Gène culard
« Un travail de dentelle »

Chloé Monget
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Cela fait 30 ans que le gène culard est connu. Pour le Charolais, deux variants se distinguent : le Q204X ou MH ainsi que le F94L dit MH BEEF. S’ils présentent des caractéristiques intéressantes, ils n’en restent pas moins contraignants.

« Un travail de dentelle »
Denis Godard, à droite, avec son fils Clément lors de la Foire aux culards de Moulins-Engilbert en mai 2022.

« La gestion du gène culard (Q204X ou F94L) requiert des éleveurs passionnés pour exprimer tout ce potentiel car c’est un véritable travail de dentelle qui doit être fait avec patience et engagement » souligne Hugues Pichard, éleveur sélectionneur à Montceau-les-Mines en Saône-et-Loire, président de l’OS Charolais France et vice-président du Herd-Book Charolais.

Avant de détailler son point de vue, il rappelle qu'« il est difficile d’évaluer précisément l’évolution de l’engouement pour ce gène, car tous les éleveurs ne font pas d’analyses de génotypages. Et cela ne fait que trois ans que le variant MH BEEF (Bouchère Équilibre Efficience Finesse) est analysé systématiquement – dans un pack de recherche spécifique ». Ainsi, les effectifs Q204X ou F94L ne sont pas véritablement quantifiables mais Hugues Pichard nuance : « le MH est une mutation fréquente en race charolaise et intervient sur environ 18 % de la population référencés auprès des organismes de sélections. Le MH BEEF qui est associé au phénotype culard se retrouve chez environ 13 % d’animaux porteurs – là encore pour ceux comptabilisés par les organismes de sélection ».

Les effets

Pour mémoire, le phénotype culard trouve son origine dans diverses anomalies intervenant dans le gène de la myostatine, qui a un rôle dans le contrôle du développement des masses musculaire. Ces mutations, dont le MH et le MH BEEF, engendrent une hausse plus ou moins importante des masses musculaires chez les spécimens porteurs. Le MH et le MH BEEF ont une expression phénotypique similaire mais d’intensité différente en fonction de leurs combinaisons : animaux non porteurs d’un des variants, hétérozygotes du variant MH BEEF (+ /MH BEEF), hétérozygotes du variant MH (+ /MH), homozygotes du variant MH BEEF (MH BEEF/MH BEEF), homozygotes du variant MH (MH/ MH), hétérozygotes des deux variants MH BEEF (+ /MH et + /MH BEEF). Selon une étude menée par l’IDELE sur près de 55 000 animaux génotypés, même si les aptitudes bouchères sont améliorées avec la présence des deux variants, ils « dégradent plus ou moins légèrement les autres performances : naissance, croissance, format, et de manière moins manifeste les qualités maternelles ». L’étude précise aussi que « que ce soit de façon positive ou négative, l’effet est plus marqué pour le variant MH que pour le variant MH BEEF » et poursuit : « un porteur des deux variants (+ /MH et + /MH BEEF) […] est à gérer avec presque autant de précautions qu’un porteur homozygote du MH (MH/MH) ». L’utilisation de ces gènes n’est donc pas sans conséquences.

En ferme

Les précautions et les conséquences, Denis Godard les connaît bien. Éleveur à la Nocle-Maulaix et habitué de la foire-concours aux culards de Moulins-Engilbert, il est installé depuis 1997 : « j’ai repris le cheptel culard familial (de mon père qui le tenait lui-même de son père). Je n’ai pas changé de choix car cela m’apporte satisfaction ». Non inscrit, il travaille « à l’œil » sans aucune analyse génétique : « je sélectionne mes animaux depuis longtemps, je commence à savoir ce que je veux » sourit-il avant d’ajouter : « mais je n’ai pas la science absolue, donc il peut y avoir des ratés ». Malgré tout, il ne souhaite pas passer le pas de la génétique : « je comprends et ne juge aucunement ceux qui l’utilisent. Ce n’est juste pas mon truc ». Sans cet outil, il se base sur divers critères : « Chacun aime plus ou moins telles caractéristiques et tous les choix sont bons si l’éleveur est en accord avec ce qu’il fait. Pour ma part, j’apprécie les animaux coupés à la viande et, si ce qui est produit n’est pas conforme à mes attentes : je vends ». Pour le travail que nécessite ce genre d’animaux porteurs du gène culard, Denis est sans détour : « c’est difficile car il faut une surveillance accrue de la naissance au lâcher. Il faut s’assurer que le colostrum est bien consommé, et que les veaux tètent bien. Ensuite, il faut encore contrôler ces animaux après le lâcher afin d’éviter les congestions intestinales qui peuvent arriver très vite. Idem pour les femelles, je dois vérifier qu’elles s’alimentent pour une remise à la reproduction en temps voulu. En somme, si on choisit le culard, on ne regarde pas ses heures ».

