Un récent chantier de coupe de bois dans une forêt morvandelle a remis en lumière le recours aux chevaux pour le débardage. Le principe n’est pas nouveau mais il se révèle très adapté aux attentes environnementales. À condition de trouver le bon modèle de rentabilité…

Débardage à cheval dans le Morvan
Après trois semaines de chantiers, les chevaux auront débardé 350 m3 de bois.

Sur une centaine de mètres, Vito et Engie lancent leur pas puissant. Derrière eux, le long tronc d’arbre s’ébranle puis glisse sur le sol, traîné par ces deux Traits comtois guidés d’une main ferme par une jeune femme. Un peu plus loin, c’est un autre tandem d’équidés, Ippy et Yago (un Trait comtois et un Ardennais), qui prend le relais pour conduire la grume jusqu’au secteur où le débusqueur mécanique ira la déposer sur la zone où elle sera stockée. Habituellement sollicités dans les vignes du Beaujolais, les quatre chevaux, dirigés par Eric Vouillon et Léa Cholley, semblent s’être parfaitement adaptés à ce nouveau contexte de travail : un chantier de débardage en forêt morvandelle, sur la commune de Chissey-en-Morvan, au nord de la Saône-et-Loire. Le bruit des tronçonneuses ne perturbe pas la force tranquille qu’ils expriment. Ces quatre chevaux pourraient n’être qu’une évocation d’un passé révolu. Ils sont pourtant d’une grande modernité dans le sens où ils représentent un mode de travail moins impactant pour l’environnement. Ce chantier atypique, qui a duré du 5 au 22 juillet, on le doit à la coopérative forestière CFBL (voir encadré).

Configuration spécifique

« Nous avons voulu traduire notre capacité à apporter une solution au propriétaire concerné » précise Catherin de Rivoire, directeur stratégie propriétaires forestiers au sein de la coopérative. En l’occurrence, le propriétaire possède une parcelle d’un peu plus d’un hectare où se trouvent des douglas et des épicéas présentant des premiers signes d’attaques de scolytes. Mais la configuration spécifique de la parcelle, rocheuse, en forte pente, enclavée, démunie d’un large chemin d’accès et traversée par un cours d’eau empêchait le recours aux engins habituellement utilisés. Face à cette difficulté, la coopérative a imaginé cette solution du débardage par chevaux. Pour monter l’opération, Marlène Bourguignon, conseillère forestier en valorisation des bois au sein de l’agence d’Autun de CFBL a dû faire preuve d’imagination… et de persévérance ! Il a fallu trouver les opérateurs disposant de chevaux capables de travailler dans ces conditions, des bûcherons, les zones de dépôt des bois débardés, mais aussi obtenir des subventions sans lesquelles la faisabilité économique de l’opération n’aurait pas été possible. « Le Conseil régional de BFC a subventionné le chantier à hauteur de 30 euros du m3, précise Marlène Bourguignon. Il faut savoir que le coût de ce chantier est trois fois supérieur à une opération de débardage classique ». Ce coût se situait entre 58 et 60 euros du m3. Il fallait rémunérer les bûcherons, le débardage à cheval (entreprise d’Eric Vouillon au Bois-d’Oingt, dans le Rhône), le débusqueur qui traînait les bois jusqu’à l’aire de stockage, le porteur, qui range les bois sur cette même aire et la récolteuse mécanique qui est venue billonner les bois sur la place de dépôt. Une fois défalquée la subvention du Conseil régional, pour le propriétaire de la parcelle, le coût de revient est entre 28 et 30 euros/m3. Le recours à cette subvention, dont la condition d’obtention est la non-mécanisation totale du chantier de débardage, a d’ailleurs constitué une grande première en BFC.

Un moyen, pas une fin

« Il faut noter, souligne Catherin de Rivoire, que ce chantier a été mis en œuvre à une période où le bois a une valeur conséquente, ce qui permet une certaine faisabilité économique. Dix ans en arrière, une telle opération n’aurait jamais pu être rentable ». Trouver une solution pour cette configuration complexe était d’autant plus important que la parcelle présentait des signes d’attaque des arbres par le scolyte qui, depuis quelques années, provoque de gros dégâts dans nos forêts. « Nous devions faire émerger une solution adaptée, souligne Xavier Finous, responsable de l’agence d’Autun de CFBL. Si Marlène Bourguignon n’avait pas pu mettre sur pied ce recours à la traction animale et trouver les acteurs prêts à s’y impliquer, les bois seraient restés sur pied et auraient dépéri… La traction animale est un moyen, mais pas une fin. En revanche, elle présente une complémentarité à prendre en compte dans les calculs économiques ». « Au sein de CFBL, rappelle Catherin de Rivoire, nous avions un débardeur à cheval, jusqu’à la tempête de 1999 qui a bouleversé le modèle économique de l’exploitation du bois. Aujourd’hui, cette solution en est une parmi d’autres, qui mérite qu’on s’y intéresse. Sur ce chantier, les chevaux seuls n’auraient rien pu faire, mais les machines seules, non plus. C’est l’alliance des deux qui fonctionne ». Pour les bûcherons qui ont travaillé aux côtés des chevaux, (Philippe Perrin, Jean-Sébastien Durand et Fabien Eps, du Creusot) les conditions étaient un peu particulières : « Travailler avec des chevaux était une première, explique Philippe Perrin. C’était vraiment agréable mais cela réclame de travailler un peu différemment. Par exemple, nous coupons les souches le plus ras possible, pour éviter que les chevaux ne butent dedans. On doit toujours avoir à l’esprit la nécessité de faciliter le passage des chevaux. C’est un peu plus physique qu’un chantier traditionnel… » Le pied de l’arbre doit obligatoirement se trouver au plus près du cheval. Avec la configuration des lieux en pente, les bûcherons ont dû contraindre les arbres à tomber vers le haut de la pente et non vers le bas. « Ils devaient travailler à deux par arbre, précise Marlène Bourguignon : un avec la tronçonneuse et le second avec le levier permettant la chute du tronc dans le bon sens ». Les arbres devaient aussi être ébranchés et leur pied taillé en arrondi, de manière à ne pas présenter un profil entravant l’effort de traction des chevaux. « Cela réclame beaucoup d’attention aux chevaux, précise Léa Cholley, et c’est pourquoi, dans les duos qui tractent les troncs, nous associons un cheval qui a de l’expérience avec un autre, qui en a peu. Ils se forment ainsi… » Sur la parcelle de Chissey-en-Morvan, environ 350 m3 de bois (majoritairement des épicéas) ont été ainsi débardés.

La coopérative forestière CBFL regroupe 14 000 adhérents en Bourgogne-Franche-Comté, Nouvelle-Aquitaine et Auvergne-Rhône-Alpes. Elle accompagne les propriétaires dans la gestion de leurs forêts privées. Elle a pour mission de trouver les solutions adéquates afin d’assurer la pérennisation des massifs, sur plusieurs générations. Le chiffre d’affaires annuel du groupe est de près de 70 M d’euros et l’entreprise compte 260 salariés. CFBL compte également une filiale de prestation de travaux mécanisés (Mécafor) et une autre nommée Inventaire Forestier et Patrimoine (IFP), qui réalise un travail d’agence immobilière forestière et recherche des acquéreurs pour les forêts de ces adhérents, ou des opportunités d’achats.

Les chevaux ont suivi un rythme très précis : ils travaillaient 1h30 puis ils bénéficiaient de 30 minutes de pause avant de reprendre pour 1h30 de travail. Ensuite, ils étaient nourris puis avaient une heure de digestion, avant de reprendre à nouveau le travail pour 1h30.