Point de vue
Sortir d'une agriculture minière qui dégrade nos sols
L’agriculture est presque partout « minière » puisqu’il y a plus de nutriments exportés des sols via les produits agricoles qu'apportés. Le déficit nutritionnel est comblé par la décomposition de la matière organique du sol. Conséquences : une perte de la fertilité des sols et leur destruction lente du fait de la compaction et de l'érosion. Il faut s’interroger sur l’évolution des systèmes agricoles. Vincent Chaplot, directeur de recherches à l’IRD, apporte son éclairage.
Des quantités importantes de nutriments (azote, phosphore, potassium, soufre… N, P, K, S) sont exportées des sols lors de la récolte des produits agricoles et ne sont pas nécessairement restituées. Le système sol / plante compense ce déficit en minant des nutriments dans la matière organique du sol, quel qu'il soit, ou quelles que soient la culture ou la fréquence d’implantation des couverts. 30 à 50 % du stock de nutriments du sol ont déjà été minés par l’agriculture. Il s’ensuit un effondrement de la structure des sols, une plus grande concurrence des adventices, une diminution de la capacité de stockage en eau et en nutriment des sols qui induit une baisse de fertilité et des rendements agricoles tout en accroissant le ruissellement et l’érosion parfois jusqu’à la disparition des sols. Malgré les recommandations des instituts techniques, les exportations de nutriments ne sont pas totalement compensées par les apports liés à la restitution des résidus de récolte et/ou aux amendements. Par exemple le déficit pour le phosphore est de 6 % en moyenne en Europe et de 13 % en Afrique (données FAO de la période 2018-2022 : https://www.fao.org/faostat/en/#data/RFN).
Besoins en fertilisation sous estimés
Le chercheur néerlandais Van der Pol (1992) a estimé que jusqu'à 40 % du revenu total généré par l'agriculture en Afrique provenait de l'exploitation minière des sols. Aucune donnée économique n’est à notre connaissance disponible en Europe. Les besoins de fertilisation du sol sont probablement sous estimés : même lorsque l’on suit les recommandations le stock de matière organique du sol continue de diminuer car d’autres sorties de nutriment du sol non pleinement comptabilisées existent du fait de l’érosion hydrique, le lessivage profond vers les nappes ou la gazéification (cas de l’azote en condition de déficit d’oxygène dans le sol). Les bactéries du sol requièrent également des quantités importantes de nutriment à l’après récolte pour décomposer les résidus et puisque le sol en est alors dépourvu, elles dégradent la matière organique du sol. Par exemple, l'expérience longue de 150 ans à la ferme de Rothamsted au Royaume-Uni de 245 kg N ha-1 an-1 et de 140 kg P ha-1 an-1 ce qui est bien au-dessus du taux recommandé de 160-200 kg N ha-1 an-1, 30-35 kg P ha-1 an-1 permet non seulement le maintien mais l’augmentation significative des taux de matière organique du sol. Apporter le surplus de nutriment nécessaire à la sortie de l’agriculture minière aura un coût estimé aujourd’hui à 50 euros la tonne de blé produite. L’industrie agroalimentaire doit accepter de payer pour protéger notre outil de travail et l’environnement sur le long terme. Cependant, beaucoup reste à faire pour estimer au plus juste la dynamique temporelle des besoins en nutriment des cultures et des sols, notamment en lien avec la restitution de résidus de récolte et l’implantation de couverts qui, lorsqu’ils ne sont pas fertilisés, minent les sols.