Femmes et hors-cadre
Difficiles parcours d’installation

Margot Fellmann
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Dans le cadre de ses ateliers sur le foncier, Terre de liens a organisé une journée d’échanges sur la thématique de l’installation des femmes. Autour de la table, quatre agricultrices alsaciennes ont partagé leurs parcours, semés d’embûches.

Difficiles parcours d’installation
Parler d’installation, mais aussi de la condition féminine dans un monde très masculin, tels étaient les objectifs de cette rencontre. De g. à d. : Pauline Thomann, Ariane Aubert, Geneviève Ebel, Nabila Bouadma et Line Schurrer. (Photo Margot Fellmann)

Ariane, Nabila, Geneviève et Line ont en commun un rêve d’agriculture. Aucune n’est issue du monde agricole. Toutes ont choisi cette voie après d’autres expériences professionnelles. Réunies le 21 octobre dernier à Rouffach (Haut-Rhin, Alsace), par Terre de liens, elles ont partagé leurs histoires avec la quinzaine de personnes présentes. La table ronde est baptisée : « Installation des paysannes, parcours de combattantes ». Dans la salle, on trouve trois jeunes femmes qui envisagent de devenir boulangères-paysannes, une autre qui cherche un nouveau souffle après la maladie, d’autres encore sont ici par simple curiosité. Objectif de la rencontre : mettre des réalités en face des visions parfois utopiques qui entourent l’agriculture.

Un travail de femme

Sans grande surprise, les témoignages des quatre agricultrices mettent en lumière un sexisme ordinaire et quotidien qui, quand il s’agit de devenir cheffe d’entreprise, constitue un frein. Ne pas être prises au sérieux, être considérées trop faibles pour un travail physique, se voir demander où est l’homme responsable… C’est d’abord ce que rencontrent toutes les femmes entrepreneuses.

À cela s’ajoute un monde agricole avec ses règles propres. Parfois aussi fermé sur lui-même, perçu comme peu enclin à faciliter les choses aux jeunes hors cadre, surtout dans les coins où la pression foncière est forte. « Le foncier, c’est une vraie galère. Les terres qui se libèrent vont souvent à l’agrandissement », avance Ariane. Avec son compagnon, ils ont été aiguillés par Terre de liens. Il leur a fallu quatre ans pour trouver. S’inscrire dans la vie locale est un des leviers essentiels à actionner face à ça. « La sincérité, c’est la clé. Il n’y a pas de faux jeu en agriculture », pense-t-elle. Nabila et Geneviève sont, elles, membres d’un conseil municipal. « Le soutien de la commune a été déterminant », selon la première, maraîchère à Hachimette. De son côté, Line a vécu cela en même temps que sa grossesse : « Chercher des terres dans ces moments-là, c’est très dur. Le sommeil était une vraie problématique ! »

Conciliation et concession

Difficile, justement, de toujours concilier agriculture et famille. Pour Geneviève, il a fallu faire des concessions sur sa formation. « La formation idéale se trouvait dans le Sud, mais impossible en tant que mère de famille de m’absenter pendant un an. J’ai donc été formée en polyculture-élevage en Alsace ». Elle se lance ensuite dans les framboises, « quelques bouquins sous le bras ». Le couple est un autre élément important, notamment pour Ariane. « J’admire les femmes qui s’installent seule », admet-elle. Nabila a trouvé son compagnon de vie… et de champ qui intervient ponctuellement, sur le labour par exemple. Geneviève fait le bilan, aujourd’hui, d’une carrière emprunte de solitude. « Dans ma famille, mes projets n’ont jamais été la priorité ». Ce jour-là, elle impressionne quand elle décrit les tâches physiques qu’elle mène seule.

Les quatre agricultrices complètent leur témoignage de conseils avisés sur l’installation, qui rassemblent là hommes et femmes dans les mêmes épreuves. Obtenir un statut auprès de la MSA, monter un projet qui tient la route, demander des aides, emprunter pour les terres et le matériel, bien choisir ses outils… Dans la salle, la dure réalité fait peser un voile lourd sur l’assistance. Elles insistent. « En 2022, il faut toujours prouver qu’on est viable, rentrer dans des cases », déplore Ariane. Qu’on soit d’accord ou pas, il faut « rentrer dans le système ». En s’accrochant, elle espère que ces nouvelles formes d’agriculture s’inscrivent durablement dans le paysage et obtiennent plus facilement droit de cité.

Heureusement, toutes identifient aussi sans peine des éléments facilitateurs dans leur parcours de combattantes : « je ne me sens jamais seule », « j’ai fait peu d’emprunts, je me sens libre », « j’ai eu de la chance avec le foncier, le matériel… ». Line conclut : « je suis bien dans ce que je fais. Je me sens légitime ».

Qui sont-elles ?

Ariane Aubert, maraîchère à la Fair’ma part à Mittelbergheim (Bas-Rhin), s’est installée récemment avec son compagnon. Ensemble, ils développent une activité de maraîchage, commercialisée en circuits courts. À Hachimette (Commune de Lapoutroie - Haut-Rhin), Nabila Bouadma est maraîchère aux Jardins de Francine depuis 2017, une reconversion après plusieurs années dans la restauration. Doyenne de la tablée, Geneviève Ebel a fondé la Framboisière à Horbourg-Wihr (Haut-Rhin) en 2002, elle y cultive petits fruits et quelques arbres fruitiers. Elle s’est lancée dans la rhubarbe il y a peu. Enfin, Line Schurrer est installée à Flaxlanden (Haut-Rhin), où elle exploite 15 ares en maraîchage depuis 2017.