Indexation
Un outil utile mais variable

Chloé Monget
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Le système d'indexation peut, pour certains, paraître injuste dans la notation ; mais l'est-il vraiment ? 

Un outil utile mais variable
Les pondérations des index de synthèse sont spécifiques à chaque OS.

L’indexation peut paraître inadaptée pour certaines conduites de troupeaux comme la monte naturelle. Mais, ce système reste : « C’est un outil de prévision génétique, fiable surtout pour les taureaux avec une grande production » pointe Sébastien Cluzel, président Herd-Book Charolais, avant d’ajouter : « En effet, l’indexation varie en fonction du coefficient de détermination (CD) et peut donc évoluer. Cela fait des années que le CD est moins pris en compte, et je pense qu’il est nécessaire de le remettre au centre de la lecture pour ne pas être déçu ».

Un indice sûr ?

Hugues Pichard, administrateur au Herd-Book Charolais, président Charolais France et président de Races de France, pointe de son côté : « L’indexation donne une orientation de ce que la lignée peut donner. Sa valeur est faite par les parents, mais aussi sur la descendance, particulièrement pour les mâles. Plus il y a de produits (connus et contrôlés), plus le coefficient de détermination sera fiable. Pour les femelles, c’est une autre histoire car la prise en compte de la descendance demande nettement plus de temps pour des raisons logiques. Cela est donc compliqué d’avoir une orientation fidèle à 100 % pour les femelles ou les mâles en monte naturelle puisqu’il y a moins de produits. En somme, la qualité de la donnée réside dans le nombre d’informations récoltées. Plus il y en a, plus l’indice est sûr ».

Une impasse

De son côté, Serge Batho, éleveur à Saxi-Bourdon et président de la section Bourgogne au sein du HBC, émet une proposition : « Tout d’abord il faut savoir que l’indexation est basée, depuis 1996, sur environ 80 % d’ascendance et 20 % de descendance. Ces 2 notes cumulées donnent un Index de synthèse de Valeur Maternelle (IVMAT). Avant 1996, seule la descendance était prise en compte. De plus, pour les produits des taureaux issus de monte naturelle, une pénalité supplémentaire est appliquée par rapport aux taureaux des centres d’insémination. Je faisais partie de la commission génétique en 2010 et c’est l’INRA lors d’une réunion de travail, qui nous a confirmé que les taureaux de centres d’insémination avaient un coefficient d’héritabilité supérieur aux taureaux de monte naturelle. Pour résumer un taureau d’IA a plus de descendance que les taureaux de monte naturelle et, à l’époque, on parlait d’une différence d’une vingtaine de points, ce qui me paraissait énorme. La situation se rapproche de celle d’un sportif qui a un tour à rattraper par rapport à ses collègues du même niveau… Mission impossible donc ».

Une fausse bonne idée

De son côté, Bernard Dessauny, éleveur à Saincaize-Meauce se rappelle : « Dans les années quatre-vingt, avec l’AJEC, on s’est battu pour bouger les lignes afin que le contrôle de performance, avec le livre généalogique soit appliqué. Dans ce domaine, la Nièvre était précurseure, car dans les années cinquante cela n’existait pas ailleurs. On avait le sentiment que c’était le bon chemin à suivre, et que l’on ne pouvait plus se contenter du palmarès et de l’ascendance d’un animal. Aujourd’hui, je pense qu’il est temps de rebouger encore une fois les lignes, car le système est arrivé en bout de course. En effet, il est monolithique, complexe et fragile, car si on touche un élément tout s’effondre. Et c’est d’ailleurs cela qui pose problème pour le faire évoluer ». Il rajoute : « Le ministère de l’Agriculture a voulu calquer un procédé utilisé pour les races laitières sur les races allaitantes… et, force est de constater, qu’il y a des disparités. Certes la volonté de départ était louable, et certaines qui désirent conserver tout en l’état aujourd’hui le sont encore, mais il n’y a pas de libre concurrence entre les deux, puisque l’une des parties est forcément dépréciée par rapport à l’autre. Pour moi, c’est une ineptie de comparer les performances de la monte naturelle et l’IA, car forcément l’une est plus favorisée étant donné qu’il y a plus de produits ».