Un prix à payer

Selon les conclusions de l’étude de l’IDELE, les « animaux homozygotes et les doubles porteurs permettent d’obtenir de meilleurs résultats carcasse ». Hugues Pichard rebondit : « la qualité de la viande de culard n’est plus à démontrer mais, une véritable étude sur sa tendreté pourrait être intéressante ». Question prix, il rappelle que de par ses qualités bouchères, les montants carcasses sont plus hauts que ceux des broutards. Denis Godard pointe : « Même si les culards se vendent mieux, les cours n’ont pas une progression comparable aux autres vaches. Cela fait environ vingt ans que le prix stagne aux alentours de 7,50 euros/kg carcasse à 8 euros /kg carcasse ». Pour expliquer cela, il met en avant toute la filière : « la viande cularde est très qualitative, et de ce fait plus chère. Les seuls qui achètent cela sont les vrais bouchers. Autrefois, ils pullulaient partout, alors qu’aujourd’hui ils se font rares, et avec eux notre débouché ». Hugues Pichard rebondit : « De par sa qualité, la viande cularde est un produit haut de gamme. Et, même si la demande se raréfie, elle est toujours là, d’où l’importance de maintenir cette production. C’est un fleuron qu’il faut conserver ». D’ailleurs, Denis Godard constate : « lors des foires dédiées aux culards au marché au cadran de Moulins-Engilbert, les acheteurs viennent de toute la France, preuve que la qualité proposée est remarquée ; c’est très gratifiant ». Il détaille aussi l’importance pour lui de participer aux concours : « Il est nécessaire d’avoir l’avis des autres professionnels qui comparent objectivement nos produits à ceux des autres. Cette jauge est pour moi indispensable pour savoir quels choix faire. De plus, l’obtention de distinction valorise encore plus l’animal primé. Pour preuve, j’ai fait naître à Aunat une génisse cularde qui a reçu le Super prix d’honneur à Moulins-Engilbert puis le prix inter-race à Évron en 2017. Elle a été vendue par l’engraisseur à environ 15 euros/kg de carcasse ; une plus-value indéniable donc ».

Pour la suite

Face à tout cela, il évoque l’avenir de ce gène : « je ne pense pas que les jeunes désirent se lancer dans ce genre de voie car elle n’offre pas beaucoup de temps pour autre chose. Aujourd’hui, ils souhaitent des cheptels plus simples à mener, ce que je conçois tout à fait. Néanmoins, je suis persuadé que quelques éleveurs passionnés comme moi continuerons à perdurer ce gène qui est intéressant. Pour moi, cela était un chemin naturel et une véritable passion mais je ne m’interdis pas de diversifier mon activité d’ici ma retraite avec quelques Parthenaises, car en élevage il faut se faire plaisir sinon ça ne sert à rien ». Hugues Pichard conclut : « de par les dégradations que ce gène peut faire sur les autres qualités, le travail des éleveurs est de précision, qu’ils utilisent les outils génétiques ou non. Ces derniers sont là pour aider et ne sont en aucun cas une obligation. Néanmoins, pour les variants culards, ils permettent de connaître la combinaison spécifique que possède l’animal ; idéal pour trouver le plan d’accouplement le plus adapté aux choix de l’éleveur. Je tiens d’ailleurs à insister sur ce point : l’éleveur reste toujours maître dans ses décisions, car c’est lui qui effectue le travail tous les jours. Enfin, je suis persuadé que le gène sera perpétué en Charolais car il est une des facettes les plus fascinantes de la race ; un sujet que finalement nous commençons seulement d’effleurer ».