard s’est ainsi fait l’écho des difficultés et des inquiétudes liées au transfert de la gestion de certains budgets agricoles aux Régions. « Il nous faut l’ouverture d’un bureau du Conseil régional à Nevers pour traiter les dossiers sinon ça va mal finir » soulignait-il, en présence de Christian Morel, vice-président du Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté (BFC) en charge de l’agriculture. Ce dernier convenait d’ailleurs que la gestion de 6 500 dossiers dont le traitement avait débuté avant le transfert aux Régions posait un vrai problème d’organisation et de gestion de la charge de travail nécessaire, d’autant plus qu’à ces dossiers en attente s’ajoutent d’autres, déposés plus récemment. « Nous avons demandé aux JA de nous faire remonter les dossiers les plus compliqués » soulignait Christian Morel.

« Donner des perspectives »

Le blocage ou les retards constatés sur des dossiers d’installation ou de PCAE posent, notamment à des JA, de graves problèmes de trésoreries. Par la voix de Thomas Lemée, les JA 58 exprimaient aussi le sentiment d’humiliation ressenti par rapport à des opérations de contrôle de la DDT : « on prétend nous accompagner, mais en fait l’administration ne nous accompagne pas. Le tribunal, c’est la place des bandits, pas celle des agriculteurs qui entretiennent les parcelles… » Pour résumer l’état d’esprit général, Emmanuel Bernard faisait ce constat : « Il faut donner des perspectives ! C’est d’autant plus nécessaire quand on voit que l’on veut classer les élevages en IED (Directive sur les émissions industrielles), quand on constate la mise en place des Zones de non-traitement (ZNT) qui vont permettre à des juges de se défouler ! Et dans le même temps, on veut importer des viandes d’Amérique du Sud, produites par des élevages absolument pas soumis aux mêmes contraintes… On nous parle de la mise en place des mesures-miroir mais personne ne nous explique comment la bonne application de ces dernières sera contrôlée ». Enfin, sur l’agrivoltaïsme, le président de la FDSEA a insisté sur le fait qu’une juste répartition sur le territoire de la Nièvre est attendue, quant aux éventuels projets : « Il faudra aussi pousser les porteurs de projet à participer financièrement (à travers le Groupement d’utilisation de financements agricoles (Gufa, mis en place par la Chambre d’agriculture) pour soutenir la production de valeur ajoutée d’autres types de projets, parce que tout le monde ne pourra pas faire de l’agrivoltaïsme ».

 

Une agriculture intégrée dans la société... ou un mal nécessaire ?

Invité à synthétiser le contenu des échanges de cette assemblée générale, Stéphane Aurousseau, l’ancien président de la FDSEA 58 et aujourd’hui président de la commission Statuts et Conflits au sein de la FNSEA dressait le constat suivant : « Ce qu’on attend aujourd’hui du monde agricole semble assez clair. Par le passé, l’accès au crédit supposait de la performance économique. À l’avenir, il faudra de la performance économique mais aussi de la performance environnementale. Il va falloir se préparer à expliquer qu’en 2050 nous serons responsables de 60 % des émissions de gaz à effet de serre, contre 19 % aujourd’hui, parce que les autres secteurs auront pu réduire les leurs : en ce qui nous concerne, nous ne pourrons pas nous passer de la rumination des vaches. L’agriculture réduira ses émissions, mais il y aura une partie incompressible. Il faut se préparer à devoir expliquer cela à des gens qui auront vite fait de nous clouer au pilori. Il faudra se poser la question de la valorisation des prairies, sans oublier la vocation exportatrice de l’agriculture française. On ne vit pas contre son temps. La vraie question c’est : veut-on une agriculture intégrée dans la société ou une agriculture vue comme un mal nécessaire ? »

Faire des contraintes des opportunités : une réalité incontournable
Une table-ronde portant sur la manière de transformer des contraintes en opportunités a réuni Franck Moreau, un agriculteur du Cher, Jean-Paul Duhamel, directeur général adjoint du Crédit Agricole Centre Loire, et Hervé Lapie, secrétaire général de la FNSEA.

Faire des contraintes des opportunités : une réalité incontournable

« Environnement, carbone, biodiversité : comment transformer des contraintes en opportunités ? » C’était toute la question abordée lors de la table ronde organisée dans le cadre de l’assemblée générale. Pour en débattre : un agriculteur du Cher, Franck Moreau, un banquier, Jean-Paul Duhamel, directeur général adjoint du Crédit Agricole Centre Loire et Hervé Lapie, secrétaire général de la FNSEA. Pour ce dernier, la clé, c’est d’intégrer ces thématiques comme des questions de technique agricole classiques : « la biodiversité doit devenir un sujet technique. En créant les SAS Epiterre et France Carbon Agri la FNSEA a eu une démarche visionnaire : Le but, c’est que 80 % de la valeur des crédits carbone reviennent dans les cours de fermes. Ne faisons pas la même erreur qu’avec la grande distribution par rapport à nos produits. Ne nous laissons pas voler la valeur ». À l’appui de ces propos, Franck Moreau, éleveur caprin du Cher citait le projet Epiterre mis en place dans son département : « on a travaillé pour mettre en place la compensation de l’implantation de 6 éoliennes sur 2 communes. Cela passait par l’implantation de haies, la préservation de zones humides, de mares et même la protection d’une race de crapauds. Au début, les agriculteurs rigolaient, mais, petit à petit, ils se sont pris au jeu et ont pris du plaisir à s’impliquer. 10 exploitations se sont engagées pour un budget évalué à 134 000 euros. Cela a permis de financer du matériel, de l’ingénierie. Il faut être en capacité d’aller chercher cet argent et de communiquer sur ce qu’on fait. On doit avoir conscience que ces enjeux sont contraignants, mais à l’avenir on demandera des comptes aux agriculteurs notamment sur les prêts bancaires… » Une mécanique très bien décrite par Jean-Paul Duhamel : « des règles de décarbonation de l’économie s’imposent aux banques : nous serons de plus en plus surveillés par la Banque centrale européenne sur les projets que nous financerons et s’ils ne sont pas vertueux, nous serons pénalisés. Cela va avoir un impact sur les crédits accordés. Les relations vont changer. On va devoir travailler avec vous pour faire en sorte que vos prêts participent à la décarbonation. Mais celle-ci ne sera pas la même que pour d’autres secteurs : l’agriculture, émet du carbone, mais elle en absorbe aussi ».