La monte naturelle

Frédéric Renaud, éleveur à Diennes-Aubigny, souligne quant à lui : « L’indexation est floutée lorsque l’on a des reproducteurs qui n’ont pas beaucoup diffusé. Cela reste une aide, mais il ne faut pas la considérer fiable à 100 %. Cela ne fait pas tout​, le coefficient de détermination (CD) joue un rôle important dans la fiabilité des index et il faut y faire attention (sachant qu’un CD même à 95 n’est fiable qu’à plus ou moins 5 points) ». Eric Boucher, éleveur à Moux-en-Morvan, acquiesce et poursuit : « On ne pourra jamais avoir les mêmes CD en IA qu’en monte naturelle car chaque taureau d' IA a souvent beaucoup plus de descendants que les taureaux de monte naturelle. Il ne s’agit pas d’opposer IA et monte naturelle qui répondent chacune aux différentes attentes des éleveurs et sont donc complémentaires. Nous vendons des taureaux issus d' IA qui apportent des garanties sur les facilités de naissance, la morphologie et les qualités maternelles ».

Les qualités invisibles

Considérée comme un outil, l’indexation dévoile des éléments invisibles comme l’explique Frédéric Renaud : « elle met en évidence des qualités comme la valeur laitière ou encore les qualités maternelles ». Pour Eric Boucher : « Je m’appuie sur l’indexation mais aussi sur la génomique qui révèle la présence ou l’absence de gènes très importants ; les deux sont indissociables ». Frédéric Renaud continue : « Pour ma part, je me focalise principalement sur les gênes d’intérêts car c’est plus concret pour moi. Dans la mesure du possible, avant un achat, par exemple, je vais voir l’animal en question, car il peut avoir toutes les qualités sur le papier mais ne pas nous convenir dans la réalité ». Sébastien Cluzel complète : « Rien ne remplace l’œil professionnel de l’éleveur et pour les sélectionneurs qui ont besoin de pondérer les CD avec des informations complémentaires, nous proposons d’autres indicateurs fiables (génomique ou éCow) pour les accompagner dans leur prise de décision ».

Un outil plus en détail avec Lauréna Jeannot, ingénieure technique

"Tout d’abord, il intéressant de noter que les index sont calculés au niveau national par Geneval et ce pour toutes les races bovines sur le même modèle (seules les pondérations des index de synthèse sont spécifiques à chaque OS). Pour les interpréter, il faut également avoir en tête que le coefficient de détermination est crucial car il traduit de la probabilité de la valeur génétique calculée de s’écarter de la valeur génétique réelle. Il faut donc obligatoirement le prendre en compte dans la lecture des index sinon cela peut fausser l’interprétation.

IVMAT en pourcentages

Ensuite, il faut rappeler que l’IVMAT est une synthèse de divers éléments : les effets directs des performances de Poids à la naissance et conditions de naissances, les index de croissance avant sevrage, Développement Squelettique au sevrage, Développement Musculaire au sevrage, et Aptitude maternelle à l’allaitement, et les effets maternels des conditions de naissance. Et que ces éléments ont un poids différent pour l’obtention de l’IVMAT. Voici le détail :

Poids à la naissance : 9 %

Capacité de Croissance avant sevrage : 33 %

Développement Squelettique au sevrage : 1 %

Développement musculaire au sevrage : 23 %

Conditions de naissance – effets directs : 4 %

Aptitude maternelle à l’allaitement : 26 %

Conditions de naissance – effets maternels : 4 %

Ce sont les organismes de sélection qui déterminent ces pourcentages. Il faut d’ailleurs savoir qu’en 2017, la grille de qualification a évolué, permettant d’ouvrir un peu plus les possibles pour les vaches de monte naturelle grâce à l’intégration de l’ISU (indice de synthèse unique) qui comprend également des données de morphologie et de reproduction. Autre nouveauté, nous sommes en train de travailler sur un nouveau projet nommé Unigéno qui a pour but de reformer le système de l’indexation dans une méthode de calcul différente. Il est en train d’être mené par les OS bovin laitier et bovin viande en collaboration avec d’autres acteurs de la génétique animale.

Les parts

Concernant la part de l’ascendance dans la note, forcément quand un animal n’a pas de produit, sa notation est faite de 90 % d’ascendance et 10 % de données propres. Mais, cela change avec l’arrivée de produits issus de cet animal. En effet, à un certain seuil de nombre de produits, l’importance relative des données propres et d’ascendance par rapport aux données de descendance s’inverse, et l’on va vers une part plus importante de données de descendance que d’ascendance ce qui permet de reconnaître plus précisément les qualités que l’animal en question peut transmettre.

La monte naturelle plaît

Sur le débat entre monte naturelle et IA, je tiens à préciser qu’il n’y a aucun document technique prouvant une pénalisation des taureaux ou vaches de monte naturelle par rapport aux autres. Il faut d’ailleurs rappeler qu’il y a environ 80 % de monte naturelle en Charolais, ce qui prouve que ce mode de reproduction n’est pas régi par l’IA et qu’il séduit aussi.

Concours

Enfin, sur la question de l’intégration des concours dans le système d’indexation cela n’est pas possible, car les prix des concours sont issus de choix subjectifs d’un ou plusieurs juges. De son côté, l’indexation repose, elle, sur des données objectives et des méthodes scientifiques. On ne peut donc pas tout mélanger même si les concours permettent une véritable valorisation des animaux.

Dans tous les cas, l’objectif est commun que ce soit en IA ou monte naturelle et c’est celui de faire rayonner la race ».

Quelles solutions ?

Quelles solutions ?

Bernard Dessauny explique que « La monte naturelle n’a pas été assez défendue pendant les années quatre-vingt et la vision que les instances pouvaient avoir sur elle était négative. Nous avons fait une erreur collective. Mais, étant un éternel optimiste, je pense que rien n’est définitif, et l’on peut aborder le problème de diverses manières pour le résoudre. Je pense que l’IA et la monte naturelle ne sont pas deux écoles qui s’affrontent mais sont simplement deux écoles qui ne trouvent pas leur place. Il faudrait permettre aux deux systèmes de montrer leurs performances. Il faut tout simplement un système plus ouvert ». Serge Batho propose : « ce qui pourrait redonner du sens à notre travail, nous les éleveurs de monte naturelle, c’est un algorithme qui prendrait en compte l’ascendance, la descendance et aussi chose qui n’a jamais été essayée et qui serait déterminante, les résultats obtenus dans les concours. En fonction de ces derniers, cela pourrait, par ricochet, faire remonter ou bien diminuer, les IVMAT des élevages. Pour résumer, un éleveur ayant de bons IVMAT dans son élevage et qui se rendrait à un concours avec un classement médiocre, aurait obligatoirement un réajustement et idem pour le contraire. La qualification serait beaucoup plus en adéquation avec la réalité et redonnerait du sens à nos concours ». Quant à lui, Frédéric Renaud conclu : « Pour moi il n’y a pas de solution à proprement parler, les index sont un des outils à la disposition des éleveurs dans le choix d’un reproducteur. Ils doivent être considérés comme tel et interprétés de façon pragmatique. De plus, ils ne doivent pas éclipser les autres outils à leur disposition (morphologie et performance de l’animal et du troupeau, gènes d’intérêts, relationnel et conseil du naisseur, etc. ) ».

Le travail de l'éleveur

Pour Eric Boucher : « L’IVMAT donne une idée des qualités maternelles d’un animal, la morphologie et les qualités de race sont aussi très importantes. Réunir le tout dans un même animal est un travail de longue haleine, c’est le travail de sélection de l’éleveur ». Bernard Dessauny insiste : « Il faut remettre l’éleveur au centre de tout cela. C’est lui qui reste décideur et sélectionneur qu’il soit en monte naturelle ou en IA. C’est lui qui par ses choix va faire évoluer son cheptel. Il ne faut pas déléguer cela à un prestataire de services. Je pense qu’un éleveur doit connaître la valeur commerciale de ses animaux afin de les hiérarchiser dans son cheptel. C’est le premier pas. Ensuite, avec son attention et ses connaissances, il voit ce qu’il peut améliorer et avec quels animaux. Il faut ensuite de l’autodétermination de trouver un reproducteur pour le faire. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que les éleveurs sont de plus en plus dépossédés d’une partie de leur métier qui est la sélection. C’est une profession qui requière nombre de sacrifices et, faire des choix d’animaux est une des libertés qui nous reste en tant que chef d’entreprise. Il faut continuer à travailler avec passion, en prenant ses propres décisions. Certaines erreurs seront pardonnées, mais si l’éleveur ne connaît pas son troupeau et sa valeur, là cela ne pardonnera pas ».

Frédéric Renaud rebondit : « L’indexation est un outil pour le choix d’un reproducteur, certes, mais il faut garder les liens entre éleveurs de confiance. On peut avoir un taureau de monte naturelle avec une faible notation, mais, cela ne veut pas dire qu’il est mauvais ! Il y a une myriade d’éléments à prendre en compte ». Eric Boucher continue : « Même si les index sont bas, on peut faire du correctif par des accouplements judicieux. De même, on peut faire du cumulatif pour bien fixer certains caractères (notamment la facilité de naissance). Dans tous les cas, on ne gagne pas à tous les coups, c’est le piment du métier d’éleveur qui reste pour beaucoup d’entre nous une passion ».